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!" auvenarques : doctrine complète sur l'homme sa nature et sa

Destination.

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philosophe chagrin; La Bruyère, un peintre admirable; ¡Vauvenargues seul me semble avoir donné une doctrine complète sur l'homme, sa nature et sa destination.

Vauvenargues n'apprit rien dans les livres. Il en avait fort peu lu, et il ne savait que sa langue. Il ne vécut point dans l'oisiveté; il ne se plaça pas à l'écart pour observer quelques allures ridicules. Agé de dix-huit ans, dénué de forces et de santé, il fut jeté au milieu des camps; et tandis qu'une philosophie trop hâtive annonçait la vérité longtemps avant de l'avoir découverte, lui, silencieux et souffrant, mais ne perdant pas courage, étudiait ses semblables au milieu des glaces du Nord. Qu'apprit-il durant ces cruelles épreuves?..... que l'homme est malheureux et méchant, que le génie est un don nuisible, et Dieu une puissance malfaisante?. Certes, beaucoup de philosophes, sans souffrir, ont avancé pire, et Vauvenargues, qui souffrait cruellement, n'imagina rien de pareil. Le monde lui parut un vaste ensemble où chacun avait sa place, et l'homme un agent is but n'er par puissant dont le but est de s'exercer; il lui sembla que, puisque So beaucoup l'homme est ici-bas pour agir, plus il agit, plus il remplit son but. agir, mais to bien Vauvenargues comprit alors les ennuis de l'oisiveté, les charmes gi. On a vu du travail, et même du travail douloureux ; il conçut un mépris proDer bandits fond pour l'oisiveté, une estime extrême pour les actions fortes. Dans June très grande le vice même, il distinguait la force de la faiblesse, et, entre Senéadivité. cion, vil courtisan sous Néron, et Catilina, monstrueux ennemi de sa patrie, il préférait pourtant le dernier parce qu'il avait agi.

le

Le monde, suivant Vauvenargues, est ce qu'il doit être, c'est-àdire fertile en obstacles; car pour que l'action ait lieu, il faut des difficultés à vaincre, et le mal est ainsi expliqué. La vie enfin est une action; et, quel qu'en soit le prix,, l'exercice de notre énergie suffit pour nous satisfaire, parce qu'il est l'accomplissement des lois de १. notre être. Telle est en substance la doctrine de Vauvenargues.

Veut-on savoir quel est son style? Il est simple, vrai, modelé sur les choses; c'est l'univers réfléchi dans une eau limpide. Il ne fait rien contraster d'une manière frappante; il voit harmonie partout, et il rend avec simplicité et justesse ce qu'il a trouvé simple et juste. Il est pourtant éloquent, parce qu'il a une âme sensible et forte; il

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peint, mais avec vérité et sans saillie; il satisfait et n'étonne jamais. Dans l'opinion des hommes, Pascal est supérieur à Vauvenargues, et a dû le paraître mais il a moins découvert; car les découvertes n'ont pas lieu en raison de la force d'intelligence. Consumé par son génie, Pascal cherche un aliment à son âme ardente, et, dégoûté de la terre, cherche la vérité; mais ce qu'il est donné à l'homme d'en connaître ne lui suffit pas. Dans le fond de cette solitude de PortRoyal, immortelle comme le Lycée ou le cap Sunium, il se tourmente, il observe l'homme sous toutes les faces; tantôt n'y voit que boue, tantôt un rayon céleste; il ne voit qu'inquiétude dans l'activité humaine, et non, la mission et le devoir d'agir. Dans ce sublime délire, à peine calmé par une foi vive, il expire, laissant le monde étonné de ses pensées si précoces, de ses paroles si fortes et si profondes. Ne cherchant point à franchir ses limites, Vauvenargues se résigne aux lois de son être, et apprend tout ce qu'il faut savoir. C'est le génie, payé de sa soumission par la découverte de vérités utiles.

Cet homme, comment mourut-il? malheureux, pauvre, ignoré: il devait s'y attendre. La vérité avance à chaque instant, mais avec lenteur, parce qu'elle est faite pour durer; et l'homme, son organe passager, périt avant le triomphe. Mais, comme il l'avait dit en parlant du mérite, il eut des dédommagements. Un grand homme, léger, railleur, mais doué d'un sens exquis, Voltaire devenu sérieux, entoura ses derniers instants d'hommages et de respects.

Tel est le moraliste auquel il faut rendre une justice entière, sans le faire au détriment des autres; car tous les mérites vont ensemble, comme toutes les vérités.

Cependant, la vie que menait M. Thiers, dans cette petite ville, sur un théâtre inconnu, les petites arguties du droit et les aptitudes du jeune étudiant vers de grandes choses, lui rendaient antipathiques les luttes étroites du barreau tout cela le préoccupait, l'inquiétait; c'est auprès du soleil qu'il avait besoin

de vivre; c'est vers Paris que ses regards se tournaient sans cesse.

Ce désir s'augmentait encore de ce que l'ami de M. Thiers, M. Mignet, se sentait entraîné vers les mêmes sphères; ce dernier parlait même de départ à son compagnon; et, dès le mois de juillet 1821, il se décidait à le quitter, non pour l'abandonner, mais plutôt pour lui ouvrir la route, se promettant bien, dès son arrivée à Paris, d'encourager son ami à une expatriation commune, car il fallait que leurs destinées se donnassent l'une à l'autre, il fallait que l'appui fût réciproque......

Ambo pares ætatibus...

C'est, en effet, ce qui advint.

M. Thiers suivit son ami de près : il arrivait dans la capitale dans le mois de septembre. Il n'y a que vingt-cinq ans de cela; et, certes, l'on ne se fût pas douté que l'on verrait dix ans après, dans les hôtels somptueux du ministère des affaires étrangères, ces deux jeunes hommes, logés ensemble, alors, dans une modeste chambre d'un quatrième étage, passage Montesquieu, et n'ayant pour tout mobilier qu'une commode, un lit de noyer, deux chaises, une table

noire...

Au reste, cette simple demeure ne fut qu'un piedà-terre, une branche où tous les deux se posèrent pour prendre leur vol, car le talent si vrai des deux jeunes écrivains ne devait pas longtemps les laisser inconnus, à cette époque de la Restauration où la polémique de

la presse ouvrait une large carrière aux combattants, et où la plume était non-seulement une arme puissante, mais une clef d'or.

M. Mignet avait été mis en rapport avec Châtelain, le rédacteur en chef du Courrier Français. Il s'était à l'instant même assuré dans ce journal une position distinguée, et certains articles qui traitaient de la politique étrangère avaient attiré l'attention de M. de Talleyrand, dont l'opinion, à cette époque, comme dans tous les temps de sa vie, était pour la Restauration un arrêt, et qui, en condamnant la direction des affaires, semblait présager une ruine nouvelle.

Cela se passait à l'époque où Manuel résistait avec tant d'énergie, au nom des lois, contre la force brutale; où Béranger, le grand poëte populaire, réveillait dans ses odes immortelles les haines légitimes de la nation contre le joug de l'étranger; où le banquier Laffitte, ce Mécène, de la liberté, donnait asile à tous les soldats de l'opposition dont il était le chef.

M. Thiers avait été particulièrement recommandé à Manuel.

Celui-ci le prit par la main, et il le conduisit dans les bureaux d'un journal dont jamais succès ne fut égalé.

L'opposition que le Constitutionnel faisait au pouvoir, en 1821, était une opposition digne et sage, qui s'inspirait des promesses de la Charte, et qui en demandait impérieusement l'exécution. Trois rédacteurs principaux avaient la rédaction politique de ce journal : MM. Étienne, Jay et Évariste Dumoulin.

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Manuel conduisit M. Thiers auprès de M. Étienne. On sait avec quelle active bienveillance, quelle sollicitude paternelle, M. Étienne accueillait les hommes de talent, et avec quel intérêt il se montrait soucieux de l'avenir des jeunes écrivains. Il fut convenu, comme cela se pratique d'ordinaire, que M. Thiers ferait un article. Rien de plus facile; le soir même l'article était écrit; les propriétaires rédacteurs du Constitutionnel se réunirent, et le style serré de l'écrivain, ses images vives et pittoresques, la force de son argumentation, firent une sensation toute particulière sur l'esprit de ses auditeurs. M. Thiers fut accueilli.

D'autres articles suivirent rapidement le premier, et, il faut le dire, M. Étienne ne tarda pas à distinguer dans le jeune écrivain un homme nécessaire. On dit même, et cela est un petit détail d'intérieur qui donne une idée des mœurs de la presse à cette époque, on dit que la prédilection, si parfaitement légitime qu'inspira M. Thiers aux propriétaires du Constitutionnel, ne manqua pas d'éveiller les petites rivalités qui s'organisent bien vite, dans un journal, contre le nouveau venu, à qui l'on s'était empressé de faire un accueil et une position privilégiés.

La fortune du Constitutionnel était merveilleuse; les bénéfices de cette entreprise, créée avec quelques actions de 1,000 francs, dont le capital n'avait même pas été complétement vérsé, s'élevaient jusqu'à 600,000 francs!!... La générosité des directeurs était noble et loyale; les rédacteurs se ressentaient du succès matériel du journal. D'ailleurs la supériorité des articles de M. Thiers frappait tout le monde; la sen

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