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ment que nous proposons serait encore préférable en ce sens qu'il fournirait une plus forte proportion de bois de service et d'industrie que le taillis composé (1).

Comme la production du taillis est un peu moindre que dans le mode du taillis sous futaie, le revenu ne sera pas augmenté en raison de l'excès de la production de la futaie. Mais si l'on remarque que le prix du mètre cube du bois de service et d'industrie est bien supérieur à celui du mètre cube du bois de taillis, on verra que, même avec une augmentation très-faible dans la production de la futaie, ou même avec des productions égales, le revenu sera supérieur à celui que donne le taillis composé.

Nous n'entrerons pas dans les calculs nécessaires pour prouver que le taux de placement n'est pas inférieur à celui que l'on obtient par le mode actuel du taillis sous futaie. Nous ferons observer cependant qu'en établissant des réserves de même âge, on a l'avantage de n'engager dans la futaie un capital important que pendant un temps aussi court que possible et à l'époque où les arbres ont acquis toute leur vigueur, c'est-à-dire dans les conditions les plus favorables. Veuillez agréer, monsieur le Directeur, l'assurance de nos sentiments les plus distingués,

A. GURNAUD et A. BUJON.

DU DÉCRET SUR LES BOIS DE MARINE.

Depuis quelques années, depuis la guerre d'Orient surtout, le gouvernement impérial a donné à notre marine militaire un développement considérable, que justifient d'ailleurs complétement la situation géographique et politique de la France, et l'importance de plus en plus grande que prennent ses possessions d'outre mer. Les expéditions qui ont été faites naguère avec tant d'éclat dans les mers de la Chine et de la Cochinchine, la flotte imposante qui venait mouiller dans les bassins de Cherbourg, et, mieux encore peut-être, les craintes, les défiances, les mouvements de dépit qui se sont produits, au mois de juillet dernier, à cette occasion de l'autre côté de la Manche, peuvent donner, jusqu'à un certain point, la mesure de ce développement.

Le maintien de nos flottes sur le pied respectable où elles se trouvent

(1) On peut répondre qu'avec le mode du taillis sous futaie il est également facile d'augmenter la production de la futaie, que l'on est aussi limité seulement par l'utilité du taillis et par la considération du capital engagé, qu'en n'exploitant qu'une seule catégorie de réserves (celles de cent vingt ans) on obtiendrait également une proportion plus forte de bois de service et d'industrie: cela est vrai, mais on n'exploiterait plus alors suivant le mode du taillis composé tel que la théorie nous l'indique, et ce serait, avec une dis-` position de réserves moins favorable à la production, à peu près le mode que nous proposons.

aujourd'hui exigeait impérieusement que les chantiers de construction fussent plus largement approvisionnés que par le passé. On fut donc naturellement amené à se demander si le système actuellement en vigueur, et qui consiste, comme chacun sait, à alimenter nos arsenaux maritimes par la voie du commerce, pour faire face aux nouveaux besoins.

De nombreux faits vinrent établir de la manière la plus péremptoire que ce système avait fait son temps, et que, même dans des circonstances ordinaires, il ne suffisait plus à assurer à la marine des approvisionnements bien assortis. On reconnut en même temps que les fournisseurs, ayant à lutter contre la concurrence de plus en plus vive que leur faisaient l'industrie, voire même les marines étrangères, étaient souvent impuissants à racheter les arbres spéciaux des adjudications de coupes vendues par l'administration. Les choses en étaient même venues à ce point que, pendant les dernières années surtout, on vit plusieurs fournisseurs préférer abandonner leur cautionnement plutôt que de remplir les engagements qu'ils avaient contractés.

Un système qui aboutissait à de semblables résultats ne pouvait pas rester debout plus longtemps cela était évident.

Mais comment le remplacer?

Au premier abord, le problème paraît très-facile à résoudre. L'État est à la fois constructeur de vaisseaux et producteur des matériaux dont il a besoin pour ses constructions; quoi de plus simple, en apparence, qu'il prenne directement, et sans autre formalité, dans les forêts, les bois nécessaires à ses chantiers?

En réalité, cependant, la question est des plus compliquées, ainsi, du reste, que nos lecteurs pourront en juger, s'ils veulent bien lire l'exposé des principales difficultés et des abus auxquels avaient donné naissance les deux systèmes de fourniture directe qui ont été appliqués pendant une période d'une vingtaine d'années.

Aux termes de l'ordonnance du 28 août 1816, les agents de la marine procédaient, dans les coupes à vendre, au martelage des bois qu'ils jugeaient propres aux constructions navales; les arbres ainsi martelés faisaient partie des adjudications, et l'adjudicataire était tenu de les revendre, en tout ou en partie, au fournisseur de la marine, moyennant un prix fixé par un tarif spécial. Les prix de ce tarif étaient inférieurs à la valeur réelle, et comme, d'un autre côté, ils servaient de base à l'adjudicataire dans l'estimation qu'il faisait des arbres martelés, il en résultait que ce dernier avait un intérêt évident, souvent considérable, à ce que le fournisseur rebutât le plus grand nombre possible de ces arbres. On plaçait ainsi l'adjudicataire et même le fournisseur dans une situation telle qu'il devait en résulter, et qu'il en résultait, en effet, de graves abus.

Ces abus furent signalés avec beaucoup d'énergie à la Chambre des pairs et à celle des députés, en 1827, et ce fut pour y remédier que le Code forestier, promulgué dans le courant de cette année, imposa à la marine, par ses articles 128 et 129, l'obligation de prendre tous les arbres marqués par elle, ou de les abandonner tous.

La conséquence d'une semblable obligation était facile à prévoir. Comme, parmi les arbres martelés, quels que soient l'habileté et le coup d'œil de l'agent, il y en a toujours un certain nombre qui, après leur abatage et leur équarrissage, sont reconnus impropres au service pour lequel on avait cru pouvoir les désigner (en Angleterre, dans la forêt royale de Dean, le nombre des rebuts s'est élevé une année à 90 pour 100), il arrivait que la marine se trouvait placée dans la nécessité d'acheter des bois qui ne pouvaient lui'être utiles en rien. En outre, pour remédier aux abus provenant de la fixation des prix au moyen d'un tarif, on avait stipulé que les arbres choisis par les agents de la marine seraient payés à l'adjudicataire suivant des prix fixés à l'amiable, et, en cas de contestation, par des experts.

Ce second système eut pour résultat de faire payer à la marine les bois beaucoup plus cher que si elle eût chargé le commerce de les lui procurer.

Dans l'un et l'autre système, d'ailleurs, la dissémination sur un vaste territoire des forêts renfermant des bois propres aux constructions navales, le laps de temps très-court pendant lequel le martelage devait être opéré, rendaient nécessaire l'entretien d'un personnel nombreux qui ne laissait pas de coûter fort cher au ministère de la marine. Il y avait de plus des inconvénients réels, et que tout le monde comprendra, à ce que l'action des agents de ce département vint se mêler d'une manière trop intime aux opérations des agents forestiers.

Il est facile de voir, par ce qui précède, que les abus et les difficultés qu'avait fait naître l'application des lois relatives au martelage des arbres de marine avaient la plupart pour cause l'existence d'intermé– diaires intéressés, le fournisseur et l'adjudicataire, intermédiaires dont on n'avait pas jusqu'à présent trouvé le moyen de se passer.

Aussi, le décret qui vient d'être rendu sur la proposition du ministre des finances et de celui de la marine, et qui est aujourd'hui entre les mains de tous nos lecteurs. nous paraît-il avoir complétement et définitivement résolu la question. Ce décret, en effet, écarte les intermédiaires intéressés, en décidant que les bois jugés propres aux constructions navales ne seront plus désormais compris dans l'adjudication. La livraison se fera directement par le service des forêts au service de la marine. On n'impose plus à l'adjudicataire ces opérations multipliées, délicates, qui n'avaient pas peu contribué, autrefois, à déprécier considérablement les

coupes. Son rôle se bornera, dorénavant, à abattre les arbres de marine, à les écorcer, à les transporter sur un point déterminé de la forêt. Il sera en outre chargé de façonner les houppiers. En définitive, ces diverses opérations ne seront pas pour lui beaucoup plus ouéreuses, et, dans tous les cas, ne présenteront pas plus de difficultés que celle à laquelle il est astreint depuis longtemps déjà, et qui consiste à faire façonner le bois de chauffage du garde du triage et de le transporter à son domicile.

Ce sont les agents forestiers qui seuls maintenant désigneront dans les coupes les bois propres à la marine. A notre avis, c'est là une trèsheureuse innovation et qui ne peut qu'amener d'excellents résultats. Quand ils auront terminé leur apprentissage, et nous avons tout lieu de croire que, d'après la manière dont l'administration des forêts est organisée et composée, cet apprentissage ne demandera que peu de temps, ces agents seront placés sous tous les rapports dans de meilleures conditions que les employés de la marine pour bien désigner les arbres propres aux constructions navales. Le département de la marine trouvera donc dans cette combinaison deux avantages: il sera probablement mieux servi que s'il eût employé ses propres agents, et il est dispensé d'entretenir un nombreux et coûteux personnel. De plus, les rapports entre le service des forêts et celui de la marine se trouvent singulièrement simplifiés. Les agents forestiers restent entièrement maîtres dans leurs coupes; les agents de la marine n'interviennent plus que pour faire leur choix entre les bois qui leur sont offerts par l'administration des forêts.

Plusieurs personnes nous ont fait observer que, d'après l'article 8 du nouveau décret, le département de la marine n'est pas autre chose qu'un acquéreur privilégié auquel on vend sans publicité ni concurrence; que cette disposition du décret constituait une infraction aux articles 17 et 18 du Code forestier, et que, dès lors, on aurait dû en faire l'objet d'une loi spéciale.

L'observation serait juste si le privilége dont il s'agit eût été accordé à une Compagnie ou à un fournisseur, par exemple; mais tel n'est pas le cas. Cet acquéreur privilégié est une administration publique ; en d'autres termes, l'Etat se vend à lui-même par l'intermédiaire de deux fonctionnaires qui n'ont, ni l'un ni l'autre, aucun intérêt à ce que la marchandise livrée soit vendue à un prix trop haut ou trop bas. Il n'y a dans cette opération ni recettes ni payements réellement effectués. Le prix représentant la valeur des bois livrés n'est passé au crédit du service des forêts et au débit de celui de la marine que pour assurer l'ordre dans la comptabilité de chacun de ces services. La vente dont il s'agit ne peut donc pas donner naissance à ces actes frauduleux contre lesquels les articles que nous venons de citer ont exclusivement pour but de garantir l'Etat.

NOVI MBRE 1838.-4° SÉRIE.-T. IV.

T. IV.-24

Le nouveau système de martelage des bois de marine ne sera pas appliqué dans les forêts communales, quoi qu'en aient dit certains journaux en rendant compte du décret du 18 octobre; son application régulière aux bois de cette catégorie eût, sans aucun doute, soulevé un grand nombre de difficultés très-graves avec les communes, surtout pour la désignation des arbres et le règlement des prix. Ces difficultés eussent même été presque insurmontables dans les communes où les arbres de futaie sont partagés entre les habitants. Nous ne pensons pas d'ailleurs que, dans les circonstances ordinaires, uné semblable extension du nouveau système eût été nécessaire. Si nous sommes bien informés, en effet, le martelage pourra utilement s'exercer désormais dans deux cent mille hectares de forêts domaniales réparties dans douze départements; or, dans le projet que publièrent autrefois les Annales maritimes, et qui eut alors un certain retentissement, M. Bonnard ne réclamait pour la marine qu'une affectation de cent mille hectares; il est donc permis d'espérer que l'affectation qui lui est faite aujourd'hui fera largement face à tous les besoins.

Ce système, tout nous porte à le croire, aura donc, pour l'avenir de notre marine, les meilleurs résultats; l'influence qu'il est appelé à exercer sur le traitement des forêts dans lesquelles il sera plus particulièrement appliqué, sur le personnel forestier même, sera aussi de la nature la plus heureuse. Par la force des choses, on sera peu à peu amené à augmenter l'âge des révolutions de celles qui sont déjà en futaie pleine et à soumettre à ce dernier mode d'exploitation les massifs qui ne le sont pas encore. D'un autre côté, il augmente considérablement l'importance du corps forestier, et il impose en quelque sorte aux membres de ce corps l'obligation d'agrandir encore le champ de leurs connaissances en étudiant d'une manière plus approfondie, ou, pour mieux dire, plus pratique qu'ils ne l'ont fait jusqu'à présent, toutes les questions si intéressantes qui sé rattachent à l'éducation des bois de marine, à leur conservation dans les chantiers forestiers qui seront prochainement créés, et enfin aux différents emplois qui peuvent en être faits dans nos ports de construction.

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