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Maintenant, la qualité du navire doit-elle être déterminée par celle de la cargaison? Il ne peut y avoir de doute à cet égard, d'après la loi du 29 nivôse, qui dispose que la qualité du navire neutre ou ennemi sera déterminée par celle de la cargaison. Elle ajoute que tout bâtiment chargé, en tout ou en partie, de marchandises venant de l'Angleterre ou de ses possessions, est de bonne prise.

Mais comment entendra-t-on les mots en tout ou en partie? Si le chargement est entier de marchandises prohibées ou de contrebande, il n'y a plus de doute. Si, au contraire, le navire n'est chargé qu'en partie de ces marchandises, il faut avoir recours au réglement de 1778, qui ne confisque le navire et la cargaison entière que lorsque les objets de contrebande excèdent de trois quarts la valeur du chargement.

Il faut d'ailleurs suivre la doctrine de Vattel, à l'endroit cité, relativement à la recousse faite par un auxiliaire ou allié. En effet, les choses qu'ils reprennent sur nos ennemis, c'est comme si elles se trouvaient immédiatement en notre puissance.

Dans le recouvrement d'une prise, il faut distinguer le cas où la prise a été faite par des pirates ou voleurs de mer, de celui où elle l'a été par des ennemis déclarés, ou par des armateurs reconnus par l'autorité publique. Dans le premier cas, les pirates n'ayant aucun droit de faire des prises, le propriétaire de la prise n'a pas cessé de l'être, et la prise doit lui être rendue. Dans le second cas, au contraire, l'armateur étant autorisé à se rendre maître de la prise, il en est devenu légitime propriétaire, et par conséquent la recousse est considérée comme faite sur le dernier possesseur.

Du reste, les principes que professe Emérigon sur la recousse des billets de rançon et des ôtages, sont incontestables. (Voyez sur ces matières, outre les autorités marquées par Emérigon, l'auteur du Droit maritime de l'Europe, tom. 2, chap. 4, art. 5; l'ordonnance de mars 1584; l'arrêté du 2 prairial an 11; la loi du 29 nivôse; l'arrêté consulaire, du 9 ventôse an 9, Bulletin des lois 71, no. 548, etc. )

JURISPRUDENCE.

1o. La recousse par un bâtiment français' d'un navire étranger qui était de bonne prise pour le premier capteur, est de bonne prise pour le deuxième capteur (fût-il même un allié), si ce capteur est un corsaire, et non un vaisseau de l'Etat. - ( Décision du Conseil des prises, du 23 pluviôse an 'g, Sirey, additions au tom. 1, pag. 293 ).

2o. Un navire étranger se prétendant neutre, et recous par un Français sur l'ennemi, doit être relâché, si sa neutralité est constatée.

Mais il n'en doit pas être de même de sa cargaison, s'il est prouvé qu'elle est ennemie. Dans ce cas, elle doit être adjugée au profit de l'armateur et de l'équipage du corsaire qui a fait la recousse.

pag. 201).

· (Décision du Conseil des prises, du 6 thermidor an 8, Sirey, ibid.,

3. Lorsque des bâtimens de commerce sont attaqués et combattent pour une légitime défense, ils sont assimilés aux bâtimens armés en course et ont un droit à la même récompense de recousse que les bâtimens corsaires. · ( Décret approbatif d'une décision du Conseil des prises, du 31 mai 1807, Sirey, 1816, 2o. part., pag. 260 ).

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SECTION XXIV.

Navire qui, sans être recous, est abandonné par l'ennemi.

L'ART. 9, titre des prises, dit : « Si le navire, sans être recous, est abandonné › par les ennemis, ou si, par tempête et autre cas fortuit, il revient en la ⚫ possession de nos sujets, avant qu'il ait été conduit dans aucun port ennemi, › il sera rendu au propriétaire qui le réclamera dans l'an et jour, quoiqu'il ait » été plus de vingt-quatre heures entre les mains des ennemis..

Ce navire sera rendu au propriétaire, et par conséquent aux assureurs, le délaissement a été fait à ceux-ci.

si

M. Valin, tom. 2, pag. 241, compare ce cas à celui du naufrage, et il soutient que le tiers de la valeur du navire ainsi recouvré appartient à celui qui l'a sauvé des flots.

Mais l'Ordonnance résiste à cette comparaison: elle veut, en l'art. 9, titre des prises, que le navire soit rendu au propriétaire, et en l'art. 27, au même titre, elle dit qu'il sera restitué à qui il appartient.

Le Guidon de la mer, ch. 11, décide également que la nef abandonnée doit 'être restituée à qui elle appartient.

Le Consulat, ch. 287, renferme la même décision; il ajoute seulement qu'on doit accorder à celui qui ramène le navire ainsi délaissé par l'ennemi, une honnête récompense, un beveraggio, o sia regalo, indépendamment des frais faits à ce sujet. Targa, ch. 46, no. 10, pag. 197.

La décision du Consulat de la mer est très-juste. L'Ordonnance ne prescrit rien de contraire, et doit par conséquent être entendue relativement à ce que l'équité naturelle avait déjà déterminé sur ce point: il faut donc que celui qui ramène à bon port le navire pris et abandonné par l'ennemi, se contente d'une récompense honnête, toujours inférieure au tiers de la valeur du navire ramené. Cette récompense est réglée arbitrio boni viri.

Il est plus facile de sentir que de définir ce qu'on doit entendre par arbitrium boni viri; c'est l'arbitrage de l'équité même, arbitrium æquitatis, comme dit Cujas, ad leg. 1, ff de legat., 2°. ; c'est se déterminer d'après les lumières de la raison et de la justice; c'est prononcer une décision qui soit approuvée par tout homme juste et éclairé.

Les docteurs nous apprennent que ce qui n'a pas été prescrit par le législateur est laissé à l'arbitrage du magistrat : Judicis officio sive arbitrio relinquuntur, quæ lege non definiuntur. La voix du juge supplée alors à celle de la loi, dont il devient, en quelque manière, l'aide et le secours : Quod à judice fit, dicitur fieri ab ipsâ lege; proptereà judex meritò legis auxilium appellatur. Il doit donc, en pareil cas, se diriger par les règles générales du droit et par l'équité naturelle, sans s'écarter jamais des bornes légitimes: Debet judicis arbitrium esse regulatum secundùm subjectam materiam et secundùm jus commune; in præstando arbitrio suo metas juris, rationis naturalis et æquitatis, excedere non debet, cùm boni viri arbitrio fieri non dicatur, quod sine ratione fit. Xammar, de officio judic., part. 1, quest. 9, no, 134. Vid. infrà, ch. 20, sect. 5, § 2.

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CONFÉRENCE.

CXXIX. Si la loi résiste ici à la comparaison que fait Valin de ce cas avec celui de naufrage, il faut cependant dire, avec ce célèbre commentateur, qu'il n'a également rien de commun avec le droit de recousse, puisqu'il s'agit simplement d'un navire français pris par l'ennemi, qu'il a ensuite abandonné au gré des flots, ou qui lui a échappé par tempête, ou autres cas fortuits. (Valin, sur l'art. 9, titre des prises). Il faut aussi faire observer, avec Valin, ennemi, et qu'il en fût ensuite chassé et sur qui il avait été pris, ne sera plus en droit alors de le réclamer. Ce navire sera jugé nécessairement une propriété ennemie, et par conséquent sujet à confiscation. bidem).

que si le navire avait été conduit dans un port poussé sur les côtes de France, le propriétaire

(Valin,

C'est ce qui résulte de la disposition de l'art, 9, titre des prises, de l'Ordonnance, qui ne rend le navire au propriétaire que dans le cas où ce navire retourne dans la possession de ce dernier, avant d'être entré dans un port de l'ennemi.

Quoique le navire eût été vingt-quatre heures dans la possession de l'ennemi, s'il n'a pas été conduit dans le port de l'ennemi, le propriétaire rentre dans son ancienne possession, sauf à accorder récompense à celui qui a ramené le navire délaissé, et la loi lui donne un an et jour pour le réclamer. (Voyez l'art. 9, titre des prises, de l'Ordonnance).

Mais quid, si le navire a été abandonné par l'ennemi en faveur de quelques marins de l'équipage? Cette donation ne peut également prévaloir au préjudice des véritables proprié

taires.

JURISPRUDENCE.

La donation d'un navire par le capitaine capteur en faveur de quelques marins de l'équipage renvoyés par lui, moyennant rançon, ne peut être validée, en France, au préjudice des véritables propriétaires.

Dans ce cas, les marins qui ont ramené le navire peuvent seulement être considérés comme sauveteurs en pleine mer, et ont droit, en cette qualité, au tiers de la valeur du navire. (Décision du Conseil des prises, du 18 août 1813, Sirey, 1816, 2o. part., pag. 113),

SECTION XXV.

Navire repris par son propre équipage.

Les bêtes sauvages ne nous appartiennent qu'autant que nous les tenons sous notre garde; si elles nous échappent, elles recouvrent leur liberté naturelle : Quidquid eorum ceperimus, eousquè nostrum esse intelligitur, donec nostrâ custodiâ coërcetur. Cùm verò evaserit custodiam nostram, et in naturalem libertatem se receperit, nostrum esse desinit, et rursus occupantis fit. L. 3, § 2, ff de adquir. rer. domin.

Si le peuple subjugué par l'ennemi secoue le joug (à l'exemple de ce que firent les Génois vis-à-vis des Autrichiens, lors de la guerre de 1744), il rentre dans tous ses droits, et recouvre son premier état. Vattel, liv. 3, §§ 213 et 228. Il en est de même des prisonniers qui, secouant le joug du capteur, se rendent maîtres de leur propre navire.

La pinque Sainte-Anne, capitaine Pierre Arnaud, venant de Damiette, fut prise par un corsaire anglais, qui l'amarina pour Livourne, sous le commandement d'un officier et de douze matelots. Six jours après, les prisonniers qui avaient été laissés à bord, trompant la vigilance des vainqueurs, reprirent le navire, et le conduisirent à l'Ayasse, en Corse; de là à Marseille.

Ils prétendaient que c'était une recousse faite par eux-mêmes après les vingtquatre heures, et que le tout leur appartenait, suivant l'art. 8, titre des prises. Les propriétaires et les assureurs, pour lesquels j'écrivais, répondaient, 1o. que l'art. 8, titre des prises, parle du navire qui aura fait la recousse, et nullement des prisonniers qui recouvrent leur première liberté;

2°. Qu'on se trouvait plutôt au cas de l'art. 9, titre des prises, où il est parlé du navire pris par les ennemis, et qui revient par cas fortuit en la possession des sujets du roi;

3°. Que les gens de l'équipage français étant aux gages du navire, étaient obligés par état de le conserver, et par conséquent de le reprendre, lorsque la chose est possible;

4°. Qu'ils avaient agi pour eux-mêmes, puisqu'ils avaient recouvré leur liberté, leurs hardes, leurs pacotilles et leurs salaires.

de

Sentence du 8 janvier 1748, qui, sans s'arrêter à la requête des gens l'équipage de la pinque Sainte-Anne, adjugea cependant 300 liv. de gratifi

cation au capitaine Arnaud, 130 liv. au nocher, 115 liv. à l'écrivain, et 100 liv. à chaque matelot. Le tout indépendamment de leurs salaires. Cette sentence est approuvée par M. Valin, sur l'art. 8, titre des prises, et dans son Traité des prises, ch. 6, § 1, no. 18.

Autre décision. En novembre 1780, la tartane la Vierge du Rosaire, chargée de cuirs et de barille, commandée par le patron Claude Maunier, partit de Marseille pour se rendre à Cannes.

Elle fut prise par un corsaire mahonois, qui l'amarina pour Ville-Franche. Huit jours après, le mauvais tems' força le capitaine de la prise à relâcher vers Cavalaire, près de Saint-Tropez. ›

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Le patron Maunier se sauva à terre. Il trouva quinze hommes de bonne volonté qui, armés de fusils, entrèrent avec lui dans un bateau, reprirent la tartane, et la conduisirent à Saint-Tropez. Ils prétendaient qu'elle leur appartenait par droit de recousse.

Les intéressés et les assureurs vinrent me consulter. Je leur répondis, 1°. que le bateau qui avait fait la reprise n'ayant point de lettres de marque, on n'était pas au cas de l'Ordonnance. Infrà, sect. 40.

2°. Que le devoir d'un capitaine est de conserver, de défendre, et par conséquent de recouvrer le navire à lui confié; qu'il ne peut jamais devenir corsaire du navire même dont il avait été établi maître et patron.

3°. Que ceux qui avaient donné du secours au patron Maunier, n'avaient pas plus de droit que lui, et qu'ils étaient seulement au cas d'être récompensés.

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Le lieutenant de Saint-Tropez ordonna que, sans préjudice du droit des ⚫ parties, la tartane se rendrait à Cannes, lieu de sa destination primitive. Elle s'y rendit, et les choses furent arrangées relativement à mon avis.

CONFERENCE.

CXXX. Le navire repris par son propre équipage retourne incontestablement à son maître, sans égard au tems que l'ennemi l'a eu en son pouvoir. Aux décisions que cite Emérigon, il faut ajouter celle du Conseil des prises, du 7 vendémiaire an 12.

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JURISPRUDENCE.

Il n'y a pas recousse dans le cas où le navire est repris par l'équipage capturé qui se délivre lui-même. En tel cas, on ne doit à l'équipage qu'une récompense proportionnée à l'importance du service. (Décision du Conseil des prises, du 7 vendémiaire an 12, Sirey, an 12, 2o. part, pag. 5).

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