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SECTION V.

Effets de contrebande.

Marchandises

BLACKSTONE, discours préliminaire, tom. 1, pag. 83, après avoir dit que les $ 1. , meilleurs moralistes ont pensé, avec raison, que les lois humaines obligent hibées par les lois la conscience de l'homme,» distingue les devoirs naturels des devoirs posi- du royaume. tifs. Il convient qu'on est obligé en conscience de remplir les devoirs naturels, parce qu'ils sont prescrits par des lois supérieures, avant que les lois humaines eussent existé. Mais, ajoute-t-il, par rapport aux, lois qui n'or» donnent que des devoirs positifs et qui défendent des choses non mauvaises » par elles-mêmes, je ne vois pas que la conscience y soit intéressée. Il suffit de se soumettre à la peine prononcée par les lois de cette espèce, lorsque nous les avons enfreintes. »

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Cette distinction, qui est adoptée par une foule de nos casuistes, est réprouvée par Saint-Paul dans son épitre aux Romains, ch. 13. Il est nécessaire, dit l'apôtre, de se soumettre aux lois du prince, non seulement par la crainte du châtiment, mais aussi par un devoir de conscience: Ideò necessitate subditi estote, non solum propter iram, sed etiam propter conscientiam.

Un chrétien regarde la soumission aux princes, non comme un joug pesant, mais comme une obligation de conscience, et un devoir indispensable de la religion. Il s'en acquitte, non par la crainte des peines comme un esclave, mais par l'amour de la loi.

Nos jurisconsultes connaissent d'autres règles que celle qui nous apprend qu'on doit rendre à César ce qui est à César; et sans entrer dans des distinctions frivoles, ils soutiennent que les lois civiles obligent dans le for de la conscience. Pothier, tom. 2, pag. 748, et tom. 3, pag. 22.

Que par conséquent la contrebande est un crime plus ou moins grand, selon les circonstances. Dénisart, tom. 1, pag. 711.

Il suit de ce principe que les effets dont l'importation ou l'exportation sont prohibées en France, ne peuvent pas faire parmi nous la matière du contrat d'assurance; et qu'en cas de confiscation de la part de notre prince, les assureurs n'en sont pas responsables, même dans le cas où le fait leur eût été déclaré par une clause spéciale de la police. L'assurance est nulle; il n'est dû ni prime, ni droit de signature.

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Marchandises prohibées par les lois du pays étranger.

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Telle est la décision du Guidon de la mer, ch. 2, art. 2. « Assurances, est-il dit, se peuvent faire sur toute sorte de marchandises, pourvu que le transport ne soit pas prohibé par les édits et ordonnances du roi.»

Mais l'assurance des marchandises prohibées dans les pays étrangers est-elle valable? Rappelons quelques principes.

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‹ 1°. L'état naturel des nations les unes à l'égard des autres, est un état de » société et de paix. Cette société est aussi une société d'égalité et d'indépen› dance, et qui établit entre elles une égalité de droit, qui les oblige à avoir » les unes pour les autres les mêmes égards et les mêmes ménagemens. > Burlamaqui, Introduction au droit politique, part. 1, ch. 1, § 7. Wolff, S 1120. Vattel, disc. prelim., § 15 et suiv., liv. 2, ch. 3, § 36.

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2o. «Quiconque traite dans les terres d'un autre état, est tenu, comme sujet > à tems de cet état, de se soumettre aux lois du pays. Grotius, liv. 2, ch. 11, S 5. Wolff, § 1131 et suivans. Burlamaqui, d. loca, ch. 5, liv. 12. Vattel, liv. 2, ch. 8, no. 101, 108.

3°. Chaque souverain est en droit de prohiber dans ses états l'importation ou l'exportation de certaines denrées ou marchandises, sans que les étrangers, qui ont la même autorité chez eux, puissent s'en plaindre. Wolff, S 1908. Vattel, liv. 1, ch. 8, no. go.

4°. Les lois civiles n'ont aucune force vis-à-vis de l'ennemi: Silent leges inter arma. Ainsi, toutes les lois prohibitives qui, en tems de paix, subsistaient entre la France et l'Angleterre, se sont évanouies de droit, dès le moment de la guerre. On ne connaît plus que la force des armes. Vattel, liv. 3, § 175.

5°. Les neutres sont en droit de continuer le commerce avec chacune des nations belligérantes. Les assurances faites à ce sujet sont très-bonnes, pourvu qu'on n'ait usé de dissimulation envers les assureurs, et pourvu que le droit des gens, ou quelque traité préexistant ne s'y opposent. Vattel, disc. prélim., S 24, et liv. 3, § 110, 112. Wolff, S 1111.

Si le neutre a chargé comme sienne une marchandise propre aux sujets d'une des nations belligérantes, et que le véritable pour compte n'ait pas été dénoncé aux assureurs, ils ne répondent pas de la prise et de la confiscation. Ils en répondraient, si le véritable pour compte, couvert sous des expéditions simulées, leur avait été déclaré; parce que la chose n'a rien d'illicite par ellemême, et qu'il est injuste que le commerce d'une nation neutre soit troublé par une guerre qui lui est étrangère. On doit appliquer à ce dernier cas les doctrines de Santerna, part. 4, n°. 17; de Loccenius, liv. 2, ch. 5, no. 7, pag. 982; de Roccus, not. 21; infrà, ch. 12, sect. 20.

Est-il permis de faire assurer des

Venons maintenant à la question principale. Est-il permis de faire assurer des marchandises dont l'importation ou l'exportation sont prohibées dans un marchandises dont pays ami?

l'importation ou l'exportation sont prohibées dans un

D'après les principes ci-dessus établis, il semble qu'une pareille assurance pays ami? devrait être déclarée nulle, malgré la connaissance que les assurés auraient eue de l'interlop

Cependant l'usage est contraire.

Le statut de Georges II, dont parle Blackstone, ch. 30, tom. 3, pag. 370, après avoir défendu de faire des assurances, sans autre preuve d'intérêt que la police elle-même, ajoute, excepté sur les navires qui commercent en Espagne et en Portugal.

L'auteur observe que la raison de cette exception se présente assez d'elle-même : c'est-à-dire, parce que les Anglais faisant l'interlope dans les dominations d'Espagne et de Portugal, ne peuvent avoir des connaissemens qui prouvent le chargé.

Le même usage est toléré parmi nous.

Les sieurs Figon et Regayet, de Marseille, firent faire des assurances de sortie de la Rochelle jusques aux Iles espagnoles, avec pacte qn'ils ne seraient pas obligés de justifier du charge, attendu que le commerce dans ces Iles est défendu aux étrangers. Le navire fit naufrage. Les assureurs, attaqués en paiement de la perte, demandaient la preuve du chargé; ils disaient que le susdit pacte était vicieux, et que d'ailleurs on aurait pu faire double police du chargement, l'une véritable, l'autre simulée. Arrêt du 23 juin 1745, au rapport de M. de Boades, qui condamna les assureurs à payer les sommes assurées.

Lors de cet arrêt, les assureurs ne disputaient pas la légitimité du contrat en lui-même. Ils se bornaient à exciper du défaut de preuve du chargé. Mais voici un second arrêt, où la question de la légitimité du contrat fut élevée et débattue avec force par les parties intéressées.

En 1756, les sieurs Jaume et Lieutaud firent assurer 87,400 liv. de sortie des environs de Carthagène jusqu'à Marseille, sur les facultés consistant en soies, qui seraient chargées dans la tartane Saint-Joseph, capitaine Pierre Gautier.

A la hauteur du cap Pallos, cinquante-huit balles de soie furent nuitamment versées dans le navire. Les vents furent contraires au retour de la tartane. Elle fut arrêtée par le bateau des gardes du roi d'Espagne. Le capitaine se sauva à la nage, et les soies furent confisquées, attendu la contrebande. Les assureurs, attaqués en paiement de la perte, soutinrent que l'assurance

T. I.

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était nulle. Sentence de l'amirauté de Marseille, rendue à mon rapport, le 31 juillet 1758, qui les condamna à payer les sommes par eux assurées.

On me demanda les motifs de cette sentence; je les rédigeai. M. Valin les a insérés dans son ouvrage, art. 49, titre des assurances. Je distinguai la contrebande qui se fait en France, de celle que les Français font en pays étrangers. Toutes les marchandises dont l'importation ou l'exportation sont défendues en France, ne peuvent point être assurées, et les assureurs ne sont pas tenus de la confiscation prononcée par l'autorité du roi, parce que l'assurance est nulle. Il n'en est pas de même des marchandises dont la contrebande n'est que vis-à-vis des peuples étrangers. Vid. Straccha, gl. 5.

La distinction que je faisais, fut adoptée par arrêt du Parlement d'Aix, rendu le 30 juin 1759 (qui confirma la sentence).

Pothier, n°. 58, combat avec force cette même distinction. Il est faux, dit-il, » qu'il soit permis à un Français de faire dans un pays étranger un commerce › de contrebande, défendu par les lois du pays; ceux qui commercent dans

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» un pays sont, par le droit des gens et par la loi naturelle, obligés de se

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› conformer, pour ce commerce, aux lois du pays où ils le font. Chaque sou» verain a empire et jurisdiction sur tout ce qui se fait dans le pays où il a › droit de commander; il a par conséquent le droit de faire, pour le commerce » qui se fait dans ses états, des lois qui obligent tous ceux qui le font, les étrangers aussi bien que ses sujets. On ne peut disputer à un souverain qu'il n'ait le droit de retenir dans ses états certaines marchandises qui y sont, et » d'en défendre l'exportation : les en exporter contre ses ordres, c'est donner » atteinte au droit qu'il a de les y retenir, et par conséquent c'est une injustice. D'ailleurs, quand même, ce qui est faux, un Français ne serait pas par lui-même sujet aux lois d'Espagne, pour le commerce qu'il fait en Espagne, on ne peut pas disconvenir que les Espagnols, dont il est obligé de se servir, sont sujets à ces lois, et qu'ils pèchent grièvement en concou> rant avec lui à l'exportation défendue par lesdites lois. Or, par cela même qu'il ne peut faire ce commerce de contrebande en Espagne, sans engager » des Espagnols à pécher, il pèche lui-même, car c'est pécher que d'engager quelqu'un à pécher. Ce commerce est donc illicite et contraire à la bonne foi, et par conséquent le contrat d'assurance qui intervient pour favoriser » et assurer ce commerce, en chargeant l'assureur des risques de la confisca» tion auxquels il est exposé, est pareillement illicite, et ne peut par consé>quent produire aucune obligation..

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Je n'aurais garde de désapprouver la doctrine de cet auteur respectable;

mais peut-être qu'il aurait été moins rigide, s'il eût considéré que l'interlope est un vice commun à toutes les nations commerçantes. Les Espagnols et les Anglais en tems de paix le pratiquent chez nous. Il nous est donc permis, par une espèce de réprésaille, de la pratiquer chez eux. Vid. infrà, ch. 12, sect. 51.

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M. l'abbé Raynal, liv. 19, ch. 111, s'élève contre cette rivalité des gouver» nemens, qui gêne l'industrie par des prohibitions réciproques......

› La liberté générale de l'industrie et du commerce, voilà le seul traité qu'une › nation maritime devrait établir chez elle, et négocier chez les autres. Ce peuple serait le bienfaiteur du genre humain. Plus il y aurait de travail » sur la terre, de vaisseaux sur la mer, plus il lui reviendrait de ces jouis»sances qu'il cherche, et par des traités et par des guerres. Il n'y a point » de progrès de richesses dans un pays, s'il n'y a point d'industrie chez ses ⚫ voisins. D

Dans le ch. 4, section dernière, j'ai parlé de l'assurance qui a pour objet les effets de l'ennemi.

CONFÉRENCE.

LXVIII. Il n'y a sûrement pas de doute que toutes les marchandises dont l'importation ou l'exportation est défendue en France, ne peuvent être assurées. Par conséquent, les assureurs ne sont pas tenus de la confiscation prononcée par les lois françaises; dans ce cas, l'assurance est nulle, comme tout contrat qui viole la loi de son pays.

Mais il en est autrement de la contrebande faite en contravention des lois étrangères. Il est certain que s'il s'agit d'une expédition en interlope dans le pays étranger, et que l'assureur en ait eu connaissance, l'assurance est bonne.

Il en serait de même d'une charte-partie passée pour transporter de France en Angleterre des marchandises qui seraient de contrebande dans ce pays. Le capitaine ne serait pas moins tenu d'exécuter la convention, sous peine d'indemnité.

L'usage de faire le commerce en interlope, chez ses voisins, en a fait un droit commun de toutes les nations. En effet, comme l'observe Emérigon, l'interlope est un vice réciproque. Les étrangers le pratiquent chez nous. Il nous est permis, par une espèce de réprésaille, de le pratiquer chez eux.

Pothier s'élève contre cette doctrine; mais Pothier n'a point véritablement envisagé la question comme elle devait l'être dans un ouvrage de jurisprudence. (Voyez Pothier, assurances, no. 58 ).

Outre Emérigon, Valin, sur l'art. 49, titre des assurances, et le savant annotateur de Pothier, sur le n°. 58, attestent des règles contraires à l'opinion de Pothier, et ces règles, conformes à la loi politique et à la loi civile, sont aussi conformes à la jurisprudence des tribunaux.

Il faut faire observer ici avec M. Estrangin que l'arrestation d'un navire pour cause de contrebande n'est point un arrêt de prince, et que par conséquent on ne peut y appliquer

$ 3. Effets hostiles.

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