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République, l'Empire et la Restauration avaient passé sans modifier un seul de ses principes, l'honorable M. Salverte, monta le premier à la tribune. Il y avait dans l'esprit de M. Salverte plus de philosophie politique que de sens pratique des affaires. C'était un de ces respectables rhéteurs que l'on écoute avec déférence, sinon avec enthousiasme; en commençant une discussion, il la plaçait tout d'abord sur un terrain de convenance parlementaire dont l'influence pouvait s'exercer un moment sur la suite des débats. Après avoir fait ressortir le sentiment d'hostilité qui animait contre la France les peuples constitués par le gouvernement absolu, il s'étonne que le ministère ferme les yeux sur les troubles qui pourraient agiter les provinces de l'Ouest; il signale l'existence à Édimbourg d'un consul placé par M. de Polignac, et qui, étant appelé à exercer sur le prisonnier d'Holy-Rood une certaine surveillance, se trouvera forcé d'être ingrat ou de trahir ses devoirs. Enfin il vote pour le subside demandé; mais, pour ne pas perdre l'occasion de donner satisfaction aux principes de libéralisme qu'il a toujours professés, il demande pour compensation que l'on étende les droits électoraux. Le discours et les conclusions de cet orateur ne devaient pas paraître assez opposés au vœu du gouvernement pour que M. Thiers crût devoir lui répondre; mais bientôt après, le général Lamarque montait à la tribune, et son éloquence mâle et pittoresque rendait à la polémique toute son ardeur. Les luttes de l'Empire se réveillaient dans l'âme du général; et bien que le thème sur lequel il s'élançait avec toute son

gin. Lamarque

ardeur méridionale fût le même qu'en 1815, cependant ce n'était pas sans un sentiment national vivement excité que l'on recueillait les regrets de ce soldat orateur, qui voyait la France isolée en présence de l'association envahissante des autres peuples de l'Europe, et qui la croyait avilie pour ne pas être dominatrice.

« Déroulons, disait-il, le tableau de l'Europe, tel que les événements l'ont faite : l'Espagne a perdu ses colonies; elle est sans marine, et si elle pesait dans la balance, ce serait contre nous. La Hollande, qui n'est plus celle des Tromp et des Ruyter, ne compte plus que nominalement au rang des puissances. L'Autriche, maîtresse en réalité de l'Italie, a pris sa part des trois partages de la Pologne; elle compte treize ou quatorze millions de sujets de plus qu'elle n'en comptait en 1789. Parvenue au plus haut point de prospérité, l'Angleterre, désormais sans rivale, domine la Méditerranée par Gibraltar, Malte et Corfou. Briarée aux cent bras, elle commande aux Indes occidentales et aux Indes orientales, où les stations du Cap, de Sainte-Hélène, de notre île de France et de Ceylan, lui assurent cent millions de sujets... et, c'est devant ces puissances qui, en 1815, se partagèrent trente-un millions sept cent cinquante mille âmes démembrées du grand empire créé par Napoléon, et dont l'Autriche eut pour sa part près de neuf millions, qu'on vient nous parler d'ÉQUILIBRE EUROPÉEN!!... Nos dangers sont imminents. Qui a pu nous jeter dans cette voie fatale? Qui? je l'ai déjà dit à cette tribune : une erreur de jugement, un faux principe, ou plutôt l'absence de

tout principe. On n'a pas osé, il est vrai, revenir au droit divin qui perdit les Stuarts, que le règne de Louis XVIII à Mittaw et à Hartwell rendait ridicule à tous les yeux, et que l'article 14 qu'il avait dicté dans la Charte venait de tuer; mais on n'a pas voulu se soumettre franchement à la souveraineté du peuple. Un ministère équilibriste a cru pouvoir trouver un terme moyen entre deux dogmes absolus; il a cru pouvoir combiner les résultats des journées de Juillet avec les doctrines de la Restauration, en prenant un ⚫ peu d'usurpation, un peu de légitimité, oignant les droits de la nation avec une parcelle de crème de la sainte ampoule, il a humblement prié les souverains de vouloir bien donner leur approbation à des actes qu'ils ne pouvaient pas approuver, et il s'est soumis à des concessions qui n'ont fait que les raffermir dans leurs résolutions. >

Et, en terminant son discours, le général Lamarque jetait au ministère, pour condition de son suffrage, le défi de répondre d'une manière satisfaisante à quatre questions qu'il formulait ainsi :

1o Le gouvernement français consent-il à ce que le Luxembourg soit détaché de la Belgique, et qu'il passe ainsi sous la domination de la confédération du Rhin, c'est-à-dire sous celles de la Prusse et de l'Autriche?

2o Souffrirait-il que la Belgique revînt, dans le fait, sous le joug hollandais, en permettant que le prince d'Orange occupât un trône que la France a cru devoir refuser?

3o En nous soumettant aux conditions honteuses

que nous a imposées le congrès de Vienne, exigera-ton du moins que l'article 5 du traité du 3 mai 1815, qui assure à l'héroïque Pologne des institutions nationales, soit exécuté?

4° Souffrirons-nous, en contradiction avec notre politique de tous les temps, que l'Autriche devienne, en réalité, dominatrice de toute l'Italie?

A cette formule précise, M. Mauguin venait ajouter toute son acrimonie ironique contre M. le président du conseil. Ces subsides que le ministère demandait pour la paix, l'orateur déclare que s'il les accorde, c'est parce qu'il regarde la France comme condamnée à la guerre. »

Le système de l'opposition, tel qu'il résulte de l'examen de sa tactique à cette époque, était de faire croire à la guerre pour s'emparer du pouvoir, afin de la diriger. La Chambre semblait être partagée en deux camps bien distincts, comme la situation politique était divisée en deux principes. Nous n'avons pas à retracer ici l'appréciation bien souvent inexacte de la politique étrangère par l'opposition. Quinze années de paix sont venues prouver que M. Casimir Périer voyait juste et que l'opposition voyait faux. Le rôle des ambitions déçues est d'agiter; et, il faut le reconnaître, l'habileté à saisir l'élément le plus fécond des passions populaires a été poussée au plus haut degré, en particulier par l'honorable M. Mauguin. Il lui était facile de présenter l'Europe comme hostile à la France : l'Europe se taisait, observait prudemment nos démarches, ne se livrait pas, attendait que cette nation si prompte et si décidée prît parti pour la paix ou pour

la guerre rien ne devenait donc plus facile, rien plus capable d'animer une verve éloquente, que ce silence qui pouvait être calme ou terrible au gré des hommes d'Etat. Si l'on songe à toutes les difficultés qui se soulevaient devant les partisans de la paix; quels préjugés ils avaient à combattre; quelle abnégation à témoigner; quel courage à braver l'impopularité qui est et doit être la conséquence de ce sentiment froid et sévère qui lutte contre soi-même, arrête l'entraînement instinctif de cette belle et noble passion si française, la bravoure; certes, on doit comprendre et plaindre, du plus profond du cœur, le frémissement febrile qui tourmentait ce grand ministre, le plus chevaleresque, le plus courageux des hommes, lorsque M. Mauguin ne craignait pas d'im primer sur son noble et måle visage un masque de trahison ou de lâcheté. Aussi, l'on peut lire dans les discours des adversaires de Casimir Périer quelle éloquence ils trouvaient pour les généralités de la discussion; quelle pauvreté lorsqu'il fallait conclure. Ce discours de la séance du 5 avril, ce cri de guerre jeté dans une assemblée qui ne demandait qu'à faire preuve de courage, comment se termine-t-il?

« Je ne dis point, conclut M. Mauguin, qu'il faut faire la guerre, mais je dis qu'il faut demander aux puissances de se décider. En vérité, retrouvet-on là l'homme politique que paraissait révéler le tribun?

Mais le coup avait porté. Il fallait refroidir ce que ces discours avaient animé; il fallait ramener la Chambre à un examen sérieux et pratique de la situation. Rien

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