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sion unique. Je crois à l'entente cordiale (en français) entre les deux pays, et cette << entente» dépend moins des conventions et des traités que d'une mutuelle sympathie entre les peuples. Cette sympathie existe; elle ne demande qu'à se produire. Nos deux pays sont voisins; nous pouvons aider à les rendre amis. Loin d'être en antagonisme, nous nous complètons l'un l'autre. Les qualités spéciales que nous reconnaissons et admirons chez nos amis français sont précisément celles qui nous manquent le plus, et nous avons aussi, comme on l'a dit, des qualités qui font un tout parfait quand on les joint à celles de nos voisins. Je suis assez vieux pour me rappeler le temps où pendant la guerre de Crimée il y a eu une << entente cordiale » que nous désirons renouveler (Applaudissements); et après avoir entendu ce soir tant parler des horreurs et des maux de la guerre, rappelonsnous qu'elle a quelquefois ses compensations. À cette époque, Anglais et Français, avec un égal courage, combattaient côte à côte pour une cause qn'ils croyaient juste, et cela aboutit à une communauté de sentiments qui exista pendant longtemps. S'il est survenu plus tard un refroidissement temporaire, il a été dû peut-être à un fait auquel M. d'Estournelles de Constant a fait allusion, à savoir que l'expansion coloniale a ses inconvénients. Lorsque commença la colonisation de l'Afrique, des intérêts rivaux furent fatalement en présence, qui rendi-. rent difficile le maintien de l'entente. Mais heureusement cela est passé. Comme ministre des colonies, je suis, peut-être plus

qu'aucun autre membre du Gouvernement, le perturbateur naturel de la paix je suis donc bien placé pour dire que je ne vois aucune espèce de terrain de sérieux conflit possible dans l'avenir entre nos deux pays. Bien entendu il subsiste des divergences; mais elles sont de telle sorte, que prises au début et dans un esprit amical, elles peuvent être aisément résolues à notre mutuelle satisfaction. (Applaudissements).

Et c'est pourquoi, quant à moi, j'attache tant d'importance au mouvement dont M. d'Estournelles a pris l'initiative et qui est si bien accueilli des deux côtés de la Manche. En premier lieu nous aborderons les difficultés à résoudre dans cet esprit de sympathie qui est la principale garantie de la paix ; et je suis convaincu que nous les règlerons avec ou sans arbitrage; avec arbitrage si nous ne pouvons pas faire autre

ment.

Le premier ministre a dit que cette soirée était un fait unique dans l'histoire des deux Parlements. C'est aussi une occasion, je le répète, dont nous devons profiter. Notre roi, avec son appréciation instinctive des évènements qui lui vaut l'admiration, le respect et l'affection de ses sujets, a compris combien il est important pour les intérêts non seulement de nos deux pays mais du monde entier, que la France et l'Angleterre parlent le plus possible d'une seule voix pour la civilisation et la liberté (Applaudissements). Notre hôte, ce soir, a rempli sa tâche noblement et simplement et a gagné la confiance du peuple britannique pendant la courte visite qu'il nous a

faite (Applaudissements). Et maintenant c'est à nous, chacun dans sa mesure, de prendre part à ce grand mouvement et de rétablir l'entente dont j'ai parlé sur des fondements si fermes qu'ils ne puissent plus être ébranlés. Et je suis convaincu que c'est le résultat pratique que nous pouvons espérer de cette heureuse réunion.

RÉPONSE DE M. D'ESTOURNELLES aux discours de

MM. BALFOUR, CAMPBELLBANNERMAN, CHAMBERLAIN et HOULDSWORTH

Mes chers collègues,

Au nom de mes camarades et amis français, j'ai à cœur de répondre aux paroles de profonde sympathie prononcées à l'égard de la France et de l'arbitrage par les hommes d'Etat éminents que nous venons d'applaudir.

A M. Arthur Balfour, à mon ami Arthur Balfour, (car il est vrai que nous nous connaissons maintenant depuis plus de vingt années), je dirai qur je suis heureux, ému de son adhésion, si explicite à la juste cause que nous défendons. Cette adhésion est pour moi une récompense comme aussi son appréciation des services que j'ai pu rendre aux bons rapports des deux pays en quittant la didlomatie. Nombreux furent

ceux qui me blâmèrent alors et n'hésitèrent pas à penser que j'avais eu tort de me dévouer à une généreuse idée plutôt que de rester attaché à une bonne carrière; nombreux furent ceux qui déclarèrent avec une commisération touchante que décidément j'avais mal tourné!... (rires). Aujourd'hui, je prends ma revanche; il est possible que j'aie mal tourné. mais c'est au bénéfice de mes idées, et si je suis parti seul avec elles il y a huit ans, nous revenons plus de cent aujourd'hui pour les défendre, (vifs applaudissements) et nous vous rencontrons, mes chers camarades, dans une étroite et chaleureuse union, pour les défendre comme nous, sans distinction de pays ni d'opinion. C'est quelque chose et je n'avais jamais fait, je l'avoue, un si beau rêve que celui que nous réalisons ce soir ensemble.

Sir Henry Campbell-Bannerman n'a pas voulu laissez à son loyal adversaire, sans en prendre sa large part, le mérite de ses sympathies pour l'organisation d'une paix durable entre nos deux pays et je le remercie, en notre nom à tous, de son chaleureux et spirituel discours. (Applaudissements). J'irai même jusqu'à dire au risque de prendre un instant et imprudemment parti entre l'honorable représentant de l'opposition et le premier ministre, que sir Henry a remporté ce soir sur M. Arthur Balfour une incontestable petite victoire, car il a eu le courage de parler français (rires et applaudissements), et cette petite victoire est d'autant plus décisive que M. A. Balfour aurait pu très bien faire de même s'il avait voulu, car il m'a parlé français et parfaite

ment pendant tout le cours du dîner. (Nouveaux rires). M. A Balfour a donc incontestablemement une revanche à prendre, et cette revanche est toute indiquée : nous le convions à venir à son tour, uccompagné de sir Henry Champbell-Bannerman et de yous tous, nous faire un discours en français, mais cette fois à Paris. (Bravos et applaudissements).

Quant à M. Chamberlain, il nous a dit aussi d'excellentes choses dont je prends acte. Depuis plus de vingt années également nous nous connaissons et je constate, une fois de plus, que ces années sont passées sur lui sans laissez de traces. Je vais même profiter de nos relations anciennes pour lui répondre avec une netteté qui n'aura rien de diplomatique. D'autres éluderaient peutêtre cette réponse, mais précisément la beauté, le prix de notre réunion de ce soir est, que, malgré nos divergences profondes de vues entre Français comme entre Anglais, entre Français et entre Anglais nous avons réalisé de tels progrès que nous pouvons néanmoins parler librement et sans contrainte. Oui, M. Chamberlain a la réputation non pas d'un enfant, mais d'un homme terrible; à quoi bon le dissimuler? Mais je ramène tout au service de ma cause et je découvre que M. Chamberlain peut disposer d'un excellent et infaillible moyen de modifier cette réputation : il a parlé de son attachement à la paix qu'il le prouve!... (vifs applaudissements) qu'il prouve son attachement non pas au mot seulement, mais à la chose! (applaudissements) voilà ce que je lui demande et ce

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