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CHRONIQUE FORESTIÈRE.

Congrès des Sociétés savantes de France. Présentation d'un projet de loi relatif aux Rareté des bois en Belgique.

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inondations.

Congrès des Sociétés savantes. Le congrès des Sociétés savantes de France s'est réuni à Paris, dans le courant du mois d'avril, sous la présidence de M. de Caumont. Plusieurs membres de ce congrès se sont livrés à des considérations très-élevées et très-approfondies sur la question du reboisement, et nous nous proposons de mettre dans notre prochain numéro sous les yeux de nos lecteurs l'analyse de l'intéressante discussion dont cette question a été l'objet.

=Présentation d'un projet de loi relatif aux inondations. - Le gouvernement a soumis à l'approbation du Corps législatif le projet de loi relatif aux inondations. Il ne renferme que des dispositions destinées à mettre les villes à l'abri de ce terrible fléau qui, en 1856, a semé l'épouvante parmi les populations de Lyon, d'Orléans, de Tours et de la plupart des autres cités assises sur les rives de nos grands fleuves. Les moyens proposés par le gouvernement sont purement définitifs. Ils consistent dans la reconstruction, avec de meilleures conditions de solidité, des digues rompues par la violence des eaux de 1856. Quant aux moyens préventifs, les seuls à l'aide desquels il soit possible, selon nous, de résoudre le problème d'une manière efficace, ils sont en ce moment l'objet d'études sérieuses, et l'on a lieu d'espérer que dans le courant de l'année prochaine ces études pourront être formulées en projet de loi.

Il ne nous appartient pas de nous prononcer sur les avantages et les inconvénients du système soumis en ce moment à l'approbation du Corps législatif; toutefois, nous devons faire connaître à nos lecteurs que plusieurs ingénieurs éminents, et notamment M. Vallès, ont démontré par des faits, irrécusables à nos yeux, que les digues longitudinales étaient, dans la plupart des cas, impuissantes, et même que quelquefois elles ne servaient qu'à rendre plus terrible et plus destructeur le fléau qu'elles ont pour mission de vaincre.

Rareté du bois en Belgique. - Dans le dernier numéro du journal de la Société centrale d'agriculture de Belgique, M. Alex. Mertens, membre du Conseil administratif de cette Société, constate que les prix des bois en Belgique tendent constamment à s'élever. Cette hausse continue, évidemment due à des déboisements inconsidérés, est d'autant plus inquiétante, que les besoins des principales industries du pays, et notamment ceux des houillères et des chemins de fer vont sans cesse en augmentant. Les choses en sont arrivées à ce point, qu'en Flandre, par exemple, les propriétaires trouvent souvent plus d'avantage à convertir en bois un terrain valant 2,000 francs l'hectare, qu'à le cultiver en céréales.

Nous trouvons la confirmation du fait signalé par M. Mertens dans une notice qui a paru dans la dernière livraison des Feuilles critiques du docteur Pfeil, et qui a été rédigée par un agent forestier belge, M. Schlayer.

Cet agent affirme avoir vu vendre, pour la somme énorme de 31,523 fr. 50 cent., la superficie d'une parcelle de la contenance de 2 hectares 81 ares, située près de Hall, dans la province de Brabant. Le sol de cette parcelle était de médiocre qualité. Le peuplement se composait de quatre mille sept pins sylvestres, ayant 12, 15 et 20 mètres de hauteur, et âgés de trente-huit, quarante-quatre et soixante-quatre ans.

Il n'existe certainement pas en France beaucoup de futaies de chêne, exploitées à cent cinquante ans, qui rapporteraient autant par hectare.

M. Mertens est d'avis que le meilleur moyen de remédier à un aussi fàcheux état de choses, c'est de procéder, dans le plus bref délai, au reboisement de la Campine, cette Sologne de la Belgique, qui comprend deux cent mille hectares de terre couverts de bruyères. Il appelle sur ce point toute l'attention du gouvernement belge. Malheureusement, ajoute-t-il, la sylviculture n'a pas marché en Belgique du même pas que l'agriculture proprement dite, et notre pays est à cet égard de beaucoup en retard sur la France.

Le moyen proposé par M. Mertens est sans doute excellent, mais il est évident qu'il ne pourra donner des résultats que dans un avenir très-éloigné. Comment faire face actuellement aux besoins toujours croissants de l'industrie et de l'agriculture belges? Telle est la question qu'il importe surtout de résoudre.

En attendant que les semis forestiers de la Campine aient atteint le terme de leur exploitabilité, M. Schlayer paraît compter beaucoup sur la construction prochaine de chemins de fer et de canaux qui serviront à importer les produits forestiers de certaines forêts de la Prusse.

Nous prendrons la liberté de lui faire remarquer qu'il existe un autre pays qui est placé dans de bien meilleures conditions que la Prusse, pour fournir à la Belgique une partie des bois qui lui est nécessaire: ce pays, c'est la France. Sur toute la ligne qui nous sépare de nos voisins du nord, nous avons des chemins de fer et des canaux qui viennent se souder aux leurs et qui donneraient la facilité de leur expédier à peu de frais les produits des forêts des départements des Ardennes, de l'Aisne et du Nord. Malheureusement les droits élevés dont notre tarif de douane frappe l'exportation des produits ligneux empêchent la propriété forestière de profiter d'un marché aussi avantageux que celui de la Belgique.

En général, et sauf de rares exceptions, toutes les lois, tous les règlements qui concernent plus particulièrement nos propriétaires de bois, sont combinés de manière à les placer dans les conditions les plus défavorables. Ainsi, on leur interdit, au nom de l'intérêt social, d'user de leur propriété comme bon leur semble, et, loin de chercher à les indemniser de la servitude qui leur est imposée, on s'est arrangé de manière qu'ils ne puissent vendre leurs produits aux nations voisines. On a fait plus; toutes les barrières ont été levées devant l'étranger pour l'aider à venir faire concurrence chez nous à nos producteurs nationaux. Evidemment, il y a à cet égard, dans notre système douanier, une anomalie choquante qui doit disparaître.

DE L'AFFOUAGE DANS LES FORÊTS COMMUNALES.

(Suite et fin.)

III.

Désastreux au point de vue exclusivement forestier, l'affouage l'est en général bien davantage encore au point de vue économique. Non-seulement il constitue pour la société une perte de richesse, mais le plus souvent il blesse l'équité et entretient dans les populations des habitudes peu en harmonie avec les conditions de la société moderne.

Et d'abord, partout où les bois ont une valeur vénale et un prix courant, c'est-à-dire partout où le commerce de bois a pu s'établir, l'affouage entraîne une diminution dans la richesse générale.

Pour la commune d'abord, la perte est évidente. Quel est, en effet, le but de l'affouage? C'est de fournir aux habitants, gratuitement ou à peu près, et en tous cas à un prix inférieur à leur valeur réelle, les bois dont ils peuvent avoir besoin. Car, s'ils devaient payer ces bois, le même prix que dans le commerce, l'affouage, ne leur offrant aucun avantage, n'aurait plus sa raison d'être. La commune s'impose donc ici un certain sacrifice au profit des affouagistes; et, pour savoir s'il y a en définitive perte ou gain pour la société, il suffit de comparer ce sacrifice à l'avan→ tage qu'il procure à ces derniers. Constatons d'abord que, dans l'hypothèse où je me suis placé, d'une localité où les bois ont une valeur commerciale, jamais l'affouage ne peut être plus avantageux que la vente, c'est-à-dire, que jamais le profit des habitants ne peut être plus considérable que la perte que fait subir à la commune le partage des bois en nature. Cette perte est un maximum que le profit des affouagistes peut à la rigueur atteindre mais jamais dépasser; car il suffirait que la commune vendit son bois et en partageât l'argent entre les ayants droit, pour que ceux-ci pussent s'en procurer la même quantité, qui d'abord leur était délivrée. Ainsi, en premier lieu, l'affouage ne présente jamais aucun avantage, pécuniairement parlant, et lors même qu'il n'occasionnerait pas d'autres inconvénients que ceux qui en résultent au point de vue forestier, sa suppression n'en serait pas moins désirable.

Mais il s'en faut de beaucoup que ce soit là le cas ordinaire; le plus souvent, au contraire, la commune subit une perte que l'avantage fait aux habitants est bien loin de compenser.

MAI 1858.-4 SÉRIE.-T. IV.

T. IV.-9

Il est impossible d'abord que la gratuité, absolue ou relative, des bois de chauffage ne pousse pas les affouagistes à en consommer plus que le strict nécessaire, c'est-à-dire plus qu'ils n'en consommeraient s'ils étaient tenus de le payer de leurs propres deniers. On connaît, à cet égard, les habitudes des populations des campagnes. Si 8 stères de bois par feu, par exemple, doivent suffire à leurs besoins, on peut être certain que, s'il leur faut les acheter, ils n'en brûleront pas davantage; et si, dans la localité, le stère vaut 5 francs, c'est une dépense de 40 francs à laquelle ils se résoudront, mais que certainement ils ne dépasseront point. Mais si, au lieu de 8 stères, la commune leur en alloue gratuitement 10, nul doute qu'ils n'y regardent de moins près et qu'ils ne les consomment également. Or, ces 10 stères occasionnent d'un côté à la commune une perte de 50 francs; de l'autre, ils ne représentent en réalité pour les consommateurs qu'une valeur de 40 francs, puisque 8 stères auraient pu leur suffire. C'est donc une perte nette de 10 francs, ou de 1 franc par stère, subie par la société et produite par une consommation supérieure aux besoins réels, résultant de la gratuité.

Souvent même cette gratuité n'est qu'apparente, et des frais divers viennent, à l'insu de l'affouagiste, grever son lot, diminuer son bénéfice, et, par suite, augmenter la perte de la société. Je ne veux pas parler de la taxe affouagère, dont je suppose qu'il tient compte, mais de ces frais que bien peu font entrer dans leurs calculs.

C'est l'obligation de chercher son bois en forêt, la perte de temps qui en est la conséquence; les chances de détérioration de ses chevaux, de sa voiture, de toutes choses qui haussent à son insu le valeur de ses bois et diminuent son profit, sans empêcher la prodigalité à laquelle l'entraîne une gratuité supposée.

Ce n'est là toutefois qu'une perte de bien peu d'importance, si on la compare à celle qui résulte du débit vicieux des bois à partager. Une coupe, en effet, peut renfermer des bois de toute nature, et, pour en tirer tout le parti possible, il faut savoir les destiner aux objets auxquels ils sont propres. Un adjudicataire intelligent trouvera vingt espèces de marchandises, depuis le bois de marine jusqu'au simple échalas, là où l'entrepreneur d'une coupe affouagère ne pourra confectionner que du bois de chauffage et du bois de construction, puisqu'ils sont seuls susceptibles de partage. Et encore arrivera-t-il souvent que, parmi les bois propres aux constructions, beaucoup seront façonnés en chauffage soit par ignorance des entrepreneurs, soit parce que leur intérêt les y poussera, soit enfin parce que, comme dans les sapinières, les bois exclusivement propres au chauffage feront défaut. Dans certains départements, il est vrai, l'autorité préfectorale invite les agents forestiers à désigner dans les

coupes les bois de service, qui sont alors destinés à être vendus au profit de la commune. Mais, outre que c'est là, d'après M. Migneret, un abus de pouvoir, il est incontestable que les fonctions des agents sont beaucoup trop complexes pour qu'ils puissent remplir utilement cette mission, qui, dans tous les cas, ne pourrait s'étendre que sur les bois réellement propres aux constructions et non sur ceux qu'on pourrait utiliser pour d'autres objets. Que deviennent alors les bois d'industrie? Comme ils ne sont pas de nature à être partagés, puisque les habitants n'auraient que faire d'échalas, de roues d'engrenage, de pièces de charronnage, etc., ils sont façonnés en chauffage; et de 1 mètre cube de hêtre, par exemple, qui, pouvant donner des sabots ou des jantes de roues, vaut de 15 à 20 francs, on retire 1 stère 50 de bois de feu d'une valeur de 7 francs. Et, chose étrange! la commune a dû payer cette transformation déjà si désavantageuse pour elle, puisque le façonnage du stère de bois de feu, exigeant plus de main-d'œuvre, coûte plus cher que celui du mètre cube de bois de service.

Un particulier qui aurait aussi peu de souci de ses intérêts mériterait certainement d'être interdit: les communes, il est vrai, sont mineures ; mais si la tutelle du gouvernement ne peut empêcher de semblables opérations, ne serait-on pas fondé à discuter quelque peu son efficacité ?

Sous le rapport financier, l'affouage est donc un mode de jouissance ruineux pour la commune, peu avantageux aux habitants et qui se résume pour la société en une perte sèche très-considérable, mais impossible à évaluer, même approximativement. Mais il y a plus, il est inique.

En ce qui concerne le bois de chauffage, en effet, la distribution se fait par feu. Pour avoir droit au partage, il faut donc, d'après M. Migneret, être chef de maison; condition qui préjuge une certaine aisance relative, et exclut de la jouissance commune la classe nécessiteuse qui, plus que toute autre cependant, aurait besoin des munificences municipales. Pour les arbres de futaie, si, comme en Franche-Comté, le partage s'effectue d'après le toisé des maisons, c'est encore à ceux dont les maisons sont les plus grandes, c'est-à-dire aux plus riches, que revient la plus grosse part. Si au contraire, comme en Alsace, ces bois sont vendus après abatage, l'absence de concurrence permet encore à ces habitants privilégiés de se les procurer à des prix bien inférieurs à leur valeur réelle. Ce n'est pas, en effet, pour quelques arbres épars dans les coupes, que les fournisseurs de la marine ou les marchands éloignés peuvent se déplacer, et les acquéreurs locaux bénéficient d'une différence dans les prix, due à l'absence d'amateurs qu'une vente plus considérable eût certainement attirés.

Au point de vue de l'équité, l'affouage est donc la spoliation par quelques-uns, et par les plus riches, des biens de la communauté tout entière;

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