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trale et une procédure toutes prêtes qu'ils étaient obligés naguère d'improviser. (Très bien). Cette grave lacune pouvait les arrêter au seuil même de la solution. La Cour de La Haye maintenant existe et l'histoire s'étonnera qu'on ait tant hésité à la faire vivre.

L'Europe a perdu en partie le mérite de son initiative et naturellement l'Amérique s'en est emparée. La concurrence commerciale de l'Amérique a ses inconvénients et ses avantages; elle nous inquiète et nous stimule, mais sa concurrence morale est un bien, et nous devons être reconnaissants à M. le Président de la République des EtatsUnis de la salutaire leçon qu'il nous a donnée en venant de loin, malgré l'Océan, avec le Président du Mexique, faire appel à la nouvelle juridiction. (Très bien).

Nous ne laisserons pas l'Amérique monopoliser cette œuvre humaine du progrès; mais prenons-y garde. Les Américains ont l'instinct des nouveautés heureuses; et voici qu'à la suite des Gouvernements, de simples particuliers nous distancent. L'un d'entre eux mérite une mention spéciale, d'autant plus que chacun de nous peut le revendiquer plus ou moins comme un compatriote. C'est M. Andrew Carnegie, de nationalité américaine, mais de sang écossais et de sentiment français. Il a trouvé le vrai moyen, Je moyen bien moderne, d'assurer à la nouvelle Cour de La Haye la considération dont elle manquait; il l'a dotée; il lui construit un palais. Eh bien, nous lui apporterons une clientèle; cette revanche nous reste à pren

dre; et c'est à quoi notre groupe et le vôtre, d'accord avec nos vaillants précurseurs de l'Union interparlementaire, doivent efficacement travailler. (Très bien).

Un programme

Le groupe français de l'arbitrage international est un groupe d'étude mais il a pour mission, en outre, d'accélérer, de faciliter l'action gouvernementale. Quand je l'ai fondé, on me disait : « Vous serez trente!! trente députés inoffensifs et par conséquent sans action!» (Rires). Nous n'avons pas été inoffensifs; nous avons été agressifs, indiscrets, belliqueux et pour tout dire insupportables. Nous avons fait le désespoir de nos amis, des Ambassadeurs, des Ministres, mais tout de suite nous avons reçu sans pudeur la récompense de nos exigences. (Applaudissements).

Au lieu de trente, nous étions cent, puis cent cinquante, puis deux cents et davantage. A notre tête prenaient place des hommes considérés comme essentiellement positifs, MM. Berthelot, le baron de Courcel, Waldeck-Rousseau, Jaurès, Millerand, etc.

Notre programme, vous le connaissez ; nous l'avons fait volontairement limité. Suivant la vraie méthode scientifique, nous envisageons l'avenir aussi loin que possible mais sans illusion; nous ne rêvons pas la paix perpétuelle ; nous savons que les mauvais instincts subsisteront à côté des bons, chez les peuples comme chez les individus ; mais nous espérons les dominer en les éclairant. Nous n'empêcherons pas toutes

en

les guerres, mais nous essaierons de les rendre plus rares et plus difficiles. Aussi, loin d'affaiblir notre pays, nous prétendons le fortifier en le mettant à l'abri des aventures et en lui méritant l'estime de ses voisins; en contribuant à l'amélioration générale des mœurs internationales dont nous profiterons comme les autres; développant sa prospérité morale et matérielle, son énergie par le travail dans la paix et en lui donnant par suite des motifs et des moyens nouveaux de se bien défendre, le cas échéant. Nul parmi nous ne conteste qu'il faudra du temps pour que les Etats arrivent, non pas même au désarmement simultané, mais simplement à s'entendre pour ne plus augmenter leurs charges militaires; aussi laissons-nous à l'avenir ce qu'il n'est pas en notre pouvoir de résoudre et ce qu'il serait par conséquent puéril de discuter. Nous nous bornons à ce qui est actuellement à notre portée, l'organisation, l'acclimatation de l'arbitrage. (Très bien). Nous travaillons â le faire admettre dans les mœurs internationales comme une règle aussi générale que possible et non plus comme une exception. (Applaudissements).

Les objections

Que peut-on objecter à ce programme? Quel en est le danger, l'inconvénient même ? Comment expliquer qu'il ait fallu tant de temps pour le rendre acceptable; tant d'efforts ingrats précédant les nôtres ? Pourquoi tant d'apôtres admirables dans

tous les pays ont-ils usé leur vie à ces efforts? Les Cremer, les Passy, les Ducommun, les Gobat, les Jean de Bloch, les Egidy, les Suttner, les Moneta, les Apponyi, les Asser, sauvegardant la pensée des Cobden, des Kant, des Washington, des Condorcet, des St-Simon, des Victor Hugo.

Pourquoi ? Pourquoi les arbres les plus robustes sont-ils les plus longs à croître ? Une grande idée ne prend racine qu'à raison même des résistances qu'elle rencontre et ces résistances dont elle doit triompher sont l'épreuve nécessaire de sa force, la garantie de sa durée. (Très bien).

Merci à ceux qui nous combattent, car ils nous obligent pour les vaincre à renouveler sans cesse la sève de nos arguments; plus leurs objections sont subtiles, qu'elles soient dictées par l'égoïsme, par la routine ou par un patriotisme sans horizon, mieux elles nous fournissent le moyen de nous expliquer. Mais déjà on n'objecte plus rien à notre programme; on se borne à le dénaturer; on n'ose plus nous signaler à l'indignation d'un public qui s'est instruit; on nous reproche seulement de demander des choses impossibles, de vouloir notamment soumettre séance tenante, à l'arbitrage, tous les conflits, anciens et nouveaux, politiques ou économiques. (Rires).

Nos ambitions, encore une fois, sont plus pratiques. Si nous prétendions, sous prétexte d'assurer l'avenir, remettre en question toutes les controverses du passé, toucher tous les points douloureux dont souffre l'Europe, c'est alors qu'on pourrait, avec raison, nous traiter de brouillons, de poètes

et de chimériques. Nous n'allons pas entrer en lutte ouverte avec la diplomatie et lui disputer son vaste terrain d'action; nous lui laisserons au contraire en grand nombre les occasions de se rendre utile; nous lui laisserons le soin de prévenir, de concilier et de réparer.

Empêcher les conflits de naître, cela vaut infiniment mieux que de les déférer, en désespoir de cause, à l'arbitrage, et c'est là par excellence le premier devoir de la diplomatie. Quant aux difficultés anciennes, beaucoup d'entre elles, cela va de soi, ne sauraient être soumises à l'arbitrage, mais il nous reste, pour une bonne part, les difficultés de l'avenir. La diplomatie ne les préviendra peut-être pas toutes; (rires) est-ce l'offenser que de lui offrir un moyen d'en régler quelques-unes, pacifiquement, quand elle n'aura pu les concilier ? (Très bien). A cela on répond encore que nous réservons à l'arbitrage les difficultés les moins graves. Mais, s'il en est ainsi, n'est-ce pas une raison de plus pour qu'on ne nous fasse pas tant d'opposition? Qu'appelle-t-on, d'ailleurs, les difficultés les moins graves? Souvent les conflits n'éclatent que par l'accumulation de légers différends. Si l'arbitrage entrait peu à peu dans nos mœurs et s'acclimatait en Europe, nous ne laisserions plus s'amonceler ces matières inflammables; nous prendrions goût à un ordre nouveau, à cette stabilité que nous cherchons, à la sécurité si nécessaire à notre commerce. (Très bien). Et qui sait si ce grand progrès, réalisé progressivement, n'aurait pas, même dans le passé, une

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