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dont l'urgence étoit évidemment reconnue, il falloit un sacrifice subit ; et que ce moyen proposé par M. Necker, avoit paru au comité le seul qu'il pût adopter.

Quelques membres ayant fait encore des questions au rapporteur, sur des objets de détail, Mirabeau s'y opposa, et dit:

<< Messieurs, tous les détails que nous demandons quant à présent, sont des questions de simple curiosité, absolument étrangères à la résolution importante qu'il nous faut arrêter aujourd'hui. Il y a déja trois jours que le ministre des finances vous a peint les dangers qui nous environnent avec l'énergie que réclame une situation presque désespérée; il vous demande les secours les plus urgens; il vous indique des moyens ; il vous presse de les accepter. Votre comité des finances vient de vous soumettre un rapport parfaitement conforme à l'avis du ministre ; c'est sur cet avis et sur ce rapport qu'il s'agit de délibérer. »

<< Mais telle est ici la fatalité de nos circonstances; nous avons d'autant moins le temps et les moyens nécessaires pour délibérer, que la résolution à prendre est plus décisive et plus importante. Les revenus de

l'état sont anéantis ; le trésor est vuide, la force publique est sans ressort ; et c'est demain, c'est aujourd'hui, c'est à cet instant même, que l'on a besoin de votre inter

vention. >>>

« Dans de telles circonstances, messieurs, il me paroît impossible, soit d'offrir un plan au premier ministre des finances, soit d'examiner celui qu'il nous propose. »

« Offrir un plan n'est pas notre mission, et nous n'avons pas une des connoissances préliminaires indispensables pour essayer de se former un ensemble des besoins de l'état et de ses ressources. »

<< Examiner le projet du premier ministre des finances, c'est une entreprise tout-à-fait impraticable. La seule vérification de ses chiffres consumeroit des mois entiers; et si les objections qu'on pourroit lui faire ne portent que sur des données hypothétiques, les seules que la nature de notre gouvernement nous ait permis jusqu'ici de nous procurer, n'auroit-on pas mauvaise grace de trop presser des objections de cette nature, dans des momens si pressés et si critiques. >> << Il n'est pas de votre sagesse, messieurs, de vous rendre responsables de l'évè

nement, soit en vous refusant à des moyens que vous n'avez pas le loisir d'examiner, soit en leur en substituant que vous n'avez pas celui de combiner et de réfléchir. La confiance sans bornes que la nation à montrée dans tous les temps au ministre des finances, que ses acclamations ont rappelé, vous autorise suffisamment, ce me semble, à lui en montrer une illimitée dans les circonstances. Acceptez ces propositions sans les garantir, puisque vous n'avez pas le temps de les juger; acceptez-les de confiance dans le ministre, et croyez qu'en lui déférant cette espèce de dictature provisoire, vous remplissez vos devoirs de citoyens et de représentans de la nation. »

"M. Necker réussira, et nous bénirons ses succès, que nous aurons d'autant mieux préparés, que notre déférence aura été plus entière, et notre confiance plus docile. Que si, ce qu'à Dieu ne plaise, le premier ministre des finances échouoit dans sa pénible entreprise, le vaisseau public recevroit sans doute une grande secousse, sur l'écueil où son pilote chéri l'auroit laissé toucher; mais ce heurtement ne nous décourageroit pas; vous seriez là, messieurs;

votre crédit seroit intact, la chose publique

resteroit toute entière.»

« Acceptons de plus heureux présages; décrétons les propositions du premier ministre des finances, et croyons que son gé nie, aidé des ressources naturelles du plus beau royaume, du monde et du zèle fervent d'une assemblée qui a donné et qui doit encore de si beaux exemples, saura se mon trer au niveau de nos besoins et de nos circonstances. >>

Ce discours étoit à peine fini que toute l'assemblée se leva pour témoigner son approbation. Elle étoit sur le point de délibérer par acclamation, lorsque le président observa que la délibération qu'on alloit prendre, devoit moins être le fruit de l'enthousiasme que celui de la raison.

Il proposa la rédaction suivante :

« L'assemblée nationale, vu l'urgence des << circonstances, décrète un secours extraor« dinaire du quart des revenus de chaque « citoyen, et renvoie pour le mode au « pouvoir exécutif. »..

Mirabeau reprit ainsi : « en énonçant mon avis, je n'ai point entendu, messieurs, rédiger ma proposition en décret. Un dé

cret d'une importance aussi majeure ne peut être imaginé et rédigé au milieu du tumulte, J'observe que le décret tel qu'il vient de vous être proposé ne peut pas être le mien et je désapprouve la sécheresse de ces mots: renvoi du mode au ministre. Encore une fois, messieurs, la confiance illimitéè de la nation dans ce ministre justifiera la vôtre; mais il faut que l'émanation du décret que vous avez à prononcer à ce sujet soit ex-pressément provoquée par le ministre, Je vois encore un nouvel inconvénient dans la rédaction de ce décret; il faut bien se garder de laisser croire au peuple que la perception et l'emploi de la charge que vous allez consentir, ne sera ni sûre ni administrée par ses représentans; en demandant, messieurs, que votre délibération soit prise sans aucun délai, je demande aussi que la rédaction du décret soit mûrement réfléchie; et je me retirerai de l'assemblée,pour me livrer à ce travail, si vous me l'ordonnez. »>

Toute l'assemblée l'engagea à sortir pour cet objet, et il sortit.

Pendant son absence quelques membres combattirent sa motion; étant de retour il

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