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mappemonde, franchit tout sans peine, ne s'embarrasse ni des montagnes, ni des déserts, ni des fleuves, ni des abimes; mais quand on veut réaliser le voyage, quand on veut arriver au but, il faut se rappeler sans cesse qu'on marche sur la terre, et qu'on n'est plus dans le monde idéal.

» Voilà, MESSIEURS, un des grands motifs de préférence pour la dénomination que j'ai mûrement réfléchie; si nous en prenons une autre, nous aurons à créer une nouveauté, elle va fournir abondamment aux déclamations de ceux qui nous calomnient; nous aurons contre nous tous les antécédens, tous les usages, tout ce qui est consacré par les habitudes, tout ce qui est sous la garde puissante des préjugés et de l'aristocratie. Si nous prenons le titre de représentans du peuple, qui peut nous l'oter? qui peut nous le disputer? qui peut crier à l'innovation à ccs prétentions exorbitantes? à la dangereuse ambition de notre assemblée ? qui peut nous empêcher d'être ce que nous sommes ? Eh cependant cette dénomination si peu alarmante si peu préten

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tieuse, si indispensable, cette dénomination contient tout, renferme tout, répond à tout elle abordera facilement le trône; elle ôtera tout prétexte à nos ennemis, elle ne nous exposera point à des combats, à des chocs dangereux dans tous les tems, qui pourroient nous être funestes dans l'état où nous sommes, et jusqu'à ce que nous ayons jeté des racines profondes cette dénomination simple, paisible, incontestable, deviendra tout avec le tems; elle est propre à notre naissance, elle le sera encore à notre maturité; elle prendra les mêmes degrés de force que nous-mêmes, et si elle est aujourd'hui peu fastueuse parce que les classes privilégiées ont avili le corps de la nation, quelle sera grande, imposante, majestueuse! elle sera tout, lorsque le peuple, relevé par nos efforts, aura pris le rang que l'éternelle nature des choses -lui destine ».

Quelques membres attaquèrent cette motion, et s'attachèrent principalement à définir le mot peuple, qui, suivant eux, ne pouvoit être adopté, soit qu'on le prit collectivement, soit qu'on le prit dans un sens

simple. Cette expression, disoit-on (1), est outrée, si elle désigne la totalité de la nation, et elle est trop foible, si elle signifie les communes; elle ne conviendroit ni au clergé ni à la noblesse; il n'étoit pas possible enfin d'adopter la qualification de représentans du peuple Français.

Mirabeau répondit (2) aux objections qui lui avoient été faites, par deux discours. Depuis, cet orateur a fondu ces deux discours en un seul; nous allons le rapporter tel qu'il nous l'a transmis dans sa onzième lettre à ses commettans.

« MESSIEURS,

« La manière dont un des honorables membres (3) a parlé, je ne dirai pas contre ma motion, mais contre la dénomination que j'ai choisie pour nous constituer représentans du peuple Français, l'approbation qu'ont donnée aux objections plusieurs de ceux qui ont parlé après l'honorable membre, m'ont causé, je l'avoue, une extrême

(1) Notes manuscrites.

(2) Dans la séance du 16 juin 1789.
(3) M. Barnave.

surprise. Je croyois avoir énoncé clairement mon opinion touchant la séparation des ordres; je croyois avoir présenté une série de résolutions qui montroient les droits et la dignité du peuple, et l'on m'apprend que ce mot de peuple a une acception basse, qu'on pourroit nous adapter exclusivement. Je suis peu inquiet de la signification des mots dans la langue absurde des préjugés; je parlois ici la langue de la liberté, et je m'appuyois sur l'exemple des Anglais, sur celui des Américains, qui ont toujours honoré le nom de peuple, qui l'ont toujours consacré dans leurs déclarations, dans leurs loix, dans leur politique. Quand Chatam renferma dans un seul mot la charte des nations, et dit la majesté du peuple; quand les Américains ont opposé les droits naturels du peuple à tous les fatras des publicistes sur les conventions qu'on leur oppose, ils ont reconnu toute la signification, tonte l'énergie de cette expression, à qui la liberté donne tant de valeur. Est-ce, MESSIEURS, à l'école des Anglais et des Américains que j'aurois appris à employer ce nom d'une manière suspecte qui blessât la délicatesse des représentans nationaux,

et que je serois devenu moins jaloux qu'eux de la dignité de notre assemblée? Non, je ne le pense pas; je n'imagine pas même que je puisse être accusé de dégrader le peuple, si je réfute l'opinion hazardée d'un préopinant dont la jeunesse peut bien ajouter à mon estime pour ses talens, mais ce n'est pas un titre pour m'en imposer.

Il répond à ce que j'ai dit sur la nécessité de la sanction royale, que lorsque le peuple a parlé, il ne la croit pas nécessaire. Et moi, MESSIEURS, je crois le veto du roi tellement nécessaire, que j'aimerois mieux vivre à Constantinople qu'en France, s'il ne l'avoit pas: oui, je le déclare, je ne connoitrois rien de plus terrible que l'aristocratie souveraine desix cents personnes qui demain pourroient se rendre inamovibles, après demain héréditaires, et finiroient, comme les aristocrates de tous les pays du monde, par tout envahir. Mais, MESSIEURS, puisque ma motion a été mal comprise, je dois la défendre avec des raisons plutôt qu'avec des récriminations ou des exemples tirés des langues étrangères. Je dois vous montrer en quoi elle ressemble à toutes les autres, et vous prouver que dans les points où elle

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