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A Mme. la Marquife de N...., le jour de Sainte Félicité, fa Patrone.

CHARME de l'Univers, Félicité sacrée,
O toi, dont le fantôme enchaîne les mortels,
Ne règnes-tu qu'au sein du tranquille Empyrée ?
Ne puis-je fur la terre embraffer tes autels?
Ainfi du Pinde folitaire,

En dépouillant le verdoyant bofquer,

Je veux donc couronner un être imaginaire : Non, non, l'Olympe s'ouvre, un jour brillant m'éclaire ;

N...., tu viens accepter mon bouquet ;

Tu réalifes ma chimère.

(Par M. Balfe, d'Avignon.)

LE PAUVRE DIABLE,

CONTE,

Traduit de l'Anglois de Goldsmith.

JA

AIME à me divertir dans quelque fociété que ce foit; & l'efprit en guenille ne m'en plaît pas moins. J'allai, il y a quelques jours, faire un tour de promenade dans le Parc de Saint-James, vers l'heure à peu près où chacun s'en va dîner: il étoit refté peu de monde, & la plupart fembloient, à leur extérieur, défirer plutôt d'oublier qu'ils avoient faim, que chercher à gagner de l'appétit. Je me mis fur un banc, à l'extrémité duquel étoit affis un homme couvert de haillons.

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Nous fumes un moment à cracher, touffer, à prendre du tabac, chacun de notre côté, fans proférer une parole, mais en nous regardant de temps en temps, comme il arrive d'ordinaire lorfque deux inconnus veulent lier converfation: à la fin, je me hafardai à lui adreffer la parole. » Pardon,

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Monfieur, lui dis-je; mais il me femble " vous avoir déjà vu quelque part : votre phyfionomie me revient dans ce moment. Oui, Monfieur, répondit-il, j'ai une figure affez revenante, & mes amis me » l'ont dit quelquefois : je fuis auffi connu

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» dans toute l'Angleterre, qu'un Dromadaire ou un Crocodile vivant. Il faut " vous dire que j'ai été pendant feize ans » attaché comme Polichinelle à une Troupe » de Marionnettes; mais à la dernière Foire » de Saint-Bartholomée, je me pris de » querelle avec mon Maître; nous nous "rofsâmes d'importance, & nous nous féparâmes, lui pour vendre fes Marionnettes, " & moi pour mourir de faim dans le Parc » de Saint-James «.

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» Je fais faché, Monfieur, qu'une per» fonne d'auffi bonne mine que vous fe "trouve dans le befoin --- Ah! Monfieur, répondit-il, quant à ma bonne mine, "elle est bien à votre fervice; mais quoi» que je ne faffe sûrement pas grande chere, je puis cependant me vanter qu'il y a » peu de perfonnes d'une humeur plus gaie que la mienne. Si j'avois 20000 liv. de rente, oh! je ferois bien gai; &, grace à Dieu, fans avoir une obole, je ne fuis point trifte pour cela: ai-je trois fous en poche, je les partage volontiers pour → avoir un compagnon de table; fuis - je "fans le fou, je ne demande pas mieux » que d'être défrayé par quiconque veut "bien payer mon écot. Que diriez-vous » d'un beaf- fteak & d'un pot de bière ? » Allons, Monfieur, régalez-moi aujour»d'hui; je vous régalerai à mon tour, fi »je le puis, lorfque je vous trouverai dans Je Parc mourant de faim & fans le fou ".

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Comme je n'ai jamais héfité de faire une petite dépenfe pour le plaifir de jouir de la fociété d'un homme enjoué, nous nous acheminâmes auffi-tôt vers l'auberge prochaine; & dans l'inftant on nous fervit un plat de beaf-fteak tout fumant, & un pot d'une bière mouffeufe. Il eft impoffible d'exprimer combien la vue de ce dîner réveilla la vivacité de mon compagnon. » Monfieur, » me dit-il, j'aime ce repas par trois rai»fons: 1o. parce que le beaf-steak est mon » mets favori; 2°. parce que j'ai faim; "3. parce qu'il ne me coute pas une obole. » Ah! Monfieur, qu'y a-t-il de comparable un repas que l'on prend pour rien «?

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Le voilà donc qui donne fur le plat, & fon appétit parut être bien d'accord avec fon goût. Après le dîner, il me dit qu'il avoit trouvé le beaf- fteak un peu dur: » Malgré cela, Monfieur, continua -t-il quelque mauvais qu'il ait pu être, je l'ai mangé comme un morceau délicieux: vivent les jouiffances de la pauvreté & d'un bon appétit! C'eft nous autres Gueux qui fommes les véritables favoris de la Nature le Riche, elle le traite en marâ» tre; il n'eft content de rien coupez-lui » un steak de la meilleure qualité, il lui paroîtra toujours dur; accommodez - le avec des pickles (1), les pickles même » ne pourront aiguifer fon appétit. Mais le

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(1) Efpèces de cornichons accommodés au vinaigre.

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» monde entier eft rempli de délices pour » le Pauvre pour lui la barrique de Calvert (1) furpalle le Champagne, & la bière » de Segdeley (2) a le goût du Tokai : eh! » vive la joie! quoique nos biens ne foient » dans aucun pays, nous trouvons des for" tunes par-tout. Une inondation submerge"t-elle une partie de la province de Corn» wallis ? cela m'est égal; je n'y ai point " de terres les fonds viennent-ils à baif» fer je ne m'en inquiète en aucune manière; je ne fuis point un Juif «.

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La vivacité de ce garçon, jointe à sa misère, excita fi fort ma curiofité, que je voulus connoître un peu l'hiftoire de la vie ; je l'invitai à me fatisfaire fur ce point. "Avec grand plaifir, Monfieur, me dit-il; " mais commençons par boire, afin de ne » pas nous endormir; & tandis que nous. "veillons encore, faifons venir un fecond "pot; car eft-il rien d'auffi charmant que la vue d'un pot de bière écumant « ?

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» Vous faurez donc, Monfieur, que je defcends d'une très-bonne famille mes ancêtres ont fait quelque bruit dans le monde, car ma mère crioit des huîtres, & mon père battoit de la caiffe; j'ai même ouï-dire que nous avions eu des Trompettes dans notre famille: affurément bien des gens de qualité ne pourroient produire une généalogie auffi

(1) Mauvais Cabaretier de Londres.
(2) Autre Cabaretier.

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