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DES CONCUBINES,

ET DU DROIT RELATIF AU CONCUBINAGE.

PAR GAUTIER DE SIBERT.

avait lieu, parce

LES Souverains faisaient appeler leurs fils rois, en naissant, pour accoutumer les peuples à leur être soumis. Les fils naturels avaient le même avantage, parce que, sous cette première race, tous les enfans mâles du sang royal, légitimes ou illégitimes, partageaient la couronne, Quelques-uns on dit cet que usage que les concubines étaient une espèce de femmes permise. J'ose dire qu'ils sont dans l'erreur. Jamais, chez les nations de tous les temps, le mot de concubine n'a été pris en bonne part. Il a toujours signifié une personne dont le commerce n'était point autorisé par les lois. Chez toutes les nations, l'union de l'homme avec la femme a été assujettie à des formalités nécessaires pour le repos des familles et le maintien de la société. En général, la religion et les lois civiles se sont toujours réunies pour en fixer les règles; et dès qu'elles n'étaient point observées, le commerce était illégitime, et les femmes appelées concubines.

Les Francs, dans la Germanie, avaient, comme tous les autres peuples, des règles concernant les mariages. Nous en avons des preuves dans Tacite et dans l'ancienne loi salique.

Ce qui a donné lieu à plusieurs d'interpréter en bonne part le mot de concubine, c'est que nous voyons que, dans les premiers siècles du christianisme, une espèce de concubinage était toléré; c'està-dire qu'un homme qui n'avait point de femme, et qui, pour des raisons particulières, en prenait une clandestinement, et sans avoir dessein de la quitter, pouvait en avoir des enfans sans blesser sa conscience, pourvu que cette union eût été précédée d'une bénédiction nuptiale donnée en particulier par un prêtre. Mais ces enfans étaient privés des effets civils comme n'étant point nés d'un mariage légitime, c'est-à-dire autorisé par les lois civiles, dont l'Eglise ne pouvait pas dispenser. Elle crut qu'il était de sa prudence de permettre l'espèce de concubinage dont je viens de faire mention, parce que le paganisme était encore en vigueur, et qu'il y avait de certains ménagemens à garder. Si, par cette raison, il y a eu un temps où l'Eglise a donné un sens favorable au nom de concubine, il n'a pas passé le quatrième siècle; car dès le commencement du cinquième, elle n'appliquait cette expression qu'aux personnes dont le commerce était criminel. Dans les conciles, dans les formules, dans les Pères, dans les lois civiles du cinquième siècle, on lit partout : « Il « n'est pas permis d'avoir une concubine;

« chose est épouse, autre chose est concubine. Si <«< un père donne sa fille à un homme qui a une << concubine, il ne faut pas penser qu'il la donne à << un homme marié. »

Plusieurs capitulaires de nos rois défendent le concubinage, et ordonnent qu'on fasse la recherche de ceux qui avaient des concubines. Il est donc certain que dès la naissance de cette monarchie, l'expression de concubine n'était point prise dans un sens favorable. Par conséquent, toutes les fois que nos historiens disent que tel de nos rois avait une concubine, il faut comprendre que c'était une femme dont l'union était illicite, que les enfans qui en provenaient étaient enfans naturels, et que si ces enfans partageaient la couronne avec les légitimes, c'était par une loi fondée sur l'usage, et non parce que la concubine dont ils étaient nés était une femme légitime. Cette coutume éprouva dans la suite de grands changemens, que l'histoire nous apprendra.

J'ai dit, et je crois pouvoir soutenir sans m'écarter de la vérité, que « jamais chez les nations de tous << les temps, le mot de concubine n'a été pris en <«< bonne part qu'il a toujours signifié une union << dont le commerce n'était point autorisé par les <<< lois. >>

Au contraire, du Cange, et quelques modernes avec lui, prétendent qu'anciennement le mot de concubine était quelquefois pris en bonne part. D'autres ont dit simplement qu'autrefois concubine ne signi

fiait pas ce qu'il signifie parmi nous. Cette diversité d'opinions exige que je m'explique plus amplement ici que je n'ai fait ailleurs sur cet objet.

Quoiqu'en général l'expression de concubine ait toujours porté avec elle une idée désavantageuse, cependant je conviendrai qu'il y avait à Rome et à Athènes une espèce de concubinage qui n'était point réputé libertinage. Lorsqu'un citoyen épousait une étrangère, ou une naturelle du pays de condition inégale à la sienne, cette femme, quoique tenue à titre d'épouse, était nommée concubine. Dans ce sens, concubinage était réputé mésalliance, et non pas désordre, pourvu que le mari n'eût pas d'autre femme. Mais il y avait toujours une flétrissure attachée à ces mariages, et les enfans qui en provenaient n'étaient point légitimes, successibles de plein droit. A Rome, ils étaient capables de donations, sans l'être de successions. A Athènes, ils ne succédaient qu'au défaut d'autres enfans, et encore ils n'étaient appelés à la succession que dans de certaines circonstances, et par des considérations politiques (1). J'en ai cité des exemples. Egalement par le droit suivi dans les Gaules, au temps de l'établissement de la monarchie française, les enfans des concubines, prises dans le sens le plus favorable qu'on puisse l'interpréter, n'héritaient qu'au cas que le mari n'eût pas d'enfans légitimes (2).

(1) Arist,, Polit., 1. 3 et 6.

(2) Voyez le chapitre 52 du livre des anciennes formules, II. 4° LIV.

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Le christianisme ayant été reçu dans l'empire, l'Eglise, pour se conformer à l'usage, appela pendant un temps concubines, ces femmes dont le mariage avait, pour toute irrégularité, une inégalité de condition. C'est dans ce sens que le dix-septième canon du premier concile de Tolède, tenu en 400, dit de ne point refuser la communion à celui qui n'a qu'une épouse ou qu'une concubine. D'après ce canon, Henri Etienne ne voulant pas apprécier les expressions suivant les temps dans lesquels on les a employées, juge à propos de s'égayer, et de dire les conciles ont permis des concubines. D'un autre côté, plusieurs de nos jurisconsultes et de nos historiens se sont appuyés de ce même canon du concile de Tolède, pour justifier l'incontinence des rois de nos premières races, en prétendant que quand on lit que tels de nos rois avaient des concubines, c'étaient des épouses légitimes d'un second ordre, dont le mariage s'était fait sans solennité. Cette opinion me semble contraire à ce que nous lisons dans les Pères et dans les lois civiles.

que

Le mot de concubine, pris en bonne part dans le concile de Tolède, cessa peu après d'être entendu dans un sens favorable. Saint Augustin, mort avant le milieu du cinquième siècle, dit en termes précis, dans un sermon numéroté 392 : « Il ne vous est pas << permis d'avoir des concubines. Si vous êtes sourds,

et les notes de Jérôme Bignon, sur les formules de ce même chapitre.

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