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oblige de donner leurs soins aux affaires des pauvres comme à celles des riches, on a pensé qu'il ne serait pas juste qu'ils fussent exposés à perdre les avances et les droits qui leur sont dus. C'est pourquoi il a été généralement reça que les avoués étaient autorisés à retenir les pièces de la procédure et même les titres des parties, pour sûreté du paiement des sommes qu'ils ont à réclamer.

Cependant, lorsqu'il y a négligence de la part de l'avoué, lorsqu'il n'a pas rempli les devoirs de son ministère ; enfin lorsque, par sa faute, l'affaire est surannée, rien de plus juste que d'appliquer la loi dans toute sa rigueur. (COFF.)

Le sieur Souffez, porteur d'un jugement rendu en sa faveur contre les héritiers Aumaître, remit ses titres et pièces au sieur L..., avoué, avec charge de poursuivre l'exécution de son jugement. Celui-ci n'y donna aucune suite; aussi le sieur Souffez l'assigna en remise des titres et pièces qu'il avait entre les mains, et en condamnation de dommages-intérêts. Il fut débouté de sa demande; mais il interjeta appel; et, le 24 juillet 1810, arrêt de la deuxième chambre de la Cour d'appel de Rennes, par lequel, — « LA COUR..., considérant qu'un avoué qui occupe pour une partie, est, comme tout autre mandataire, tenu de répondre de la négligence qu'il apporte dans l'exercice de ses fonctions; que si, faute de poursuites, il laisse suranner la demande qu'il a formée au nom de son client, la moindre peine qu'il puisse encourir est de perdre les frais d'une procédure devenue absolument inutile; - Considérant qu'il n'était pas contesté, de la part de L...., qu'il avait laissé suranner l'action qu'il avait formée en l'an x, requête de Souffez, contre quelques-unes des cautions d'Aumaître; que L.... ne représentait aucun ordre, de la part de Souffez, de laisser cette action sans suite; que son allégation que la surannation avait eu pour cause des.

à la

projets d'arrangement entre Souffez et son débiteur n'était appuyée d'aucune preuve; qu'ainsi, sans qu'il fût besoin d'examiner si, au mépris de l'art. 17 de la loi du 3 brumaire an II, non abrogée dans toutes ses dispositions, L.... pouvait être autorisé à retenir, faute de paiement de ses frais, les titres de créance de Souffez, il suffisait que L.... ne fût pas fondé à exiger le paiement des procédures qu'il avait faites, et qu'il avait laissé suranner, pour que les premiers juges eussent dû le condamner à la remise de ces titres; Considérant qu'Aumaître n'a obtenu aucune condamnation contre Souffez; que ce dernier ne justifie pas avoir éprouvé de perte sur les arrérages de sa créance; qu'ainsi sa demande en garantie est prématurée ; que ce ne serait qu'en évènement qu'il perdrait, par prescription, quelques années d'arrérages de la créance qu'il porte sur Aumaître; que L..., à raison de la surannation des poursuites qu'il a faites en l'an x, contre les cautions d'Aumaître, pourrait être tenu d'en répondre ; - Par ces motifs, dit qu'il a été mal jugé...; condamne l'intimé, à peine de toute responsabilité, de remettre, dans huitaine, à l'ap-. pelant, les titres et pièces relatifs à la créance que ce dernier porte sur Aumaître, sauf le recours de l'appelant, en événement qu'il éprouve, à raison de la prescription résultant de la surannation de l'acte formé en l'an X...., la perte de quelques années d'arrérages du principal de sa créance,

etc. »

OBSERVATIONS.

Une question bien importante, et qui se rattache à l'arrêt que nous venons de rapporter, est celle de savoir si un avoué a le droit de retenir le dossier de la procédure, lorsqu'il n'est pas payé de ce qui lui est dû par son client. M. Coffinières (voy. ses observations en tête de l'arrêt) penche pour l'affirmative. L'art. 17 de la loi du 3 brumaire an 2 n'est plus en harmonie, selon lui, avec

notre nouvelle législation. Cet article cependant n'a été abrogé par aucuue loi; seulement on pourrait dire qu'ayant été placé dans une loi qui supprimait les avoués, il ne doit plus recevoir son application, lorsque ces fonctions ont été rétablies par une législation postérieure. En supposant donc que cet article n'ait plus de force, on devrait se reporter aux anciens principes dont voici l'analyse. (1)

« L'ordonnance de Charles VII, de 1453, art. 44, défendail aux procureurs, à peine de privation de leur office de retenir des titres et pièces des parties, faute de paiement de leur salaire, et sous prétexte qu'il leur était dû, défense renouvelée par les ordonnances de Louis XII et François 1er, de 1607 et 1635. Ces ordonnances avaient été suivies par la jurisprudence des arrêts, notamment par celle du parlement de Paris, ainsi que l'attestent Jousse (de l'Administration de la justice civile, t. 2, p. 521); Ferrière (Dictionnaire pratique), et les auteurs du Répertoire de jurisprudence, vo Procureur. Mais il faut observer avec ces auteurs, que sous les mots de titres et pièces, n'étaient pas compris les actes et procédures du ministère du procureur qui les avait faits; car, dit Jousse, loco citato il est sans difficulté que le procureur peut les retenir faute de paiement de ses salaires; et il cite un arrêt du 4 mai 1541, rapporté par Mornac, sur la loi 4 C. commandato, qui l'a ainsi jugé.

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L'article 102 de la Coutume de Bretagne semblait avoir été rédigé dans l'esprit des anciennes ordonnances; car cet article, après avoir enjoint aux procureurs de donner récépissé aux parties, des pièces qui leur seraient confiées, ajoute que, leur charge expirée par jugement exécuté, ré-

(1) Nous avons extrait cette analyse d'observations, très intéressantes, mais fort peu connues, faites par M. CARRÉ, à la suite de l'arrêt de la Cour de Rennes, dans le Journal des arrêts de cette Cour.

vocation ou autrement, ils seront tenus de les rendre lorsqu'ils en seront requis. L'article ne défend pas, à la vé– rité, aux procureurs, de retenir les titres et pièces; et observons que, par ces mots du texte, la Coutume entend évidemment parler des titres, et non des actes de la procédure, faute de paiement de leur salaire; il paraît néanmoins que du temps d'Hévin et de Perchambault, on pensait que l'obligation de remettre les titres et pièces était absolue, et que cet article devait être appliqué dans le sens prohibitif des ordonnances et du droit commun. En effet, Hévin, dans ses notes (V. Grande Coutume de Duparc, art. 102, au Commentaire, no 2, page 377, tome 1er), après avoir posé la question qui nous occupe, renvoie à l'opinion de Coquille et aux ordonnances, sans observer que l'usage ou la jurisprudence du parlement de Bretagne fussent continués. Quant à Perchambault (Commentaire sur le même article, p. 121), il dit positivement que le procureur « peut retirer les procédures qu'il a faites et qui sont son gage, jusqu'à ce qu'il ait été payé; mais qu'il ne peut retenir les pièces que la partie lui a fournies, parce qu'elles ne sont pas son gage. » Voyez aussi les arrêts anciens rapportés par Hévin, loco citato, no 7. Mais, depuis, la jurisprudence du parlement avait changé, et il était de maxime constante, fondée sur quelques arrêts, que les procureurs avaient un gage pour le paiement de leurs avances et vacations, non seulement dans les actes de leur procédure ( ce qui jamais n'a fait l'objet d'un doute), mais encore dans les titres et pièces des parties, qu'ils pouvaient retenir faute de paiement, même après la prescription acquise contre eux; c'est ce qu'atteste un acte de notoriété, du 14 janvier 1744 (Journal du Parlement, t. 3 p. 740) et DuparcPoullain, tome 7, page 189 de ses Principes.

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Pothier, dans son Traité du Mandat, chap. 5, art. 1er, § 5, n° 133, pense « qu'un procureur a le droit de retenir pour

ses salaires et déboursés, tous les actes de procédure qui. sont son ouvrage, mais qu'il ne peut pas retenir, faute de paiement de ses salaires, les titres de sa partie », et il se fonde sur l'ordonnance de Charles VII.

L'ancien Répertoire de M. Guyot établis sait la même doctrine, et M. Merlin n'a ajouté que ces mots : Voy. la loi du 3 brumaire an 2, art. 17, ce qui ferait penser qu'il est d'un avis contraire, puisque cet article ordonne aux avoués de rendre les pièces. Voy. Répert., t. 10, p. 130, vo Procureur, n. 12.

Selon M. FAVARD DE LANGLADE, t. 4, p. 30, v° Officiers ministériels, n. 4, la question est expressément résolue par l'art. 17 de la loi de brumaire, et il ajoute : « Quoiqu'on >> pût dire en faveur des officiers ministériels, cette dispo>>sition nous paraît renfermer le véritable principe; car >> enfin un officier ministériel agit ordinairement comme >> mandataire; or, si on lui reconnaissait le droit de rete»nir les pièces jusqu'à ce qu'il fût entièrement payé, ce » serait le laisser souvent maître de perpétuer son mandat » contre le vœeu, et peut-être contre l'intérêt de son » constituant, ce qui serait contraire à tous les principes. >>

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On pourrait répondre à cet estimable auteur, d'abord qu'en assimilant les avoués à des mandataires ordinaires, il ne les met pas dans une condition pire; car, selon nous, il est hors de doute que les mandataires ordinaires rentrant dans le droit commun, peuvent retenir les pièces qui leur ont été confiées, et qu'ils ont dû considérer d'avance comme le gage de leur créance future; aucune disposition de loi ne peut, au reste, leur être opposée; mais, ensuite, les avoués ne pourraient pas ainsi perpétuer leur mandat, parce que le constituant est toujours libre de les révoquer; seulement il serait obligé de payer son premier mandataire avant d'en constituer un second; ne serait-il pas

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