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M. le duc d'Orléans fut celui de lieutenant-général; or, pourquoi ce titre? à quelles idées s'adressait une pareille désignation? à quelle puissance de traditions et de souvenirs rendait-on hommage? Il y avait donc, pour les hommes qui allaient exercer le pouvoir constituant, quelque chose de constitué dans cette société qu'ils allaient refaire.

Nous le demanderons à tout homme de bonne foi est-ce la révolution qui avait fait M. le duc d'Orléans lieutenant-général? Est-ce la charte de 1814, ou le programme de l'Hôtel-deVille, ou la charte de 1830? Non, cette pensée conservatrice n'était pas écrite dans des constitutions éphémères, et nous la trouvons à toutes les époques de notre histoire, dérivant de notre constitution nationale. Les Etats-Généraux de 1560 avaient même prévu une situation semblable à celle où Charles X avait placé le pays par les fatales ordonnances, et par son abdication et celle de son fils, et ils avaient ordonné au premier prince du sang de prendre les rênes de l'Etat sous le titre de lieutenant-général. Le parlement de Paris, pendant la minorité de Louis XIV, avait déclaré Gaston, duc d'Orléans, lieutenant-général. Aux Etats de Blois, le premier prince du sang, Antoine de Navarre, et aux Etats de Tours le duc d'Orléans, depuis Louis XII, avaient reçu le même titre.

Il résulte des faits que nous venons de retracer que le gouvernement de 1830 avait trouvé dans la constitution française la seule force qui l'ait établi et qui l'ait soutenu; et, si ce gouvernement a péri, c'est évidemment parce qu'il n'a point

réalisé toutes ces idées, tous ces principes; c'est qu'il a substitué des fictions aux réalités qu'ils exigeaient.

La charte de 1830 contenait done une partie de nos lois comme la Charte de 1814; mais toutes deux recélaient un principe de pouvoir constituant ou de nécessité que nous ne reconnaîtrons jamais, parce que, dans une société aussi ancienne que la nôtre, tous les remèdes étaient prévus pour toutes les situations, et jamais les rois et les assemblées n'ont pu changer nos lois fondamentales. Avec les cahiers de 89 et les deux chartes, on aurait pu faire quelque chose de complet, et rentrer dans la constitution nationale.

La Restauration, la révolution de 1830 et la République de 1848, sont trois phases qui ont eu pour but de rétablir la constitution nationale. Chacune de ces phases aura été un progrès vers ce but.

Une nation qui s'affaiblit doit se retremper dans les principes de son existence. Napoléon avait appliqué cette maxime de Montesquieu au pouvoir, et il avait dit: Un pouvoir qui s'affaiblit doit se retremper dans son principe. Il y a dans les choses un travail perpétuel pour rétablir les sociétés malades comme dans le corps humain toutes les forces de l'organisation sont employées à réparer les lésions faites à la constitution de l'homme. Sanabiles Deus fecit nationes.

Ce qui s'est passé en France au 24 février est une preuve éclatante de ce que nous venons de dire. L'égalité, la liberté et la fraternité ont été proclamées contre un régime de pri

vilége, de monopole et d'exclusion. Et ces grands principes se trouvent au commencement de l'histoire de la France, ou plutôt ce sont eux qui ont constitué la France même! Quand Clovis entra dans les Gaules, les Gaules étaient partagées en républiques fédératives. Les Francs apportèrent avec eux la liberté politique, c'est-à-dire la représentation nationale; et nous lisons dans les annales des Germains de Tacite : « Les affaires peu importantes sont réglées par les chefs, les autres par la nation. Le chef se fait écouter au milieu des assemblées par la force des raisons plutôt que par celle de l'autorité. Si son avis a déplu, un cri général l'annonce; s'ils l'approuvent, ils agitent leurs framées. Cette manière d'exprimer leur approbation par les armes est la plus flatteuse. On peut aussi, à ces assemblées générales, porter les accusations et les affaires criminelles. C'est dans ces mêmes assemblées qu'on élit aussi les chefs qui rendent la justice dans les cantons et dans les bourgades. » Ainsi tous les hommes armés étaient réunis en assemblées générales, et cette assemblée, conjointement avec le chef, réglait les affaires générales de la nation. Le roi, seul chargé du pouvoir exécutif, faisait seul les actes d'administration. «Alors il n'y avait pas une nation et une armée, mais une armée qui se composait de la nation entière, c'est-à-dire de tous les hommes en état de porter les armes, de manière que la constitution de l'Etat était sous la garde de la force publique (1). »

(1) Henrion de Pansey.

Après la conquête, les Franes et les Gaulois libres ne formaient plus qu'une nation, et les deux peuples ne faisant plus qu'un, se réunirent dans les Champs-de-Mars, où la nation réglaît avec son chef les affaires de l'Etat. De minoribus principes consultant, de majoribus omnes; ita tamen ut ea quorum penes plebem arbitrium est, apud principes quoque pertractentur. Les Francs ont donc apporté dans les Gaules la liberté politique en y établissant la représentation nationale fondée sur le vote de tous les hommes libres.

<< Les Anciens, dit Montesquieu, ne connaissaient pas le gouvernement fondé sur un Corps-Législatif formé par les représentants de la nation.

« Voici comment se forma le premier plan des monarchies que nous connaissons: Les nations germaniques qui conquirent l'empire romain étaient, comme l'on sait, très-libres. On n'a qu'à voir là-dessus Tacite, sur les mœurs des Germains. Les conquérants se répandirent dans le pays; ils habitaient les campagnes et peu les villes. Quand ils étaient en Germanie, toute la nation pouvait s'assembler. Lorsqu'ils furent dispersés dans la conquête, ils ne le purent plus. Il fallait pourtant que la nation délibérât sur ses affaires comme elle avait fait avant la conquête; elle le fit par des représentants. Voilà l'origine du gouvernement gothique parmi nous. Il fut d'abord mêlé de l'aristocratie et de la monarchie. Il y avait cet inconvénient que le bas peuple était esclave. C'était un bon gouvernement qui avait en soi la capacité de devenir meilleur. La

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coutume vint d'accorder des lettres d'affranchissement, et bientôt la liberté civile du peuple, les prérogatives de la noblesse et du clergé, la puissance des rois, se trouvèrent dans un tel concert que je ne crois pas qu'il y ait sur la terre de gouvernement si bien tempéré que le fut celui de chaque partie de l'Europe dans le temps qu'il y subsista. Et il est admirable que la corruption du gouvernement d'un peuple ait formé la meilleure espèce de gouvernement que les hommes aient pu imaginer. »

Il est donc incontestable que la liberté politique a été apportée par les Francs dans les Gaules.

Maintenant voyons l'origine de l'égalité. Tacite nous apprend que les Germains choisissaient leurs rois d'après la naissance, leurs généraux d'après leur valeur. Regem ex nobilitate, duces ex virtute sumunt. Les Francs ou Germains entrés dans les Gaules y trouvèrent les Romains et les Gaulois. La noblesse, chez les Romains, appartenait aux familles plébéiennes comme aux familles patriciennes. Elles ne donnait aucune prérogative légale, avec un droit exclusif. L'état des personnes dans les Gaules n'était pas réglé suivant les usages décrits par César avant la conquête, mais suivant les lois romaines. Les Gaulois étaient tous citoyens romains. La loi des Francs, appelée salique, ne renferme pas un seul mot qui rappelle la noblesse de naissance. Elle ne distingue, quant à l'état des personnes, que des ingénus, des affranchis, des esclaves.

« Il est fait mention, dit Mounier, des grands, des fidèles,

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