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M. Le Chiapellier proposoit, pour éviter toute équivoque, de décider à l'instant quels seroient les termes et la forme de la sanc. tion, et d'envoyer le président auprès du roi pour la demander sans délai, et de ne pas désemparer qu'il ne l'eût obtenue.

Mirabeau prit la parole et dit :

«Non seulement la motion de M. le Chapelier n'est pas irrégulière, mais elle scule est précisément conforme à la loi que vous vous êtes imposée. On lit dans l'article X du chapitre IV du règlement ces propres paroles: toute question qui aura été jugée, toute loi qui aura été portée dans une session de l'assemblée nationale, ne pourra pas y étre agitée de nouveau... Je demande messieurs, si les arrêtés du 8 août sont ou ne sont pas une question jugée? »

« Et qu'on ne subtilise pas, en disant que nulle loi n'est portée à cet égard; car je me retrancherois à prier les controversistes de m'expliquer la première partie de l'article invoqué, toute question jugée? etc. >>

« Mais j'ai méprisé toute ma vie les fins de non-recevoir, et je ne m'apprivoiserai pas avec des formes de palais, dans une

question si importante. Examinons la donc sous un autre aspect. >>

<<< Revenir sur les articles du 4, est un acte également irrégulier, impolitique et impossible. Examiner si l'on n'auroit. pas dû, comme on le pouvoit incontestablement, se dispenser de les porter à la sanction seroit superflu, puisqu'ils y ont été portés. Cherchons donc le parti qui nous reste à prendre. >>>

« Ici je me vois contraint de faire une remarque que la nature des circonstances publiques rend très-délicate, mais que la rapidité de notre marche, et l'hésitation du gouvernement rendent encore plus nécessaire. Depuis que les grandes questions de la constitution s'agitent, nous avons montré à l'envi la crainte d'ajouter à la fermentation des esprits, ou seulement de la nourrir par l'énonciation de quelques principes évidens. de leur nature, mais nouveaux pour des François dans leur application; et que parcela même qu'en matière de constitution, on peut les regarder comme des axiômes, nous avons cru pouvoir nous dispenser de consacrer. » « Ces considérations étoient dignes de

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votre sagesse et de votre patriotisme. Mais si au lieu de nous savoir gré de notre respect religieux, on en conclut, contre les principes que nous avons voulu taire, et non dissimuler, a-t-on bien calculé combien on provoquoit notre honneur et lesentiment de nos devoirs à rompre le silence? >>

« Nous avons pensé pour la plupart que l'examen du pouvoir constituant dans ses rapports avec le prince, étoit superflu au fond et dangereux dans les circonstances; mais cet examen n'est superflu, qu'autant que nous reconnoissons tous, tacitement du moins, les droits illimités du pouvoir constituant. S'ils sont contestés, la discussion en devient nécessaire, et le danger seroit sur tout dans l'indécision. »

« Nous ne sommes point des sauvages, arrivant nuds des bords de l'Orénoque pour former une société. Nous sommes une nation vieille, et sans doute trop vieille pour notre époque. Nous avons un gouvernement préexistant, un roi préexistant, des préjugés préexistans: il faut, autant qu'il est possible, assortir toutes ces choses à la révolution, et sauver la soudaineté du passage. Il le faut jusqu'à ce qu'il

résulte de cette tolérance une violation pratique des principes de la liberté nationale, une dissonance absolue dans l'ordre social. Mais si l'ancien ordre de choses, et le nouveau laissent une lacune, il faut franchir le pas, lever le voile et marcher. >>

« Aucun de nous, sans doute, ne veut allumer l'incendie dont les matériaux sont si notoirement prêts d'une extrêmité du royaume à l'autre. Le rapprochement où la nécessité des affaires suffit pour nous contenir, ressemble certainement plus à la concorde que l'état de situation de nos pro vinces, qui, au poids de nos propres inquiétudes, et des dangers de la chose pu blique, mêlent le sentiment de leurs propres maux, la triste influence de leurs divisions particulières, et les difficultés de leurs intérêts partiels. Traitons-donc entre nous; appuyons ces réticences, ces suppositions. notoirement fausses, ces locutions manifestement perfides, qui nous donnent à tous la physionomie du mensonge, et l'accent des conspirateurs. Parlons clairement; posons et discutons nos prétentions et nos doutes; disons; osons nous dire mutuellement: Je veux aller jusques-là; je n'irai.

pas plus loin:

Vous n'avez droit d'aller que jusqu'ici, et je ne souffrirai pas que vous outrepassiez votre droit. Ayons la bonne foi de tenir ce langage; et nous serons bientôt d'accord. Mars est le tyran; mais le droit est le souverain du monde. Débattons sinon fraternellement du moins paisiblement : ne nous défions pas de l'empire de la vérité et de la raison : elles finiront par dompter, ou, ce qui vaut mieux, par modérer l'espèce humaine, et gouverner tous les gouvernemens de la terre.>>

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<< Mais, messieurs, si nous substituons l'irrascibilité de l'amour-propre à l'énergie du patriotisme, les méfiances à la discussion, de petites passions haineuses, des réminicences rancunières à des débats réguliers et vraiment faits pour nous éclairer, nous ne sommes que d'égoïstes prévaricateurs ; et c'est vers la dissolution, et non vers la constitution que nous conduisons la monarchie dont les intérêts suprêmes nous ont été confiés pour son malheur. >>

« L'exécution soudaine des arrêtés du 4 août, statués avec une précipitation qu'a nécessitée la sorte d'émulation qu'entraîna

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