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Alpes, les Pyrénées et l'Océan, on peut et on doit souhaiter à la France.

Ce roi ainsi fait n'est pas impuissant comme on veut le dire, car, en nommant ses ministres, il a le pouvoir de manifester ses sentiments, de faire acte de sa volonté, d'arrêter, de contrarier même le vœu public; longtemps ou toujours, non; mais assez pour lui donner une action et un intérêt puissants dans le gouvernement. Sans doute il est influencé par quelque chose; mais quand les rois sontils maîtres absolument? Au lieu de subir l'influence des courtisans, des femmes, des confesseurs, il est soumis à celle de l'opinion, agissant sur lui doucement et régulièrement. Si c'est là la vraie royauté, c'est aussi la vraie république, mais la république sans ses orages. Elle a ses mouvements, ses passions, ses éclats d'éloquence, ses élévations, ses chutes subites; mais tout cela sous des formes plus régulières et plus belles. Elle a ses Césars aussi, mais chez elle les Césars sont des Chatam, des Pitt, des Canning; ils arrivent, non à la tête des armées, mais à la tête des majorités; ils sont renversés, non par des armées, mais par des majorités. On ne les poignarde pas, on les envoie à la chambre des pairs. Ainsi, dans cette république monarchique, le génie s'élève, sans usurper, sans périr, sans bouleverser l'État. La vérité se fait jour; le cœur humain s'agite, se satisfait, et l'ordre règne.

Si elle a de tels avantages pour les amis de la vraie liberté, elle en a de plus grands encore aux yeux de ceux qui chérissent la France, et qui souhaitent, comme nous, sa prospérité, sa gloire autant que sa liberté. Nous sommes attachés à la monarchie représentative, parce qu'elle peut seule assurer les succès de la France dans la carrière périlleuse des ambitions nationales. Voyez la destinée de l'Angleterre; de quelle époque date sa grandeur? Du jour où un Charles II ne put plus ajourner ses parlements pendant des années, ni vendre sa politique à Louis XIV.

Nous ne voulons plus que madame de Maintenon soit consultée pour savoir s'il faut accepter la succession d'un roi d'Espagne; nous voulons que la publicité, sans divulguer le secret de notre politique, la maintienne dans une direction nationale; qu'elle sauve nos finances des faux systèmes, et, ce qui est pire, d'une imprudente

dissipation; nous voulons ce qui manqua toujours à la conduite de nos projets la force; la suite, la conséquence. Ces qualités furent toujours étrangères à notre cabinet, beaucoup plus qu'à notre caractère, car tous les pays soumis au pouvoir absolu en ont été privés. Le gouvernement représentatif peut seul faire disparaître le caprice et la légèreté de la politique des États. Et quelle tâche, si nous sommes dignes d'y suffire!

Le temps nous a préparé les plus belles œuvres à consommer. La liberté, la véritable liberté, importée sur le continent par la France, est prête à s'y répandre. Mais il lui faut l'autorité des bons exemples et des expériences heureuses; il lui faut l'appui d'une grande nation. Il y a plus encore. Le monde est las de tous les despotismes. Des sommets de Gibraltar, de Malte, du cap de Bonne-Espérance, une tyrannie immense s'étend sur les mers. La savante et noble Allemagne est morcelée contre ses affections et ses intérêts; la Péninsule manque à la balance des pouvoirs européens; la belle Italie gémit sous un joug étranger; au nord, une ambition puissante flotte incertaine entre deux continents, et, bien dirigée, peut prendre une direction utile au monde.

Pour remettre toutes choses en leur place, il faut une France puissante et convenablement gouvernée. Ce n'est pas en une année qu'elle peut accomplir sa belle tâche; elle y emploiera des quarts, des moitiés de siècle, des siècles même, et c'est pour cela que nous demandons un système, et non ces coups de fortune heureux, mais accidentels, qui composent les prospérités du despotisme. Si la France ne peut pas remplir sa tâche en une année, elle ne le peut pas toute seule, mais on demande de toutes parts son initiative et sa coopération. Quand elle donne un signe d'intelligence et de vie, on se réjouit, on lui rend l'estime universellle. En 1827 on était aussi content en Europe que dans les rues de Paris. Quand elle montre du courage, on l'applaudit; du génie, on la lit, on l'écoute; on la veut, non désordonnée et dévastatrice, mais sage, éclairée, puissante, et comprenant les intérêts du monde et les siens. Quand elle aura contribué pour sa part à produire tout le bien qui est à faire, alors elle en trouvera la récompense, et peut-être un jour la politique des nations lui décernera ces limites que la nature lui a assi

gnées; qu'elle semblait avoir acquises il y a vingt ans, mais qu'elle avait trop dépassées pour les garder; qu'elle perdit en voulant toucher au Tage et au Niémen, et qu'elle n'avait, il faut le dire, pas méritées encore par assez de bienfaits et de justice.

Ces beaux résultats ne nous semblent pouvoir sortir que des institutions représentatives. Qui les comprend mieux en France? Qui les veut plus sincèrement? Les amis de la liberté ou leurs adversaires? Voilà la question qui s'agite. C'est aux uns et aux autres à faire leur preuve par leurs écrits et leurs actions.

Au trouble qui nous agite, on peut juger qu'en France toutes les affections ne sont pas encore pour ces institutions. Ces affections se conçoivent, s'expliquent, s'excusent; mais des affections qui s'opposent à ce qui est nécessaire sont un malheur grave. Quel que soit notre rang, il nous faut tous entrer dans le cadre de la monarchie représentative. Il ne restera dans ce cadre obligé que ceux qui auront su y prendre et accepter la place qui leur est assignée.

Ne semble-t-il pas qu'il y ait là comme la prescience de l'avenir?

Cependant, l'anxiété du pays était au comble. Les Chambres ne devaient pas tarder à se réunir : le cabinet de M. de Polignac était très-inquiet, parce que l'unanimité des journaux contre le ministère était comme un écho redoutable de l'opinion publique. Le cabinet avait songé aux coups d'État, le bruit en courait dans Paris; lorsqu'un beau matin, le bruit courut qu'on y renonçait. C'est qu'en effet, les journaux tenaient leur attention éveillée, et toute surprise était devenue impossible; le cabinet reculait devant la chance d'une résistance que la fatalité ne lui fit qu'ajourner, pour la perte de la dynastie.

Les questions vitales du gouvernement s'agitaient, tantôt sous la forme d'une ironie déchirante, tantôt

sous la logique grave et impérieuse d'une polémique qui s'inspirait des principes constitutionnels.

Les hommes politiques ont besoin, à certaines époques, de rappeler au pouvoir qui s'égare son origine et ses serments; ces époques sont, ordinairement, de fâcheux augure: il semble que de tels enseignements précèdent une catastrophe.

De janvier à mars 1830, tous les journaux reprennent, à tour de ròle, les questions fondamentales du pacte de 1814; mais le plus avancé de tous, le plus incisif, le plus audacieux, et certes le plus fort, c'est le National. Nous trouvons un intérêt tout particulier à reproduire une partie de ces pages où la logique la plus serrée vient se formuler d'elle-même sous la plume de ses trois rédacteurs; d'ailleurs, à ce moment de la Restauration, tout le drame est dans la discussion même.

Une de ces questions audacieuses à laquelle nonseulement la presse, mais le parlement, vient prendre part, est celle du refus absolu du budget; question soulevée par M. Thiers.

Voici comment il s'exprimait sur ce point, et cela prouve que les termes mêmes de la Charte fournissaient aux Chambres des armes suffisantes pour combattre les tentatives qui auraient pour but de renverser les institutions du pays.

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La question du budget est toujours celle qui inquiète le plus les partisans du ministère. Si, d'une part, ils triomphent de voir épuisées toutes les expressions possibles de l'indignation publique, ils

sentent bien, de l'autre, que dans les mains de l'opposition constitutionnelle, il reste une ressource plus puissante que les paroles : c'est le refus du budget. Cette ressource, d'un usage facile et légal, pare à tous les dangers, et suffit pour opposer un obstacle invincible à la marche du ministère et un terme certain à son existence. Aussi les écrivains ministériels reviennent-ils sans cesse à cette question, quoiqu'ils l'aient traitée bien souvent. Il est visible que c'est le fantôme qui les trouble.

Il faut bien distinguer entre le refus de l'impôt et le refus du budget. L'un est le fait de la nation, l'autre de la Chambre. Quand la France aura jugé, dans son bon sens, que les lois fondamentales ont été violées, et qu'elle trouvera dans son courage la force de résister, elle pourra refuser l'impôt. Cette résolution la regarde uniquement; c'est un cas de force majeure qu'on ne peut ni prévoir ni régler d'avance. Le second cas, celui du refus du budget, doit être le fait de la Chambre. C'est un fait bien moins grave; c'est un fait légal, qui découle de la Charte, qui ne renferme en lui ni bouleversement ni révolution. Quant à celui-là, on peut l'envisager sans trouble, et le discuter à l'avance.

La première question qui se présente, et sur laquelle on revient sans cesse, est celle-ci : Comment exercera-t-on le droit de refus? L'exercera-t-on d'une manière partielle ou absolue? refusera-t-on seulement quelques parties du budget, ou le budget tout entier?

A cette difficulté, la réponse nous semble facile. S'il s'agissait de discuter le mérite du budget en lui-même, d'entrer dans l'appréciation de la dépense, sans doute alors on pourrait distinguer; on pourrait accorder les allocations indispensables, refuser celles qui le paraîtraient moins. Alors on pourrait se dire que le service de la dette est forcé, que le revenu de la liste civile est voté d'avance pour tout le règne, que le paiement des émoluments de la magistrature est de convenance. Mais il n'en est pas ainsi. On n'entre pas dans le mérite des dépenses: car alors il faudrait les accorder toutes comme indispensables. Nous n'en connaissons pas, en effet, une seule qui puisse être ajournée plutôt qu'une autre. On peut, sans doute, remettre la continuation de certains travaux publics, comme les églises, les palais ou les arcs de triomphe; mais, sauf

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