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fermiers n'avaient fait signifier ces sommations que le 11 janvier 1811, se pourvurent alors en complainte contre Petit et Baudit. Sentence du juge de paix, qui déclare l'action non recevable, faute d'avoir été intentée dans l'année du trouble; jugement confirmatif du tribunal de Vervins.

Et le pourvoi contre ce jugement a été rejeté par la section civile attendu que les défendeurs avaient fait signifier aux > fermiers des demandeurs, dès les 6 juin et 10 décembre 1809, » les actes extra-judiciaires, que les demandeurs ont pris pour » trouble à leur possession, et qu'ils n'ont formé leur action en complainte que le 16 avril 1811, c'est-à-dire hors du » délai fixé par l'article 23 du Code de procédure ; que si ces » actes ne furent contresignifiés aux demandeurs, de la part » de leurs fermiers, que le 11 janvier 1811, la faute n'en était » pas imputable aux défendeurs à la cassation, mais aux fer» miers des sicurs Huot, qui étaient seuls responsables de » leur négligence, aux termes de l'article 1768 du Code » civil (1). »

7. Troisième question. Si le fait qui constitue le trouble a le caractère d'un délit, et que l'individu, troublé de cette manière, exerce des poursuites devant le tribunal correctionnel ou de police, ces poursuites interrompent-elles la prescription d'un an?

Il faut, à cet égard, faire une distinction entre le poursuivant et le prévenu.

On a vu pag. 7 et 16, que renvoyé à fins civiles, pour être statué sur la question préjudicielle, le prévenu pouvait se pourvoir au possessoire, s'il avait la possession annale. Mais son action ne peut être recevable qu'autant qu'elle est formée dans l'année de la signification du procès-verbal et des poursuites qui, comme on l'a dit, peuvent être considérées comme un trouble de droit. Dès l'instant donc que, loin d'exclure la complainte, les poursuites peuvent en être le motif, il n'y a pas de raison pour leur attribuer l'effet d'interrompre

(1) Arrêt du 12 octobre 1814, D., pag. 30 et suiv. de 1815. — Voy. dans le même recueil, page 187 de 1839, l'arrêt du 22 avril de cette année.

le délai dans lequel l'action possessoire doit être intentée. La position du plaignant est différente. Troublé par des violences ou voies de fait ayant le caractère de délit, il a le choix de l'action civile ou criminelle. L'ordonnance de 1667 renfermait, à cet égard, une disposition formelle; et cette faculté n'existe pas moins, sous l'empire du Code de procédure, ainsi que l'ont déclaré les auteurs de ce Code. (Voy. pag. 58.) Telle est d'ailleurs la conséquence des art. 2 et 3 du Code d'instruction criminelle. Mais la personne qui, lésée par un délit, a pris la voie criminelle, ne peut agir par la voie civile, en même temps et pour le même objet. L'une et l'autre de ces actions, en ce qui concerne la partie civile, ont pour but la réparation du préjudice qu'a causé le trouble délictueux.

Que le tribunal de répression ne soit pas appelé à statuer sur la maintenue possessoire, toujours est-il que sa décision parvient au même but, puisqu'il adjuge les dommages-intérêts résultant du trouble, et peut ordonner, s'il y a lieu, le rétablissement des choses dans l'état où elles étaient, ayant à cet égard la même compétence que le juge civil. D'ailleurs, au criminel comme au civil, la possession annale est également mise en jeu : cette possession est le fondement de la demande du poursuivant; comme on l'a vu, pag. 64 et suiv., si le prévenu de dégradations, alléguant qu'il possède depuis plus d'une année, prouve cette exception, alors on ne peut lui reprocher ni trouble, ni délit. Comment, après cela, la prescription ne serait-elle pas interrompue en faveur du plaignant, sa plainte n'ayant, on le répète, d'autre objet que la demande en réparation du trouble?

Cependant voici un arrêt qui décide que le délai fixé, pour l'exercice de l'action possessoire, n'est point interrompu par les poursuites correctionnelles.

Le sieur Roger, ayant fait procéder à la coupe de quelques cantons de bois, avait été traduit, à requête du sieur de Vandeuil, propriétaire, devant le tribunal correctionnel, qui, sur l'exception de propriété dont excipait aussi Roger, renvoya les parties à fins civiles. Alors le sieur de Vandeuil, prenant pour trouble les coupes faites par Roger, se pourvut au possessoire contre lui; mais celui-ci prétendit que l'action en complainte était prescrite. Vandeuil soutenait, au contraire, que le

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délai d'un an avait été interrompu par les poursuites correctionnelles; que d'ailleurs la prétention de propriété, dont excipait Roger, constituait un nouveau trouble. - Le tribunal de Chaumont accueillit ces deux moyens. Mais le jugement a été cassé par les motifs suivants :

« Vu l'article 23 du Code de procédure; attendu que, > suivant cet article, l'action possessoire est prescrite et non > recevable, si elle n'a été formée, dans l'année du trouble, par ceux qui, depuis une année au moins, étaient en possession » paisible; -que les coupes de bois, prises par Caroillon de » Vandeuil pour trouble de possession, furent constatées le » 15 mai 1818; que néanmoins il n'a intenté son action en > complainte que le 27 mai 1820, par conséquent après plus » d'une année de trouble; qu'il n'a pu interrompre la pres

cription par l'action intentée devant le tribunal correctionnel, > puisque cette action n'a eu pour objet que la répression du » délit, et non l'action en complainte qui en était distincte et indé

pendante; qu'il a pu encore moins prendre pour trouble ⚫ l'exception de propriété opposée par Gaide-Roger devant le >> tribunal correctionnel, cette exception n'étant qu'un moyen » de défense, et non un trouble de nature à donner lieu à la > complainte ; que, d'ailleurs, il n'eût pu, au 27 mai 1820, exciper d'une possession paisible, sans laquelle la com‣ plainte n'aurait pu être reçue; attendu enfin qu'en jugeant le contraire, et en accordant par suite à Caroillon de ▸ Vandeuil la possession des cantons de bois dont il s'agit, le » jugement attaqué viole formellement l'article précité du Code de procédure (1). »

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Rien de plus juste que le dernier motif de cet arrêt: l'exception de propriété qu'oppose le prévenu ne saurait être considérée comme un trouble; ce n'est qu'un moyen de défense à l'action criminelle. Mais pourquoi cette action n'aurait-elle pas interrompu le délai dans lequel la complainte doit être formée? C'est, dit l'arrêt, parce que l'action correctionnelle n'a pour objet que la répression du délit ! Oui, quand elle est poursuivie à requête du ministère public; mais ici n'était-ce

(1) Arrêt du 20 janvier 1824, D., page 30 et suiv.

pas Caroillon de Vandeuil qui avait saisi le tribunal correctionnel? et quel était le but de sa plainte? Il se bornait aux réparations civiles résultant du délit qui avait troublé sa possession. Roger n'aurait pu se justifier, qu'en prouvant qu'il avait lui-même la possession annale; et, s'il n'eût pas élevé cette question préjudicielle, sa condamnation était inévitable. Prétendrait-on, qu'en faisant condamner son adversaire comme délinquant, Vandeuil n'aurait pas moins perdu l'avantage de sa possession annale, faute de s'être pourvu en complainte dans le délai fixé par la loi, quand l'art. 2246 du Code accorde à la citation devant un juge, même incompétent, la puissance d'interrompre la prescription?

Le jugement de renvoi à fins civiles n'avait pu changer la nature de l'affaire, ni la position des parties. D'après la jurisprudence de la Cour de cassation, ce n'était pas même à Vandeuil à justifier de son droit de propriété. Roger, qui avait élevé cette exception préjudicielle, était tenu de l'établir (1). Quoi qu'il en soit, pour savoir s'il y avait ou non délit, il était nécessaire de juger quelle était celle des parties ayant la possession annale au moment des coupes. L'action civile, portée devant le tribunal correctionnel, devait donc avoir le même résultat que si Vandeuil se fût pourvu en complainte; autrement, le choix de la voie civile ou criminelle que la loi accorde au propriétaire troublé par un délit, serait un véritable piége. Pourquoi enfin le Code de procédure exige-t-il que la complainte soit formée dans l'année du trouble? C'est qu'à l'expiration de ce délai, le perturbateur qui n'a pas été inquiété est censé avoir la possession annale. Si donc Vaudeuil n'était pas recevable dans son action possessoire, Roger, parlà même, était regardé comme possesseur légitime; et peuton dire qu'il aurait acquis paisiblement la possession annale, malgré les poursuites correctionnelles intentées contre lui, à raison du trouble dont il s'était rendu coupable? Tel serait cependant le résultat de l'arrêt.

Nous croyons avoir résolu toutes les questions qui peuvent se présenter, au sujet du délai dans lequel doit être formée

(1) Voy. tome 1, page 89, n° 20.

l'action possessoire et de la possession nécessaire pour y être admis. Examinons maintenant quelle est la nature de cette possession et les caractères dont elle doit être revêtue.

S II.

Nature et caractère de la possession annale.

8. L'action possessoire a pour objet de faire maintenir le demandeur dans la possession nécessaire, soit pour acquérir un droit immobilier, soit pour le conserver et le mettre à l'abri de la prescription. Ainsi l'action possessoire est le nerf de la prescription; cette action ne peut être exercée qu'autant que la prescription peut résulter de la possession (1). La possession exigée, pour agir en complainte, doit donc avoir les mêmes caractères que ceux de la possession nécessaire pour prescrire ; l'article 23 du Code de procédure n'est que la conséquence de l'art. 2229 du Code civil, portant que, pour pouvoir D prescrire, il faut une possession continue, et non inter› rompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de pro› priétaire. »

Avant d'examiner ces différents caractères, il faut prémettre qu'en thèse générale, la possession du propriétaire est censée réunir tout ce qu'exige la loi: fondée sur un titre, la possession s'y rapporte entièrement. A moins d'une interruption formelle, ou d'un nouveau titre qui intervertisse la possession, le propriétaire la conserve donc telle qu'elle était dans l'origine : ad primordium tituli, semper posterior refertur eventus. L'usurpateur qui, dénué de titre, fait valoir sa possession annale contre le vrai propriétaire, doit être vu moins favorablement ; c'est à son égard, surtout, qu'il faut examiner si la possession est légitime, et réunit tous les caractères voulus par la loi.

Ainsi, quoique le juge du possessoire n'ait point à apprécier la teneur du titre, cependant, dans une foule de circonstances, il doit le consulter, et s'en enquérir, afin d'éclairer la possession, d'en fixer les caractères, de voir si elle

(1) Arrêt du 6 juillet 1825, D., pag. 356.

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