Page images
PDF
EPUB

426. Mais le droit d'usufruit pourrait-il être de même valablement légué au profit de plusieurs personnes qui seraient appelées à le recueillir successivement par substitution fideicommissaire; et quels seraient les effets particuliers d'une disposition de cette espèce?

Pour donner à cette question tout le développement qu'elle mérite, en la mettant à portée des lecteurs de toutes les classes, nous rappellerons d'abord succinctement les notions les plus élémentaires de la matière.

On entend, en général, par substitution fidéicommissaire, la disposition par laquelle le donateur ou le testateur, faisant une donation ou un legs à quelqu'un, charge le donataire ou le légataire de rendre à un tiers la chose donnée ou léguée.

Le fideicommis est universel ou à titre universel, lorsque c'est un légataire universel ou à titre universel qui est chargé de rendre toute l'hérédité ou une quote de l'hérédité à laquelle il est appelé en premier ordre.

Le fideicommis est au contraire particulier, lorsque c'est un donataire ou un légataire d'objets certains et déterminés qui est chargé de les rendre à un tiers désigné pour les recueillir en second ordre.

La charge de rendre peut être imposée de manière que la restitution doive avoir lieu sitôt après la délivrance du legs, sans que le grevé qui le reçoit d'abord ait le droit de le conserver pour en jouir pendant un temps quelconque. Il est possible aussi que le testateur, voulant ac

corder au grevé la jouissance des biens substitués, pendant un certain temps, n'ait ordonné la restitution qu'après un délai qui ne serait apposé que pour en retarder l'exécution, sans rendre la substitution conditionnelle. Enfin la charge de rendre peut n'être imposée que sous une condition suspensive des droits du substitué qui ne serait appelé que subordonnément à un événement futur et incertain, comme lorsque la restitution ne doit lui être faite qu'après la mort du grevé, et à supposer qu'il survive à celui-ci. De là naît la division des fideicommis en purs et conditionnels, qui forment deux espèces trèsdifférentes.

427. Le fideicommis est pur lorsque, sitôt après la mort du testateur, le légataire appelé en se cond ordre a une action pour exiger de suite la restitution de la chose léguée.

Le fideicommis est pur encore lorsqu'il ne doit être restitué qu'après un certain temps; mais pour cela deux choses sont cumulativement requises: il faut que la substitution porte sur un droit de propriété, et que le délai accordé au grevé ne soit que comme un terme de payement, suspensif seulement de l'exécution de la libéralité envers le légataire appelé en second ordre. Alors, nonobstant ce délai, legatum purum est, quia non conditione, sed morá suspenditur (1).

Dans ce cas, comme dans le précédent, le substitué ou le légataire appelé en second ordre, a également un droit acquis dès l'instant du

(1) L. 79, ff. de cond. et demonst., lib. 35, tit. 1.

décès du testateur, droit transmissible à ses héritiers (1041); car, du moment qu'il n'y a que l'exécution de la libéralité qui soit retardée, il est, dès le jour même de l'ouverture de la succession, un vrai créancier à terme, dont les droits sont aussi bien transmissibles que si sa créance était déjà échue.

428. Le fideicommis est, au contraire, conditionnel, lorsque la charge de rendre n'est imposée au grevé que sous une condition dépendante d'un événement incertain, et telle que, dans l'intention du testateur, la restitution ne doive avoir lieu qu'autant que l'événement arrivera ou n'arrivera pas (1040).

La condition qui est le plus communément apposée aux substitutions fideicommissaires, est celle de survie; elle est toujours sous-entendue lorsque le grevé n'est chargé de rendre qu'après son décès (1): alors le substitué n'est censé appelé qu'autant qu'il survivra au légataire institué en premier ordre; si donc il vient à mourir avant celui-ci, la substitution se trouve caduque, et il ne transmet à cet égard aucun droit à ses héritiers.

En général, dans tous les cas où le fideicommis est conditionnel, si le donataire ou le légataire appelé en second ordre vient à décéder avant l'accomplissement de la condition, la libéralité, en ce qui le touche, devient caduque (1040): d'où résulte cette conséquence que dès

(1) Voy. dans POTHIER, traité des substitutions, sect. 6, art. 1, §. 1.

lors les biens substitués restent libres entre les mains de celui qui, dans le principe, avait été grevé de restitution.

429. Aux termes de l'art. 896 de notre code, les substitutions fidéicommissaires sont prohibées; en sorte que toute disposition par laquelle le donataire, l'héritier institué, ou le légataire a été chargé de conserver et de rendre à un tiers, est nulle pour le tout: mais l'article suivant excepte de cette prohibition la substitution que les père et mère peuvent faire de leur quotité disponible lorsqu'ils en disposent au profit d'un ou de plusieurs enfans, avec charge de la rendre aux enfans nés et à naître des donataires au premier degré seulement (1048); il excepte encore le cas où une personne morte sans postérité aurait donné ses biens à son frère ou à sa socur, avec charge de les rendre également aux enfans nés ou à naître du donataire au premier degré (1049).

Mais un simple droit d'usufruit peut-il être l'objet d'une substitution fidéicommissaire proprement dite? une disposition qui serait conçue sous cette forme, et qui n'aurait qu'un droit de jouissance pour objet, serait-elle subordonnée à toutes les règles des substitutions? dans tous les cas, quels devraient en être les effets?

Pour procéder avec le plus de méthode qu'il nous sera possible, nous examinerons ces questions successivement dans les trois hypothèses principales dont nous avons parlé ci-dessus, c'est-à-dire dans celle où le légataire d'un droit d'usufruit serait chargé de le rendre à un tiers

sans délai: dans celle où il ne devrait en faire la restitution qu'après un temps fixe et déterminé: enfin, dans celle où il n'aurait été chargé de le rendre qu'après son décès.

PREMIÈRE HYPOTHÈSE.

430. Le droit d'usufruit peut-il être l'objet d'un fideicommis pur et sans terme? quels seraient les effets particuliers d'une disposition de cette nature? tomberait-elle sous la prohibition du code, si elle n'était faite ni par un père ou une mère au profit de ses petits-fils, ni par une personne qui, disposant au profit de son frère ou de sa soeur, l'aurait chargé de rendre à ses neveux ?

Suivant les dispositions du droit romain, il est incontestable que le droit d'usufruit peut être l'objet d'un fidéicommis pur et sans terme : Si legatum usumfructum legatarius alii restituere rogatus est, id agere prætor debet, ut, ex fideicommissarii persona magis quàm ex legatarii, pereat usufructus (1).

Il en doit être de même sous notre législation, parce qu'on ne voit pas pourquoi le droit d'usufruit, qui peut être délivré par l'héritier à celui qui en est le légataire, ne serait pas susceptible d'être de même délivré et remis à un tiers par le premier légataire qui l'aurait reçu des mains de l'héritier; d'où nous devons conclure qu'il n'y a rien dans la nature du droit d'usufruit.

(1) L. 4, ff. quibus modis ususfruct. amitt. lib. 7> tit. 4.

« PreviousContinue »