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Arlequin, Valets Bergamafques; le pre "mier adroit & Pautre balourd. Leut ancienneté & leur exiftence permanente prouvent leur origine «.

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M. Goldoni fait voir enfuite qu'on a pris à Venife le modèle du Fantalon Négociant, parce que Venife faifoit alors le commer e le plus riche & le plus étendu de l'Iralie; & fon coftume theatral eft précifément l'habillement de ce temps-là.

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On a fait le Docteur Bolonois, à caufe de l'Univerfité qui exiftoit dès-lors à Bologne, fon coftume eft l'ancien habillement de l'Univerfité & du Barreau Bolon is; & une tradition adoptée en Italie, veur que le mafque dont il a le front & le nez cou verts, ait été imaginé d'après une tache de vin qu'avoit au vifage un Jurifconfuke du temps.

Enfin les Brighella & l'Arlequin ont été pris à Bergame, parce que le premier étant extrêmement adroit, & le fecond complétement balourd, ces deux extrêmes, dit M. Goldoni, ne fe trouvent que là, 'dans la claffe du peuple. Le coftume d'Arlequin repréfente l'habillement d'un pauvre diablé qui ramaffe, pour raccommoder fon habit; les diverfes pièces qu'il trouve, fans regarder au genre de l'étoffe, ni à la couleur ; & Fa queue de lièvre qui orne fon chapeau, eft encore aujourd'hui la parure ordinaire des payfans Bergamafques.

Qutre que le mafque anéantit néce

fairement l'expreffion des paffions & des fentimens du perfonnage, on fent que la néceffité de jeter dans un moule adopté quatre rôles d'une Comédie, nuit à l'effor du Poëte comique, qui doit tranfmettre fur la fcène tous les replis du cœur hu main & tous les ridicules de la fociété.

M. Goldoni, avec un talent vrai, naturel, avec le fentiment de fes forces, & la connoiffance de fon Art & du cœur humain, n'a pas voulu adopter un systême auffi funefte au vrai talent, que contraire à la raifon; & loin de foumettre fon génie à une abfurde routine, il a entrepris une réforme auffi difficile que glorieufe. N'ayant qu'a que des fentimens naturels à exprimer il n'a pas voulu qu'ils fuffent. retracés fur des vifages factices; & comme chacun de fes perfonnages avoit fon caractère, il a voulu qu'il pût avoir auffi fa phyfionomie. On fent qu'il dut foulever d'abord contre lui le fervum pesus dont parle Horace; quand il s'agit de vieux préjugés, l'innovation la plus heureuse a toujours l'air d'une profanation; les amateurs de la Comédie protégèrent les mafques; le réformateur ne répondit à fes détracteurs que par de bonnes Comédies, foit d'intrigue, foit de caractère; le plaifir qu'il donna à fes compatriotes, fut la feule féduction qu'il employa; & à la fin, le fuccès de fes Ouvrages fonda celui de fon fyftême, qui eft aujourd'hui le goût le plus généralement adopté par les Auteurs Italiens

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A ce tableau, qui tourne tout entier à la gloire de M. Goldoni, ajoutons une réflexion qui eft particulière aux Mufes Françoises. Nous prétendons au fceptre dramatique, qui nous eft difputé par les autres Nations contemporaines. Sans chercher à réfuter quelques reproches qu'on nous fait, & qui tombent plutôt fur nos Tragédies que fur nos Ouvrages comiques, voici un argument à faire valoir en notre faveur, & qui peut-être n'a pas encore été employé. L'expérience nous prouve & notamment l'exemple de M. Goldoni que les peuples qui nous difputent le prix, à mefure qu'ils ont perfectionné leur théatre, fe font auffi rapprochés de notre fyftême dramatique. En effet, ces fortes de productions étant le genre de Littérature qui doit fe reffentir le plus de l'influence des mœurs & des ufages, le Théatre d'une Nation doit toujours avoir chez l'autre une phyfionomie abfolument étrangère; mais à cette nuance près, qu'on jette les yeux autour de nous, & l'on fe convaincra aifément que les Auteurs Dramatiques étrangers fe font trouvés plus près de nous, à chaque pas qu'ils ont fait vers la perfection de leur Art. Il femble qu'il ne nous refte plus à leur faire adopter, que la règle très-gênante de F'unité de licu (i). Mais fi les Bornes de

(1) Encore a-t-elle été adoptée par quelques Ecrivains étrangers.

eet article nous permettoient de développer cette idée, peut-être réuffirions-nous à prouver que cette unité de lieu qu'on rejette, eft néceffaire à l'unité d'action qui n'eft plus guère contestée, & qu'elle y touche de fi près, qu'elle en fait prefque partie. Si en effet vous tranfportez fans ceffe la Icène dans des lieux peu importans, chez des personnages fubalternes, il est à craindre que vous n'attiriez trop d'attention à des agens peu effentiels, que vous ne donnicz trop d'étendue à des acceffoires, & que par-là l'intérêt de l'action diminue, comme le feu qu'on éloigne de fon foyer perd de fon activité & de fa chaleur; au lieu qu'en renfermant toute l'action dans le lieu principal, & chez les principaux perfonnages le fujet conferve néceffairement plus d'unité, & par - là même l'action, plus d'intérêt. Nos Lecteurs fuppléeront aux réflexions & aux exemples que nous pourrions invoquer en faveur de cette affertion.

Nous allons terminer cet article en rappelant la charmante Comédie du Bourru bienfaifant, fur laquelle M. Goldoni entre dans quelques détails. Cet Ouvrage, dans lequel l'Auteur a fu être à la fois intéreflant & comique, réuffit d'abord à Paris & à la Cour, & jouit encore de l'eftime du Public & des Connoiffeurs. On y fut frappé de la vérité du dialogue & des caractères; on s'étonna de voir un Etranger

arrivé en France à l'âge de cinquante trois ans, ofer écrire en françois une Comédie; & le fuccès, en faifant oublier la témérité, ne fit qu'ajouter à l'eftime qu'on avoit pour fon talent.

Parmi ceux qui furent étonnés de cette heureuse hardieffe, fe trouve J. J. Rouffeau, que M. Goldoni alla voir au moment de donner fa Pièce. On ne fera pas fàché de lire le récit de cette entrevue, dans laquelle ce célèbre Philofophe lui marqua fon étonnement avec cette rude franchise qui le caractérifoit. M. Goldoni, qui le trouva copiant de la musique, lui ayant témoigné du regret de le voir perdre un temps fi précieux, à une fi frivole occupation, J. J.Rouffeau, après s'être justifié à la manière, lui demanda ce qu'il faifoit lui-même à Paris. Vous êtes venu à Paris pour les » Comédiens Italiens; ce font des pareffeux; il ne veulent pas de vos Pièces; allezvous-em; retournez chez vous; je fais qu'on vous défire, qu'on vous attend.... "Monfieur, lui dis-je en l'interrompant "(c'eft M. Goldoni qui raconte lui-même » cette converfation), vous avez raison.. »J'aurois dû quitter Paris d'après l'infou" ciance des Comédiens Italiens; mais » d'autres vûes m'y ont arrêté. Je viens » de compofer une Pièce en françois. Vous "avez composé une Pièce en françois, reprend-il avec un air étonné! Que voulez-vous en faire ? La donner au

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