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« Les citoyens d'un même état ou profession, les entrepreneurs, ceux qui ont une boutique ouverte, les ouvriers ou compagnons d'un art quelconque, ne pourront, lorsqu'ils se trouveront ensemble, se nommer ni président, ni secrétaire, ni syndics, ni tenir des registres, prendre des délibérations, faire des règlements sur leurs prétendus intérêts communs. » Ainsi, l'Assemblée constituante a désorganisé le travail par la destruction du droit d'association.

C'est elle aussi qui a fait tout le désordre des lois électorales, en ôtant l'élection de la commune et en la transportant au

canton.

Enfin, c'est elle qui a fait du pouvoir une démocratie royale, au lieu de constituer une monarchie républicaine. L'Assemblée constituante brisa tous les intérêts locaux. Les législateurs de cette époque imaginèrent de couper la surface du pays en morceaux à peu près égaux. Les arrondissements, les départements, les cantons et les communes ne furent pour eux qu'une opération géographique.

Bientôt la spoliation des propriétés communales vint consommer l'anéantissement des intérêts municipaux, et les communes de France, transformées en mairies, ne furent plus en réalité que des préfectures au petit pied.

Louis XVIII, en rentrant en France, au lieu de réparer ces désordres, ne fit qu'ouvrir la lice aux principes opposés que recélait la société et aux opinions qui se partageaient entre ces principes. La question de souveraineté entre la royauté,

et la démocratie se retrouva au fond de tous les débats.

«

<< Il importait, dit un écrivain libéral, en parlant de ce qu'il fallait faire en 1814, d'établir des autorités locales dans les communes, de créer des intérêts politiques dans les provinces afin de diminuer l'ascendant de Paris, où l'on veut tout obtenir par la faveur. Il fallait une élection nombreuse pour la chambre des représentants, et c'est contre la liberté de la commune que les ministres dirigeaient tous les efforts. Ils ne s'apercevaient pas que dans un Etat qui s'est enivré de l'esprit militaire la tribune est une garantie au lieu d'être un danger, puisqu'elle relève la puissance civile. L'éducation publique devait être gratuite et rendre à la France l'éclat des lu

mières. »

Nous ajouterons qu'il fallait rendre à la commune son indépendance, à la famille son existence, au citoyen ses droits, aux ouvriers l'association, à la religion ses assemblées, à tous la sécurité, et à la France ses limites naturelles. Hors de là, il n'y a point de salut.

Toutes les révolutions opérées depuis soixante ans servent à nous apprendre qu'un édifice politique doit être basé sur les intérêts positifs au lieu de l'être sur des passions, sur de vaines théories et sur des opinions variables, qu'on doit, comme les architectes, commencer par les fondements et creuser la terre pour les asseoir dans les profondeurs du sol, au lieu de construire, sur des supports mobiles et provisoires, de beaux couronnements qui attendront vainement l'édifice.

SUITE DE L'EMPIRE.

CHAPITRE L.

Napoléon détruit les derniers simulacres du gouvernement réprésentatif.
Plan de campagne des coalisés.

Il est bien remarquable que l'année des désastres de Moscou ait été l'année même où le Corps-Législatif cessa d'être convoqué. « A dater de cette année, dit un historien de Napoléon, toutes les forces de l'Empire furent absorbées par la guerre. A dater de ce moment, les affaires intérieures ne fournissent plus que quelques pages éparses dans le tableau des opérations militaires et de la politique extérieure. »

Cependant la constitution de l'an VIII portait que la session du Corps-Législatif commençait, chaque année, le 1er frimaire; que le gouvernement dirigeait les recettes et les dépenses de l'Etat, conformément à la loi annuelle, qui déterminait le montant des unes et des autres. Le ministre du Trésor ne pouvait faire de paiements qu'en vertu de la loi. A son couronnement, l'empereur avait prêté serment, conformé-ment à l'article 13 du sénatus-consulte du 28 floréal an XII, de n'établir aucune taxe qu'en vertu de la loi. Il n'avait été dérogé à ces dispositions par aucun sénatus-consulte organique; l'empereur les avait toujours respectées. Plusieurs fois, à la vérité, il avait dit au conseil-d'état qu'il était inutile de

II SÉRIE. T. VII.

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rassembler annuellement le Corps-Législatif; que lorsque les impôts étaient établis il n'était pas nécessaire de les faire voter chaque année; qu'on pouvait les lever par décrets; que ce corps n'était qu'un conseil et non un pouvoir. « Comme il était peu gênant, dit M. Thibaudeau, et on ne peut pas plus docile, c'était une raison de plus pour ne pas violer gratuitement le principe du vote de l'impôt. »

Ainsi Napoléon violait de plus en plus toutes les idées représentatives, et il détachait de lui la nation au moment où la coalition se formait contre lui.

<< Quoi! disait-on alors, le cri de l'indépendance va retentir de Cadix à Moscou, et la liberté sera déracinée sur son sol natal? Un peuple vaut mieux qu'un grand homme pour conserver ses droits et sa dignité. Il est beau de la faire briller audehors, mais ce n'est plus qu'un froid mensonge, si on ne la conserve au-dedans.

<< Qui parlait ainsi? Lafayette, Lanjuinais, Montlosier, les deux Lameth, l'abbé de Moutesquiou, Dupont de Nemours, Garat, Lainé, Raynouard, le marquis de Jaucourt (4). »

C'est alors que le roi de Prusse signait un traité avec la Russie; c'était au commencement de mars. Le 15, Alexandre arrivait à Breslau, et le 16 la Prusse déclarait la guerre à la France. L'enthousiasme en Prusse fut universel. La Suède se joignit à la Confédération contre la France. Jamais la France n'aurait cu plus besoin d'être elle-même et de vivre de sa propre vie.

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Les coalisés s'avançaient toujours; ils étaient convenus d'un plan d'opérations également actif et prudent. On croit qu'il fut d'abord tracé par le prince royal de Suède, revu ensuite

(1) M. de Lacretelle.

et approuvé par Moreau. « Invité par l'empereur de Russie à quitter l'Amérique pour joindre l'armée des alliés, et porter dans leurs conseils cette science de la guerre à laquelle il devait sa renommée, Moreau, dit un historien étranger, en passant ainsi dans le camp des ennemis de la France, a été défendu par plusieurs comme un patriote sincère, qui désirait détruire le despotisme établi dans son pays, tandis que d'autres l'ont condamné pour s'être armé contre la France, afin de se venger de l'indigne traitement qu'il avait reçu de celui qui la gouvernait. Nous ne saurions juger Moreau avec justice, ignorant quels auraient été ses projets en cas de succès. Certainement il n'avait pas, comme Bernadotte, acquis de telles habitudes et de telles obligations dans un autre pays qu'il pût répudier les droits naturels de son pays natal; toutefois, il peut être justifié aux yeux du patriotisme, si son but était vraiment, comme on le suppose, de rendre à la France un juste degré de liberté sous un gouvernement légitime; autrement, sa mémoire resterait souillée du crime d'avoir sacrifié son devoir et son pays à sa vengeance particulière. Il fut hautement honoré par l'empereur de Russie en particulier, et sa présence au conseil de guerre des alliés fut considérée comme un grand avantage. »

Tant d'hommes de talent, dont deux possédaient la tactique française, pouvaient sans peine deviner la manière dont Napoléon voulait conduire la campagne. Ils virent aisément qu'il projetait de joindre la forte réserve de sa garde à quelqu'une des armées qui étaient sur la frontière de la Saxe, où se présenterait un point d'attaque, pour s'élancer de là et détruire l'ennemi qui s'opposerait à lui. Afin de déconcerter ce plan, qui exposait les armées alliées à être défaites successivement et en

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