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CHAPITRE VII

LOCOMOTIVES ÉLECTRIQUES

Généralités.

Pour l'exploitation des grandes lignes où l'on emploie des trains comprenant un grand nombre de voitures et surtout des trains de marchandises, il n'y a plus d'intérêt, comme sur les lignes spéciales à trains légers très rapprochés, à employer des automobiles plus ou moins puissantes; on doit, au contraire, chercher à réduire au minimum les unités motrices, pour diminuer les frais d'achat, d'entretien et conduite de ce matériel.

C'est cette considération d'exploitation qui justifie seule la création de locomotives électriques destinées à jouer sur les grandes lignes le même rôle que les locomotives à vapeur.

Ces locomotives électriques peuvent aujourd'hui se classer en deux catégories :

1° Celles qui empruntent l'énergie à une ligne de distribution de courant établie le long de la voie; l'emploi en reste subordonné à l'adoption de ce genre de distribution le long de telles ou telles voies ferrées; leur organe essentiel est un truck ou un châssis muni de moteurs;

2o Celles qui portent elles-mêmes leur provision d'énergie sous forme d'accumulateurs électriques ou de charbon, et dont, par suite, l'emploi est possible sur toutes les lignes existantes; ces dernières comprennent, outre le truck moteur des précédentes, soit une batterie d'accumulateurs, soit une machine à vapeur et une dynamo génératrice; on peut les considérer comme un cas particulier des premières, obtenu en plaçant sur le chassis de celles-ci une usine productrice d'électricité, de dispositions appropriées à ces conditions d'établissement spéciales.

Pour nous, la locomotive électrique sera donc, en principe général, (( un véhicule muni d'un truck assez robuste et de moteurs électriques assez puissants pour lui permettre de remorquer ou pousser un train équivalent à ceux que traînent ou poussent les locomotives à vapeur sur des lignes analogues ».

Dans ceux de ces véhicules où le truck ne porte que des moteurs, et non la source d'électricité, la caisse peut être utilisée, au moins en partie, pour le service des voyageurs ou des marchandises; ils présentent alors, aux dimensions près, le même aspect que les << voitures automobiles» et on peut leur donner le nom de « voitures locomotrices » (ces appellations correspondant aux termes « motor cars » et « locomotive cars » des Américains), en réservant le mot «<locomotive » au cas spécial où la caisse se réduit à une cabine pour le mécanicien. Cette distinction est d'ailleurs peu importante, car elle se rapporte uniquement à la forme de la caisse de la voiture et non à la partie principale, qui est le truck moteur. Aussi décrirons-nous ensemble ces divers types, sans nous attacher scrupuleusement à cette classification de forme.

Les dimensions et la puissance des locomotives et voitures locomotrices électriques ainsi définies peuvent varier dans de très grandes limites sur les chemins de fer; ces limites sont actuellement d'environ 50 chev. effectifs au minimum (locomotives du City and South London Railway) et 1000 chev. effectifs au maximum (locomotive Heilmann). On fait des locomotives plus petites pour certaines applications spéciales, telles que la traction sur les chantiers et dans les mines; le nom de « locomotive >>> est peut-être un peu ambitieux pour des « tracteurs » d'aussi faible importance; nous le leur conservons cependant ici à cause de la similitude d'objet, mais nous renverrons l'étude de ces machines à un paragraphe séparé, en nous bornant d'abord à l'examen de la locomotive de chemins de fer.

§ 1.

EVOLUTION DU TYPE DE LA LOCOMOTIVE ÉLECTRIQUE

Les idées régnantes sur la construction des locomotives électriques sont encore bien souvent entachées de préjugés dont

l'origine remonte aux premiers essais de traction par l'électricité.

Habitués à voir les locomotives à vapeur composées d'organes encombrants et chargées de provisions d'eau et de combustible qui ne laissent qu'une place restreinte au chauffeur et au mécanicien, les ingénieurs qui ont projeté ou construit les premières locomotives électriques en ont fait, par analogie, des véhicules d'apparence extérieure plus ou moins massive, dont la caisse était réservée aux appareils et au personnel de conduite, souvent aux moteurs eux-mêmes.

L'histoire des locomotives électriques n'est, dans ses débuts, qu'un long martyrologe, car on n'y rencontre guère que des essais infructueux ou, tout au moins, n'ayant pas eu de suite pratique, en sorte que la plupart de ces appareils d'expérience ont fini non pas par l'usure après un service régulier, mais par une prompte mise au rebut. Plus tard, si l'on retrouve ces locomotives reléguées dans les magasins, on pourra en constituer une exposition rétrospective bien curieuse.

Dans son ensemble, le développement de la locomotive électrique a passé naturellement par les mêmes phases que celui des automobiles. Les dispositions, d'abord extrêmement compliquées au point de vue mécanique, par suite de transmissions souvent étranges, inspirées quelquefois à tort par les dispositions cinématiques imparfaites de la locomotive à vapeur, se sont simplifiées peu à peu, à mesure que l'on a mieux compris les procédés à employer pour adapter les moteurs électriques à la traction. Nous passerons rapidement en revue les diverses étapes de ces perfectionnements.

Premières locomotives construites en Amérique. Nous ne reviendrons pas ici sur les premiers appareils locomoteurs de Siemens, Edison, Henry, etc., car ce sont des locomotives « historiques », qui ont déjà trouvé leur place dans le chapitre 1er. Nous citerons seulement, parmi ceux qui ont suivi, les types qui ont fait l'objet d'applications ou d'essais sérieux 1.

Les premiers qu'on doive signaler comme essais importants furent ceux du Manhattan Elevated Railroad à New York (1888 et 1889), dirigés par les ingénieurs de cette compagnie et dus à l'initiative des deux inventeurs bien connus, Leo Daft et Stephen D. Field.

On trouvera de nombreux détails historiques sur tous ces premiers essais de traction dans l'intéressant ouvrage de MM. Martin et Wetzler, Electric motors, et dans P'Electrical World de 1888 à 1890, auquel nous empruntons ici deux figures.

La locomotive de Daft, dite le Ben Franklin, comportait un moteur bipolaire qui devait développer une puissance de 120 chev. à la vitesse de 40 km. h., attaquant par engrenages simples deux essieux moteurs à roues de 1,20 m. de diamètre, accouplées par bielles; des tampons élastiques en caoutchouc laissaient aux essieux, par rapport au truck, un faible jeu vertical, rendu possible par l'emploi d'engrenages à denture profonde.

Cette locomotive était alimentée à 500 volts par un conducteur isolé et le retour du courant se faisait par les rails.

Les résultats de l'expérience, publiés en 1890 par M. Lincoln Moss, ingénieur du Manhattan Railroad 2, furent très défavorables pour obtenir à la

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vitesse moyenne de 15 km: h. une puissance de 26,7 chevaux à la barre d'attelage, il fallait produire 176 chev. indiqués à l'usine. Il semble probable que les engrenages étaient fort mauvais et que le moteur ne travaillait pas au régime convenable, car dès cette époque on réalisait sur les tramways des rendements de 35 à 40 p. 100 du travail indiqué à l'usine.

La locomotive de Field, essayée peu après et représentée par les figures 379 et 380, était caractérisée par l'absence d'engrenages et par la commande des deux essieux au moyen de bielles actionnés par un seul moteur (p. 136) bipolaire à pôles conséquents. Les inducteurs formaient un cadre complet, portant

'Cf. Electrical World, 6 juillet 1890.

* Voir Railroad Gazette, 11 juillet 1890.

Une discussion intéressante de ces résultats a été faite par M. Ernest Gérard, ingénieur des chemins de fer de l'Etat belge, dans le Bulletin du Congrès international des chemins de fer, janvier 1891.

par des croisillons les paliers de l'arbre de l'induit et reposant à son extrémité sur les deux essieux par l'intermédiaire de ressorts spiraux logés dans les culasses mêmes des électros. L'ensemble du moteur et de ses deux essieux, munis de roues de 0,91 m. constituait un bogie de 9 t., supportant l'avant du châssis; l'arrière reposait sur un bogie ordinaire simplement porteur. Le poids total de la locomotive était de 14 t. Elle présentait quelques particularités électriques intéressantes, notamment un système de calage automatique des balais, dont on a reconnu depuis l'inutilité, et la régulation par rhéostat liquide. Cette machine constitue le premier exemple d'une construction rationnelle.

Les essais n'eurent cependant aucune suite pour la traction sur les chemins de fer, parce que cette application était alors prématurée; mais les résultats

Fig. 380. Locomotive de Field. Détails du bogie moteur.

avaient été assez satisfaisants pour déterminer l'inventeur à appliquer son système au matériel des tramways (p. 135).

Premières locomotives construites en Europe. Comme on l'a vu dans l'Historique, c'est à Werner Siemens qu'appartient l'honneur d'avoir construit, en 1879, la première locomotive industrielle (p. 4), et sa maison (Siemens und Halske) a fait, dès cette époque, dans diverses mines allemandes, plusieurs applications de petites locomotives de ce genre, dont nous parlerons au paragraphe 4. Son frère, William Siemens, présentait d'autre part à la «< Society of Arts de Londres, le 18 mai 1881, un modèle de locomotive à moteurs calés sur l'essicu, qui servit de prototype à celles employées dix ans plus tard pour l'exploitation du City and South London Electric Railway (décembre 1890).

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Ces dernières ont été construites par les ateliers Mather and Platt, de Manchester; deux autres du même type, fournies ensuite par la maison Siemens Brothers de Londres, ne diffèrent des précédentes que par de petits détails peu importants.

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