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des magasins à construire. Pour ces sortes d'emploi l'agriculture n'a jamais manqué de crédit; seulement, ce crédit lui coûtait cher.

Mais on n'a pas besoin de crédit dans les seuls cas que nous venons d'examiner. On en a besoin aussi pour se procurer les matières premières, les matières brutes qu'on se propose de manipuler, de façonner et de rendre en un mot propres à la consommation. C'est du bois, du cuir, du coton; ce sont des céréales, des semences de tout genre, etc., etc., qui sont destinés à être transformés par les fonds, par les instruments de travail que l'on possède, en meubles, en chaussures, en étoffes, en pain, etc. Pour de semblables destinations, on peut dire, sans erreur, que l'agriculture a été privée jusqu'à ce jour de la possibilité de se procurer des avances, et les banques qui ont principalement pour mission de distribuer cette espèce de crédit ont été pour elle sans utilité. Cela s'explique : pour profiter des capitaux pécuniaires que l'on ne veut prêter que pour de courts délais, il faut que la production soit assez prompte pour que le fabricant puisse la réaliser avant l'échéance du crédit sans lequel il n'eût pu commencer son entreprise; or, cette condition n'existe pas pour les productions agricoles. Un an est le délai moyen nécessaire pour que les matières premières, les semences enfouies dans le sol, en sortent avec les propriétés des marchandises manufacturées, et si un propriétaire a besoin d'argent pour l'achat de ces matières premières, aucune banque ne voudra le lui donner en échange de ses billets.

Voilà, nous le croyons, la cause de l'infériorité où se trouve l'agriculture, au point de vue du crédit dont jouissent les diverses branches du travail national.

Le décret du 28 février 1852 et la loi du 10 juin 1853 ne paraissent pas de nature à remédier à cette infériorité; ils ne peuvent avoir pour effet que de faciliter les emprunts à long terme, ceux qui seront destinés à la constitution ou à l'amélioration du capital fixe, du fonds. Le législateur n'a pas eu d'autre but.

Cherchons dans quelle mesure et jusqu'à quel point ce but est susceptible d'être atteint.

D'après les statuts définitifs de la Société du crédit foncier (art. 56), le montant du prêt ne peut dépasser pour les terres arables la moitié de la valeur de l'immeuble hypothéqué; dans aucun cas, l'annuité au service de laquelle l'emprunteur s'engage ne peut être supérieure au revenu total de la propriété.

Les annuités sont payables par semestre (art. 60); le défaut de payement d'un semestre rend exigible la totalité de la dette, un mois après la mise en demeure (art. 62).

Telles sont les principales dispositions applicabes aux opérations du

crédit foncier. Nous ne voulons pas examiner dans ce moment si elles ne sont pas trop rigoureuses; nous constaterons seulement qu'elles mettent dans l'impossibilité de profiter des bénéfices de la nouvelle institution, la nombreuse catégorie des propriétaires dont les biens sont grevés pour plus de moitié de leur valeur, et que, sous ce rapport, elles enlèvent au crédit foncier un des avantages principaux que l'on avait en vue, en le créant. Les propriétaires dont les biens-fonds sont grevés de dettes hypothécaires inférieures à la moitié de la valeur vénale se montreront eux-mêmes peu empressés de recourir au crédit qu'on leur offre; car s'il leur coûte moins cher aujourd'hui qu'autrefois, il présente ces graves inconvénients de limiter d'abord davantage l'importance de leurs emprunts, et d'aggraver ensuite le danger, les chances d'une expropriation.

Ces considérations seront appréciées sans doute par ceux qui connaissent la situation de la plupart des propriétaires obérés; elles expliquent suffisamment l'éloignement de ces derniers pour un établissement qui leur fait des conditions plus douces, il est vrai, mais inexorables.

Les seuls propriétaires auxquels, d'après ce qui précède, le crédit foncier offre des avantages réels, sont les propriétaires riches, libres de tout engagement, exempts de toutes dettes. Pour ceux-là, le désir d'emprunter, qu'il eût été trop coûteux de satisfaire quand ils étaient obligés de passer par l'intermédiaire des notaires, ce désir leur viendra probablement toutes les fois, et l'occasion s'en présentera souvent, qu'ils auront l'espérance, les moyens de retirer des fonds empruntés, en les employant soit à l'amélioration de leurs terres, soit à tout autre objet, un bénéfice annuel supérieur à l'annuité qu'impose la Société du crédit foncier. Voici, par exemple, un propriétaire qui possède un bien-fonds valant 100,000 fr. Il emprunte sur ce fonds une somme de 50,000 fr., pour laquelle il est tenu de servir une annuité de 5 pour 100. Qu'il trouve la possibilité de placer ces 50,000 fr. à 10 pour 100, qu'il les emploie, je suppose, à faire des reports à la Bourse, et il accroîtra son revenu de 2,500 fr.; en outre, dans quarante ans, sa dette étant amortie, il verra sa fortune augmentée de 50,000 fr. Un calcul aussi simple, aussi facile à faire, tentera certainement beaucoup de gens, aujourd'hui surtout que, par suite de l'élan imprimé aux affaires industrielles, la commandite se paye extrêmement cher.

En résumé, la banque foncière n'est pas accessible aux propriétaires dont les immeubles sont engagés déjà pour plus de moitié de leur valeur; elle ne peut pas être d'un grand secours pour ceux dont les biens sont grevés d'hypothèques dans une proportion quelconque; elle convient surtout aux grands propriétaires riches et intelligents qui, en appliquant leurs emprunts soit à l'amélioration de leurs terres, soit à une autre branche d'industrie,

pourraient en retirer des revenus plus élevés que les annuités auxquelles ils seraient assujettis.

Si ces propositions sont admises, qu'on veuille bien nous lire jusqu'au bout, car nons allons maintenant justifier le titre de cet article, nous occuper du crédit foncier dans son application à la propriété forestière, et prouver que l'on n'a pas compris tous les services qu'il était susceptible de rendre sous ce rapport.

Les particuliers propriétaires de bois sont en général dans l'aisance; le domaine forestier qu'ils possèdent contient près de 6 millions d'hectares, dont la valeur capitale est au moins de 5 ou 6 milliards de francs; de tous les biens-fonds, c'est celui qui a certainement le plus à gagner aux améliorations la création seule des voies de vidange dont il a besoin serait de nature à en augmenter considérablement le revenu.

Il est donc présumable que les propriétaires forestiers aur aient souvent recours à la caisse foncière, si les prêts sur bois étaient dégagés des difficultés qu'ils ont rencontrées jusqu'ici.

Or, l'article 56 des statuts du crédit foncier porte que le montant du prêt ne sera au plus que d'un tiers de la valeur pour les bois.

Cette rigueur n'est pas justifiée:

On a voulu deux garanties pour la sûreté du prêt: la garantie du fonds, la garantie du revenu; mais il est clair que si celle-ci était certaine, il n'y aurait pas à se préoccuper de l'autre ; il est clair que si le versement régulier des annuités était assuré, la valeur vénale du fonds serait d'une importance secondaire; eh bien! le fonds boisé est d'une telle nature qu'on peut en mobiliser la plus grande partie à un moment donné sans aucune difficulté, et se procurer ainsi les moyens de subvenir au service des annuités.

Qu'un propriétaire emprunteur ne verse pas son annuité à l'époque fixée, la banque ne sera pas forcée, pour obtenir payement de cette annuité, de recourir au moyen extrême, rigoureux, embarrassant du séquestre ou de l'expropriation, il lui suffira de poursuivre la vente d'une portion de la superficie, équivalente à ladite annuité.

Cet avantage est très-remarquable; on peut en conclure, sans qu'il soit nécessaire d'insister, que les bois sont de tous les immeubles ceux qui offrent le plus de garanties à la Société du crédit foncier.

Il est vrai que cette facilité de mobilisation dont jouit la propriété forestière est un danger pour la conservation du gage. Ainsi, par exemple, un emprunteur de mauvaise foi pourrait se soustraire à ses obligations en rasant sa forêt; mais ce danger est prévu par l'article 65 des statuts, et il serait facile de le conjurer complétemént, en imposant à l'emprunteur ün

règlement de coupes dont il ne pourrait pas s'écarter pendant toute la durée du prêt.

Pour les taillis, et c'est dans cet état que se trouvent la plus grande partie des bois de particuliers, le propriétaire serait tenu de déclarer la révolution qu'il voudrait appliquer à son bois, et par suite l'étendue de la coupe annuelle; il devrait, en outre, indiquer l'ordre dans lequel se feraient les exploitations successives; l'acte de prêt stipulerait que, sous peine de remboursement immédiat, aucune modification ne serait apportée e aménagement, sauf toutefois le consentement de l'administration.

Pour les futaies, le prêt ne pourrait avoir lieu qu'à charge par l'emprunteur de ne pas exploiter une quantité de bois supérieure à celle que l'administration aurait jugée convenable; s'il en était autrement, la valeur du gage pourrait être compromise par une exploitation annuelle qui outre-passerait la possibilité.

Assujettie à de telles conditions, la propriété forestière présenterait à la banque foncière tous les garanties désirables et constituerait sans contredit le plus sûr de tous les placements; car, en calculant la valeur d'un bois d'après son revenu net, on aura presque toujours une somme inférieure à celle que donnerait la réalisation de la superficie, et c'est là un avantage considérable à ajouter à ceux que nous avons déjà signalés.

Au lieu donc de ne prêter à la propriété forestière que jusqu'à concurrence du tiers de la valeur, on devrait lui prêter jusqu'à concurrence des trois quarts ou au moins des deux tiers, et nous croyons qu'une modification dans ce sens, apportée aux statuts de la Société du crédit foncier, serait aussi favorable à la prospérité de cette Société qu'à celle de la propriété forestière. ALOYS WISST.

DES FORÊTS DANS L'ÉTAT DE MASSACHUSETTS

ET DE LEUR EXPLOITATION.

A report on the trees and shrubs growing naturally in the forests of Massachusetts. Boston, 1846. (Rapport sur les arbres et arbrisseaux croissant spontanément dans les forêts du Massachusetts.)

Beaucoup de personnes s'imaginent que les Etats-Unis d'Amérique. forment toujours, comme au temps des personnages que Chateaubriand et Fenimore Cooper ont mis en scène, une immense forêt percée de loin en loin de clairières plus ou moins étendues, où les colons ont con

struit leurs villes ou établi leurs fermes. Les choses ont bien changé depuis cette époque. Quelques Etats du Sud, plusieurs de ceux récemment établis dans le Far-West (partie occidentale des Etats-Unis), sont encore aujourd'hui extrêmement boisés; mais il n'en est plus de même pour les Etats le plus anciennement colonisés, et notamment pour ceux qui, par leur réunion, forment ce qu'on appelle la Nouvelle-Augleterre. Parmi ces derniers Etats, le Massachusetts est un de ceux qui ont été le plus largement et le plus rapidement déboisés. Quand les puritains, du temps de Cromwell, les Pilgrim Fathers, comme on les appelle encore en Amérique, débarquèrent dans la baie de Boston et vinrent y jeter les premiers fondements d'une colonie à qui étaient réservées de si grandes destinées, le sol était partout couvert d'une épaisse forêt qui ne s'arrêtait que sur la plage sablonneuse de l'Atlantique. A cette époque, un voyageur placé au sommet du mont Washington aurait vu se dérouler à ses pieds un immense océan de feuillage, d'un vert sombre, sur lequel son œil aurait pu à peine distinguer quelques rares éclaircies ensemencées de maïs, et d'où s'élevait la fumée des wigwams indiens.

De ces vastes massifs, la hache des Yankees n'a laissé que des tronçons dispersés çà et là sur le sol, et elle a transformé les rivages de la mer en un désert aride qui a quelque analogie avec nos dunes de Gascogne. L'esprit d'ordre, d'économie et de prévoyance qui caractérise l'Américain, et surtout le Yankee (c'est le nom qu'on donne aux habitants des Etats de la Nouvelle-Angleterre, aux descendants des anciens puritains), semble l'abandonner quand il a la hache à la main. Il défriche en une année plus d'acres de terre qu'il ne pourra en cultiver en dix ans, et il brûle pour son chauffage, avec une prodigalité dont nous autres Parisiens nous ne pouvons avoir aucune idée, des arbres qui, laissés sur pied, deviendraient par la suite d'une grande utilité pour ses petits-enfants.

Le déboisement a été pratiqué dans cette partie de l'Union avec une telle fureur, c'est le mot, que dès 1837 les hommes prévoyants, placés à la tête de l'administration de l'Etat du Massachusetts, s'alarmèrent sérieusement d'un pareil état de choses. M. Everett, gouverneur de l'Etat, chargea la Commission qui avait été instituée à l'effet de procéder à la description botanique et zoologique du Massachusetts, de rechercher, en vue des intérêts agricoles de la République, les moyens les plus propres à engager les citoyens propriétaires de terres à conserver, améliorer et augmenter le sol forestier. Le rapporteur de la Commission, M. Geo.-B. Emerson, publia son rapport à la fin de l'année 1846. Grâce à l'obligeance de M. Bailly, bibliothécaire de l'Hôtel-de-Ville de Paris, nous avons pu avoir à notre disposition un exemplaire de ce document, le seul probablement qui existe en France. Il renferme, et c'est la partie la plus importante

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