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chiennes, aussitôt que faire se pourra, sans inconvénient pour la tranquillité du pays et la consolidation de l'autorité du saintsiége;

2. Que la plupart des plénipotentiaires n'ont pas contesté l'efficacité qu'auraient des mesures de clémence, prises d'une manière opportune par les gouvernements de la péninsule italienne et surtout par celui des Deux-Siciles.

14 mai 1856.

Rapport de M. le comte de Rayneval, envoyé français à Rome, à M. le comte Walewski, ministre des affaires étrangères de France.

Monsieur le comte,

Rome, 14 mai 1856.

La situation des États pontificaux préoccupe en ce moment plus que jamais les différents cabinets de l'Europe, et en particulier le gouvernement de l'Empereur, au double point de vue des intérêts du catholicisme et de la protection armée, que la France et l'Autriche prêtent au saint-siége. Cette question est envisagée sous tant d'aspects divers, elle est tellement dénaturée par l'esprit de parti, elle excite en sens contraire de si violentes passions, qu'une revue véridique et impartiale des faits ne semble pas hors de propos.

Bien que les accusations portées contre le gouvernement pontifical puissent être grandement exagérées, il est certain que ce gouvernement est vulnérable sur un point; son territoire est occupé par des troupes étrangères, et il est douteux qu'il puisse se passer de cet appui. Tout État indépendant doit être en mesure de se suffire à lui-même et d'assurer sa tranquillité intérieure par ses propres forces. On reproche à la cour de Rome de manquer à cette condition; on s'enquiert des causes de sa faiblesse, et on l'attribue généralement au mécontentement que causent parmi ses sujets les vices de l'administration.

La cause réelle de la faiblesse du gouvernement pontifical est

beaucoup moins simple. Elle se rattache à un ordre d'idées tout différent. Mais, se plaindre de l'administration est, pour arriver à une conclusion, une manière plus commode et plus expéditive que d'interroger laborieusement l'histoire et les tendances de la race italienne. Le malaise et le mécontentement des populations naissent plus facilement de ce fait, que le rôle de l'Italie dans le monde n'est pas en rapport avec ses visions et ses aspirations. Ce sentiment naturel s'est manifesté avec une vivacité égale à toutes les époques, et le pouvoir temporel du pape a été constamment regardé comme le principal obstacle à sa satisfaction..

Dans le cours des deux derniers siècles, la prospérité générale de l'établissement pontifical et les ressources abondantes qui affluaient à Rome de toutes les parties du monde, imposaient silence aux plaintes. Mais les grands changements accomplis en Europe dans les cinquante années qui viennent de s'écouler, ont tari la source de la prospérité romaine. L'Église a été contrainte de se contenter des revenus qu'elle tire exclusivement de son territoire. De là un malaise qui, croissant d'année en année, pousse par une pente aisée les esprits à discuter et à attaquer les actes du gouvernement.

La papauté, protégée jusqu'ici par un grand prestige, commence à perdre dans l'estime du peuple. Les dernières traces des anciennes souverainetés ecclésiastiques ont disparu dans le reste de l'Europe. Nos pères, accoutumés à la vue de ces souve rainetés, n'y voyaient rien d'extraordinaire. Aux yeux de la nouvelle génération, un gouvernement de cette espèce, resté seul debout dans le monde, devient une anomalie à laquelle on prodigue les critiques. En même temps, le système constitutionnel, qui séduit aisément les peuples, s'est insensiblement implanté dans le plus grand nombre des États.

On se demande s'il est conforme à l'esprit du siècle, s'il est convenable d'obéir à un prêtre et de perpétuer un système suranné? Et d'ailleurs, comment serait-il possible d'établir un système de libertés publiques et de libre discussion en présence d'un pouvoir qui revendique l'infaillibilité en matière spirituelle et s'appuie exclusivement sur le principe d'autorité? Comment organiser une Italie puissante aussi longtemps que la

Péninsule est divisée en deux parties distinctes, par un État neutre, par la nécessité de sa nature et isolé de tous les conflits européens? Comment l'Italie jouerait-elle un grand rôle, quand sa partie centrale est en possession d'un souverain qui ne porte pas d'épée ? D'autres causes, non moins puissantes, ont encouragé ces tendances hostiles.

L'Italie avait toujours tenu le sceptre, sinon de la guerre ou de la politique, qui ne sont pas exactement de son ressort, au moins de la civilisation, de la science et de l'art. Tous ont senti que ce sceptre échappait à ses mains. Les mille voix de la presse apprenaient chaque jour aux Italiens les progrès de leurs voisins et leur faisaient sentir qu'ils étaient devancés sur une foule de points. Si, grâce à l'aveuglement de l'amour-propre national, ce sentiment n'est pas encore universel, il n'en est pas moins vrai qu'une grande partie de la population s'est sentie menacée jusque dans les derniers retranchements de son légitime orgueil; nouveau grief terrible à porter au compte des gouvernants. En même temps, la tolérance hautement avouée de plusieurs cabinets pour les plaintes des populations n'était pas, il faut l'avouer, un de leurs moindres encouragements.

Sur un terrain ainsi préparé, les insurrections et les révolutions ne pouvaient manquer de germer avec facilité. Elles ont mis le pays sens dessus dessous et ont laissé des traces profondes de leur passage. La victoire momentanée obtenue sur la papauté l'avait complétement dépouillée de tout prestige. Ce n'était plus l'arche sainte contre laquelle aucun effort humain ne pouvait prévaloir. En vain elle accumulait concession sur concession; le principe même de son existence était mis en question. On s'habituait à l'idée de voir cesser cette existence. Les passions hostiles puisaient de nouvelles forces dans la conscience d'un succès probable, là, où toute espèce de succès avait dès longtemps paru impossible; et plus que jamais la vanité nationale attribuait ses blessures à une administration que sa nature même, toute spéciale, offrait en butte aux attaques. Les préjugés contre ce qu'on appelle un gouvernement de prêtres étaient parvenus à leur point culminant.

Ici il devient nécessaire de présenter quelques observations sur le caractère particulier des Italiens. Le trait saillant de ce

caractère est l'intelligence, la pénétration, la conception vraie de toutes choses. Ces dons précieux que la Providence a répandus sur l'Italie avec plus de profusion que partout ailleurs et qui brillent encore de tout leur luxe antique, sont chèrement rachetés, sauf quelques remarquables exceptions, par le manque total d'autres qualités, telles que l'énergie, la force d'âme et le vrai courage civil. Il est rare de voir les Italiens fermement unis entre eux. Toujours en suspicion les uns à l'égard des autres, ils vivent constamment séparés. Chacun n'a de confiance qu'en soi-même et resté isolé. De là vient qu'ils n'ont ni associations commerciales ou manufacturières, ni entente commune, ni combinaisons pour les affaires privées ou publiques. Avec de pareilles dispositions, ils sont dépourvus de l'élément essentiel du pouvoir public; la force organisée leur manque totalement.

Les armées, qui ne tiennent ensemble que par la confiance réciproque des soldats et l'obéissance envers le général, sont impossibles. Les rangs sont au complet à la parade; mais à l'heure du danger les chefs sont accusés de trahison, et les soldats ne peuvent compter les uns sur les autres. Ce défaut d'équilibre entre l'intelligence et le caractère, chez les Italiens, donne la clef de toute leur histoire et explique l'état d'infirmité politique où ils sont restés vis-à-vis des autres peuples de l'Europe. Livrés à eux-mêmes, ils n'ont jamais su faire autre chose que disputer sur la place publique, donner la victoire en définitive aux partis extrêmes, se consumer en agitations stériles, se diviser et se subdiviser à l'infini, et livrer leur pays au premier occupant, aux Français, aux Espagnols, aux Allemands. Chaque nation porte la peine de ses défauts; mais comment parvenir à lui faire comprendre que son infériorité doit être attribuée à elle-même et non à son gouvernement?

Il est de mode de prendre les Piémontais pour des Italiens et de les montrer comme un exemple de ce qui peut être attendu des populations italiennes.

C'est une grande erreur. Les Piémontais sont une nation intermédiaire contenant plus d'éléments français et suisses que d'éléments italiens. Un fait suffit pour me convaincre de cela, c'est qu'ils possèdent ce véritable esprit guerrier et monarchique qui est inconnu au reste de l'Italie.

L'esprit italien, quant à la politique et à l'administration, est par sa nature porté vers les moyens termes, les accommodements. L'interprétation est considérée comme au-dessus de la loi elle-même. Suivant religieusement les traditions de l'ancienne Rome, la jurisprudence est un principe gouvernemental. On rencontre cette tendance partout. Elle exerce une très-heureuse influence sur le progrès des affaires; mais, dans la pratique, elle laisse au gouvernement une très-grande latitude, et enlève de son autorité à la loi, encourageant ainsi les gouvernés à se soustraire à l'application rigoureuse de ses prescriptions; une loi inflexible leur serait odieuse; une administration s'attachant strictement à la lettre de la loi, sans compromis, leur paraîtrait insupportablement dure.

Examinons les désirs et les tendances possibles en ce moment des populations. Elles formulent leurs plaintes beaucoup plus que leurs plans. Quant à leurs plans, on peut dire qu'il y en a autant que d'individus. Dans les dernières profondeurs de la société, le carbonarisme existe; il continue à faire des recrues : le poignard est toujours là en honneur; le but poursuivi est le renversement de tout ordre social.

Les adeptes de Mazzini forment déjà une classe de quelques degrés au-dessus de la dernière. La république universelle, l'unité de l'Italie, le gouvernement constitutionnel, la guerre contre l'Autriche, tel est leur programme.

Ils disent qu'ils sont un corps considérable et prêt à agir, mais jamais ils n'ont tenu parole. Dirigés par les comités de Londres et de Genève, leur mot d'ordre est la tranquillité et l'inaction pour le moment, jusqu'au retour de leurs chefs, par suite d'une amnistie, et jusqu'à ce que le départ des troupes étrangères leur donne l'occasion d'opérer avec quelque chance de succès. Cette section s'étend à une certaine portion de la classe moyenne. Cette classe et les classes plus élevées en général sont tourmentées du désir de prendre part aux affaires publiques.

L'exemple du Piémont leur tourne la tête. Une constitution à l'anglaise est à leurs yeux merveilleusement adaptée à leurs mœurs et aux besoins du pays. Ils désirent pour eux et pour ⚫ leur patrie une grande étendue d'action. Ils se regardent comme déshérités. Convaincus que la présence du pape est un obstacle

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