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fit retirer les individus non députés qui se trouvoient dans la salle » Il en est un, ajouta-t-il, étranger, proscrit de son pays, réfugié en Angleterre, pensionnaire du roi d'Angleterre, que nous voyons depuis plusieurs jours écrire et faire circuler des billets dans la salle «.

Mirabeau se leva aussi-tôt, et dit :

« MESSIEURS,

>> Je conviens avec le préopinant, que nul individu non député, soit indigène, soit étranger, ne doit être assis parmi nous. Mais les droits sacrés de l'amitié, les droits plus saints de l'humanité, le respect que je porte à cette assemblée d'enfans de la patrie, d'amis de la paix, m'ordonnent à la fois de séparer de l'avertissement de police la dénonciation, la délation vraiment odieuse que le préopinant n'a pas craint d'y ajouter. Il a osé dire que dans le grand nombre d'étrangers qui se trouvoient parmi nous, il étoit un proscrit, un réfugié en Angleterre, un pensionnaire du roi d'Angleterre.

» Cet étranger, ce proscrit, ce réfugié, c'est M. du Roveray, l'un des plus res Tome I.

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pectables citoyens du monde. Jamais la liberté n'eut de défenseur plus éclairé, plus laborieux, plus désintéressé; dès sa jeunesse, il ob int la confiance de ses concitoyens pour concourir à la formation d'un corps de lois qui devoit assurer à jamais la constitution de sa patrie. Rien de plus beau, rien de plus philosophiquement politique que la loi en faveur des natifs, dont il fut un des auteurs; loi si peu connue et si digne de l'être,loi qui consacre cette grande vérité, que toutes les républiques ont péri, disons mieux, qu'elles ont mérité de périr, pour avoir opprimé des sujets, et ignorė qu'on ne conserve sa liberté qu'en respectant celle de ses frères. Déjà procureur-général de Genève par l'élection de ses concitoyens, M. du Roveray avoit mérité la haine des aristocrates; dès-lors ils avoient juré sa perte, et réussi à faire demander sa destitution par un ministre despote, trop sûr que l'intrépide magistrat ne cesseroit jamais de se servir des droits de sa place pour défendre l'indépendance de sa patrie que l'on attaquoit. Mais au milieu des laines et des factions, la calomnie elle-même respecta les vertus de M. du Roveray;

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jamais son souffle impur n'essaya de ternir une seule action de sa vie. Enveloppé dans la proscription que les aristocrates firent prononcer par les généraux des armées, des tructeurs de la liberté Gènevoise, M. du Roveray se retira en Angleterre, et sans doute il n'abdiquera jamais l'honneur de son exil aussi long-tems que la liberté n'aura pas recouvré ses droits dans sa patrie. Un grand nombre de citoyens respectables de la Grande-Bretagne s'empressèrent d'accueillir le républicain proscrit lui ménagèrent la réception la plus honorable, et provoquèrent le gouvernement à lui donner une pension. Ce fut en quelque sorte une couronne civique décernée par le peuple moderne, que le génie tutélaire de l'espèce humaine paroît avoir préposé plus spécialement au culte de la liberté.... Voilà l'étranger, le proscrit, le réfugié que l'on vous dénonce..... Autrefois un infortuné embrassoit les autels; il y échappoit à la rage des méchans; il y trouvoit un asile inviolable. Cette salle va devenir le temple qu'au nom des Français vous élevez à la liberté : souffrirez vous qu'un martyr de cette liberté y reçoive un outrage»?

Ca

Du 13 au 17 juin 1789.

L'appel des bailliages commencé le 12 fut continué le 13. La démarche des trois curés du Poitou, qui se réunirent les premiers dans la salle commune, excita un enthousiasme universel; leurs noms méritent d'être retenus, ce sont MM. Ballard, Lecelve, et Jallot.

L'appel terminé, les communes s'occupèrent de la vérification des pouvoirs.

Les séances des 15, 16 et 17 juin, sont d'autant plus remarquables, qu'elles ont été consacrées au développement des bases sur lesquelles il étoit important de se constituer. Nous regrettons que les bornes de notre plan ne nous permettent pas de rapporter les discours intéressans qui furent prononcés dans ces séances, ainsi que diverses motions qui furent proposées, et sur-tout celle de M. l'abbé Sieyes, qui avoit pour objet de se constituer en assemblée nationale (1), et qui réunit la majo

les

(1) M. l'abbé Sieyes avoit d'abord proposé la dénomination d'assemblée des représentans connus et vérifiés de la nation Française, il y substitua ensuite celle d'assemblée nationale, dont M. Legrand avoit donné l'idée.

rité des suffrages dans la séance du 17. Voici les fragmens et l'analyse du discours que Mirabeau prononça à cette occasion; nous y joindrons sa motion, telle qu'il l'a insérée dans sa onzième lettre à ses commettans. « Je n'ai jamais été moins capable qu'aujourd'hui de discuter une question importante, et de parler devant vous. Agité, depuis plusieurs jours, d'une fièvre opiniâtre, elle me tourmente dans ce moment même; je sollicite donc une grande indulgence pour ce que je vais dire: si mon ame parle à votre ame, vos forces suppléeront à mes forces; mais j'ose vous demander en même-tems une grande attention pour la série des résolutions que j'aurai l'honneur de vous offrir. Long-tems méditées, rédigées dans un moment plus favorable, je les soumets à votre sagesse avec plus de confiance que le peu de

mots que je vais balbutier.

» Nous sommes prêts à sortir du cercle où votre sagesse s'est long-tems circonscrite. Si vous avez persévéré avec une fermeté rare dans un système d'inaction politique, infiniment décrié par ceux qui avoient un grand intérêt à vous faire adopter de fausses

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