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à 305 km., dont l'Allemagne possédait à elle seule le tiers, l'Angleterre le quart et la France le huitième environ; le nombre des voitures automotrices ou locomotives était de 538. L'année suivante, la longueur des lignes était passée à 700 km. et le nombre des voitures à 1236. Au 1er janvier 1896, il existait en Europe 111 chemins de fer ou tramways électriques, s'étendant sur une longueur de 902 km., et 1747 voitures automotrices en service. Au 1er janvier 1897, on comptait 150 lignes, comportant ensemble 1459 km. de longueur et 3100 voitures. Enfin, au 1er janvier 1898, le nombre total des lignes exploitées s'élevait à 204, leur longueur à 2 259 km., la puissance des stations centrales correspondantes à 68 106 kilowatts et le nombre des voitures. automotrices ou locomotives à 4514.

Le tableau suivant, emprunté à L'Industrie Electrique, montre la répartition de ces lignes suivant les différents Etats:

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On voit que l'Allemagne tient toujours la tête de la liste, avec 1 138 km. de lignes; la France vient bien loin au second rang avec

397 km. et l'Angleterre au troisième avec 135 km., suivie de près par l'Italie avec 133 km.

De même qu'en Amérique, le procédé le plus répandu en Europe est celui du trôlet. Sur ces 204 lignes, 172 l'emploient exclusivement; 8 sont à conducteurs souterrains et 8 à distribution superficielle; il y a enfin 13 lignes à accumulateurs, dont 3 d'un système mixte utilisant à la fois les accumulateurs et le trôlet. La traction électrique n'a d'ailleurs pas borné là son champ d'action. Après avoir envahi les colonies anglaises, le Cap, les Indes, l'Australie, le trôlet a pénétré au Japon, au Siam, à Java, en Égypte et jusqu'en Perse : il est aujourd'hui représenté dans les cinq parties du monde.

La comparaison qui précède conduit naturellement à se demander pourquoi la nouvelle industrie, après avoir reçu ses premières applications en Europe, s'y est développée avec tant de lenteur.

Il faut observer, tout d'abord, que l'extension beaucoup plus rapide des tramways électriques en Amérique a été favorisée en partie par d'autres causes que les avantages spéciaux à ce mode de traction.

Les États-Unis se sont développés si hâtivement, sur un territoire tellement vaste, qu'on n'a pas eu le temps d'y établir des routes et des rues telles que nous en possédons. La voie ferrée, sous ses différentes formes, après avoir été l'instrument de la colonisation, y reste le principal, sinon l'unique, moyen de transport. Dans les villes, le « street railway » forme un élément caractéristique indispensable: l'état généralement mauvais des chaussées, les longues distances à parcourir, conséquence de l'horreur de l'Américain de toute classe pour l'entassement et la promiscuité, qui le porte à installer de préférence son « home » loin du centre de l'agglomération, rendent tout autre mode de communication impossible. Si l'on ajoute à cela l'intensité de vie que présentent les cités américaines et dont peu de villes françaises peuvent donner une idée, on conçoit que le tramway, né aux États-Unis, y ait pris un développement unique au monde. La prospérité d'une ville se mesure au nombre de milles de voies ferrées qu'elle possède et lorsque la circulation des « street cars » vient à être

1 Il est intéressant, à ce point de vue, de comparer les longueurs de tramways

interrompue, comme on l'a vu, par exemple, lors de la dernière grève des employés de tramways de Brooklyn, la vie sociale tout entière se trouve pour ainsi dire arrêtée. Les rues larges, tirées au cordeau, beaucoup moins encombrées que les nôtres, favorisent d'ailleurs l'emploi de la traction mécanique. La question esthétique est volontiers laissée de côté, comme on peut en juger par la figure 27 qui représente une rue américaine typique. Enfin, avec le système de tarif uniforme en usage sur les tramways des États-Unis, la vitesse joue un rôle capital, car c'est elle seule qui détermine le rayon dans lequel les habitants d'une ville peuvent aller se loger autour du centre des affaires et du travail.

Cette vitesse, les Américains ont reconnu que le trôlet la donnait, avec plus d'économie et de sécurité que n'importe quel autre mode de traction. Il s'est trouvé de plus que le système était facile à installer, qu'il donnait un service d'une élasticité incomparable. Aussi, après quelques oppositions manifestées au début contre le fil aérien, s'est-on mis à construire des lignes électriques avec enthousiasme. Les capitaux se sont portés en masse vers la nouvelle industrie, qui a pris le merveilleux essor que l'on sait.

Partout où une ligne de tramway électrique a été établie, on

exploitées et le mouvement des voyageurs dans un certain nombre de villes américaines et françaises (voir le tableau ci-dessous).

LONGUEUR DES TRAMWAYS ET MOUVEMENT DES VOYAGEURS
DANS QUELQUES VILLES AMÉRICAINES ET FRANÇAISES

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a vu la valeur des terrains longeant la route augmenter dans des proportions considérables, en sorte que les spéculateurs de terrains ont été parmi les plus ardents propagateurs du nouveau mode de traction.

Rappelons enfin que les compagnies de tramways américaines sont moins gênées que les nôtres par les règlements administratifs.

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Fig. 27.

Vue d'une rue américaine (State street, Binghampton). Elles n'ont besoin ni d'une enquête d'utilité publique, ni d'un décret, pour acquérir le droit de construire une ligne. La seule autorisation à demander est celle d'emprunter la voie publique; cette autorisation ne dépend que des autorités locales, qui, dans 99 cas sur 100, l'accordent immédiatement; trois mois après l'obtention du droit de passage, de la « franchise », les voitures sont souvent déjà en service.

Chez nous, les formalités à remplir pour l'établissement d'un

tramway sont autrement longues et compliquées. De plus, nous avons partout d'excellentes chaussées et le tramway électrique doit conquérir sa place concurremment avec les modes de transport déjà établis. Mais les entraves administratives, pas plus que la différence de conditions sociales, ne suffisent à expliquer la lenteur du développement de la traction électrique en Europe. La principale cause de cette stagnation réside sans doute dans notre esprit de routine toujours tenace, dans la peur que nous avons de toute nouveauté. Le professeur anglais qui, voyant fonctionner le premier chemin de fer, proclamait qu'il préférerait servir de boulet de canon plutôt que de monter dans un train, a dû, bientôt après, regretter fort cette belle déclaration. Il en est vraisemblablement de même aujourd'hui pour ceux qui ont philosophé sur les menus inconvénients de la traction électrique, au lieu d'en considérer les avantages et d'analyser les causes qui en assurent partout le succès.

Malheureusement, en France, l'absence d'initiative, l'hésitation à faire du nouveau, la crainte extrême du risque, qui sont un des symptômes de l'état d'esprit de la classe moyenne de notre population, de ce qu'on a appelé « l'état d'esprit rentier », se sont manifestées dans cette branche d'industrie comme dans les autres. Nous ne manquons pas de moyens d'action, loin de là; mais ils sont timides et ne se mettent en mouvement qu'à bon escient.

Sans aller jusqu'en Amérique, il suffit de voir ce qui a été fait en Allemagne depuis 1891 pour constater que nous sommes en retard. Il s'agit de rattraper le temps perdu. Un mouvement sérieux dans ce sens se produit déjà la proscription générale que les municipalités avaient formulée au début contre le fil aérien tend à disparaître; maintenant que Marseille, Lyon, Le Havre, Dijon, Rouen, Alger, Angers, Versailles, Rennes, Le Mans, Montpellier, Amiens, etc., ont permis l'installation de conducteurs aériens dans leurs rues principales, le nouveau mode de traction peut enfin se développer. Notre lenteur à l'adopter aura eu du moins pour avantage de nous épargner bon nombre des erreurs de début que la hâte des Américains ne leur a pas permis d'éviter.

Les progrès récents et l'avenir.

- Avant de passer à l'étude

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