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dans un éclat conforme à son rang et à la richesse du pays. Ce roi a des sentiments de gentilhomme; il a ses préférences, ses antipathies. Tandis qu'un lord n'a que le trois centième du veto de la chambre haute, il a le veto de la royauté tout entier, il dissout une chambre, il refuse un bill, quand les choses lui semblent aller dans un sens trop contraire au sien. Mais il ne gouverne pas, il laisse le pays se gouverner: il suit rarement ses goûts dans le choix de ses ministres, car il prend Fox qu'il ne garde pas, mais il prend Pitt qu'il garde; il prend M. Canning, qu'il ne renvoie pas, mais qui meurt au pouvoir. Plus anciennement, le monarque anglais reçoit des réponses comme la suivante : Chatam le père, sorti du ministère, était l'homme nécessaire au gré des communes. Le roi lui envoie M. le secrétaire d'État Fox pour lui offrir le ministère. « Allez dire à Sa Majesté, répond Chatam, que lorsqu'elle m'enverra un messager plus digne d'elle et de moi, je répondrai à l'honneur de son message. » Le messager plus digne fut envoyé, et Chatam devint le . fondateur d'une dynastie de ministres désagréables à leurs rois et maîtres du pays un demi-siècle. Régner n'est donc pas gouverner: c'est être l'image la plus vraie, la plus haute, la plus respectée du pays. Le roi, c'est le pays fait homme.

La comparaison qu'on fait du roi et d'un chef d'administration est donc fausse, et c'est ainsi que le roi peut avoir des aides qui ne soient pas suivant ses goûts.

Mais, dit-on encore, de la nomination des ministres les chambres arriveront à la nomination de tous les employés, et alors l'administration passe dans les mains d'un corps collectif, ce qui est anomalique, inadmissible, etc.

On a raison, un corps collectif ne peut administrer et ne le doit pas. Il ne faut pas de délibération dans l'exécution, elle n'est bonne que dans la formation de la volonté. Il faut délibérer pour vouloir, ne jamais délibérer pour agir. Cela est métaphysiquement vrai pour l'individu, et politiquement vrai pour les États.

Mais nous ferons une seule observation. On nous accorde qu'en Angleterre les ministres sont nommés par les chambres, ce qui veut dire sous leur influence. En résulte-t-il que l'administration soit devenue anarchique, désordonnée, et conduite sans vigueur?

Comment cela s'est-il fait? Cela s'est fait de la manière la plus naturelle, et cela se fera, il faut l'espérer, de la même manière chez

nous.

Le ministre, une fois nommé par l'influence de la chambre, a la prérogative royale, qui a été faite pour concentrer le pouvoir dans les mains exécutives; il fait la paix, la guerre, il perçoit, il paie, il compose le personnel de l'administration, il rend la justice par les juges de son choix, il gouverne, en un mot; et comme il a la confiance des chambres (car il n'existerait pas sans cela), il ne fait que des choses qu'elles approuvent; mais il les fait avec unité, tandis qu'elles, dans leur diversité et avec leurs cent yeux, l'observent, le critiquent et le jugent. Ainsi, le roi règne, les ministres gouvernent, les chambres jugent. Dès que le mal gouverné commence, ou le roi ou les chambres renversent le ministre qui gouverne mal, et les chambres offrent leur majorité comme liste de candidats.

Voilà comment les ministres peuvent être au choix des chambres, sans désordre, sans anarchie dans l'administration.

Cet article fit dans le monde politique une vive sensation; mais les journaux ministériels s'étaient efforcés d'y trouver un principe de renversement. Le mot d'ordre avait été donné. Déjà le Globe était l'objet des poursuites du ministère public : les procès de presse allaient ouvrir le combat du gouvernement contre les écrivains.

Le National, provoqué par la presse ministérielle, se hâta de relever le gant, et, tout en se disculpant, il recommence avec plus d'énergie encore la polémique que l'on veut incriminer.

Est-il vrai que, depuis quelques jours, une audace inaccoutumée ait éclaté dans les discussions politiques, et qu'une question nouvelle ait été posée, une question de dynastie? Le ministère aurait intérêt à le faire croire, mais cela n'est point. Depuis quelque

temps, il est vrai, une question nouvelle a été franchement posée, mais c'est une question de choses et non point de personnes.

Le roi règne et ne gouverne pas, avons-nous dit il y a peu de temps: c'est là la seule question nouvelle qu'on puisse reprocher à la presse. Cette question deviendra un jour ce qu'elle pourra, une question de personnes si un système insensé l'emporte; mais aujourd'hui elle n'est qu'une question de choses.

Le gouvernement des sociétés appartient à qui en est capable. Lorsque, dans des pays peu avancés encore, les cours sont seules éclairées, elles gouvernent seules; et personne ne leur conteste ce droit, fondé sur la capacité. Mais il en est autrement dans tous les pays où les nations sont assez avancées pour se gouverner ellesmêmes. Alors elles le veulent, parce qu'elles le peuvent. En Russie, par exemple, sous une administration civilisatrice, on laisse gouverner la cour, parce qu'elle en sait plus que le pays. En Prusse, on peut déjà se gouverner soi-même, mais on se confie encore dans un gouvernement dont on connaît les intentions parfaites et les lumières supérieures. En France, le pays en sait plus que la cour et veut se gouverner lui-même. En Angleterre, c'est déjà fait depuis longtemps la royauté s'est livrée au pays; et, loin de se perdre, elle est devenue la plus tranquille, la plus honorée de la

terre.

Tel est le fait. La France veut se gouverner elle-même parce qu'elle le peut. Appellera-t-on cela un esprit républicain? Tant pis pour ceux qui aiment à se faire peur avec des mots. Cet esprit, républicain si l'on veut, existe, se manifeste partout, et devient impossible à comprimer.

Il y a deux formes de gouvernement aujourd'hui employées dans le monde pour satisfaire cet esprit : la forme anglaise, et la forme américaine. Par l'une, le pays choisit quelques mandataires, lesquels, au moyen d'un mécanisme fort simple, obligent le monarque à choisir les ministres qu'ils préfèrent et obligent ceux-ci à gouverner à leur gré. Par l'autre, le pays choisit ses mandataires, ses ministres, et le chef de l'État lui-même tous les quatre ans.

Voilà les deux moyens connus pour arriver au même but. Des esprits vifs et généreux préféreraient le second. Mais la masse a

une peur vague des agitations d'une république; les esprits positifs, calculant la situation géographique et militaire de la France, son caractère, les troubles attachés à l'élection d'un président, les intrigues de l'étranger le jour de cette élection, la nécessité d'une portion de stabilité au milieu de la mobilité du régime représentatif, les esprits positifs repoussent la forme républicaine. Ainsi la peur vague des uns, la réflexion des autres, composent une préfé→ rence pour la forme monarchique.

On devrait être heureux, ce nous semble, de cette disposition des esprits. Mais cette disposition incertaine, souvent combattue, a besoin d'ètre secondée; et il n'y a qu'un moyen de la seconder, c'est de prouver que la forme monarchique renferme une liberté suffisante, qu'elle réalise enfin le vœeu, le besoin du pays, de se gouverner lui-même. Avec le mouvement des esprits, si on ne produit pas cette conviction, on poussera les imaginations bien au delà de la Manche, on les poussera au delà même de l'Atlantique.

Si la Charte, par exemple, ne contenait pas cette forme de gouvernement qui permet au pays de se gouverner lui-même, oh! sans doute, il faudrait ou y renoncer et se taire, ou déclarer positivement que la loi fondamentale est mauvaise, s'élever aussi bien contre elle que contre ceux qui l'exécutent. Mais le gouvernement du pays par le pays est dans la Charte, dans cette Charte rédigée avec des intentions si étroites; et ce n'est pas merveille qu'il y soit, il est dans toute constitution qui institue une chambre élective et lui donne le vote de l'impôt. On peut toujours l'en faire sortir avec un peu d'intelligence et de courage.

Sur trois voix, le pays n'en a qu'une; mais avec l'usage habile de cette voix, il empêche; il empêche, jusqu'à ce qu'on le laisse faire; et alors il gouverne, non pas de ses mains, ce qui serait une confusion, mais par celles des ministres de son choix.

Tout cela, nous sommes assez heureux pour pouvoir le faire sortir de la Charte; et c'est là cette question de choses qui a été récemment et hardiment posée. Qui comprend nos opinions sur une telle question, comprend qu'il en résulte une parfaite indifférence pour les personnes. Ce système n'a même été inventé que pour qu'elles fussent indifférentes, pour qu'un mauvais prince pût succéder à un

bon saus danger pour l'État. Ce système n'est que l'hérédité et l'élection se corrigeant mutuellement. L'hérédité fait succéder le méchant au bon; l'élection agite le pays. Grâce à ce système combiné on corrige un inconvénient par l'autre; un prince quelconque succède à un prince quelconque, mais il ne gouverne pas, on lui impose ceux qui gouvernent pour lui. On a ainsi l'immuable pour éviter le trouble, et le variable pour atteindre le mérite.

Une telle combinaison est, pour les personnes, l'indifférence systématisée. La France, d'ailleurs, doit être bien désenchantée des personnes elle a aimé le génie, et elle a vu ce que lui a coûté cet amour! Des vertus simples, modestes, solides, qu'une bonne éducation peut toujours assurer chez l'héritier du trône, qu'un pouvoir limité ne saurait gâter, voilà ce qu'il faut à la France! voilà ce qu'elle souhaite, et cela encore pour la dignité du trône beaucoup plus que pour elle : car le pays, avec ses institutions bien comprises et pratiquées, n'a rien à craindre de qui que ce soit.

La question est donc uniquement dans les choses. Elle pourrait être un jour dans les personnes, mais par la faute de ces dernières. Le système est indifférent pour les personnes; mais si elles n'étaient pas indifférentes pour le système, si elles le haïssaient, l'attaquaient, alors la question deviendrait question de choses et de personnes à la fois. Mais ce seraient les personnes qui l'auraient posée elles-mêmes.

Ces travaux étaient d'autant plus opportuns que la conspiration des coups d'État se faisait au grand jour, en attendant la réunion des chambres; tous les organes du gouvernement s'empressaient de donner cours à l'outrecuidance de leurs menaces. Qu'on lise, et l'on avouera que rien n'égale la folie des hommes qui gouvernaient en 1830, si ce n'est la folie de ceux qui les encourageaient à suivre cette pente fatale de la violation de tous les droits.

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