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Lorsqu'on atteint la vitesse de 100 km : h., une locomotive à vapeur à roues de 2,50 m. ne fait pas moins de 212 tours par minute et les effets d'inertie, roulis, lacet et tangage, peuvent acquérir une grande intensité.

Les trépidations qu'ils produisent sont, il est vrai, trop rapides pour prendre une grande amplitude, car elles dépassent de beaucoup la période d'oscillation propre du châssis chargé de la chaudière, des cylindres, etc.; elles ne peuvent donc sérieusement compromettre la stabilité de la machine, qui est soumise à une bien plus rude épreuve par les chocs périodiques dus aux inégalités de la voie. Aussi les ingénieurs de chemins de fer n'attachent-ils que peu d'importance à ces effets, très atténués d'ailleurs dans les machines modernes. Mais, en outre, ces trépidations fatiguent le mécanisme et entraînent des pertes d'énergie supplémentaires qui se traduisent par une augmentation du coefficient brut de traction.

La variation de la composante verticale soumet, d'autre part, les rails à des efforts plus considérables que ceux prévus d'après le poids porté par les

essieux les contre-poids tendent à produire à la descente un véritable effet de martèlement; de plus, le rapport de l'effort de traction à l'effort adhérent varie pendant un tour dans des proportions suffisantes pour produire des glissements périodiques qui déterminent des plats sur les parties correspondantes de la jante des roues motrices. On aura une idée de la grandeur de ces effets pour une locomotive de médiocre construction par le tracé graphique de la figure 426, qui résume d'intéressantes expériences de M. J. N. Barr. Le tracé pointillé représente, en coordonnées polaires, les efforts sur le bouton de manivelle pendant un tour, et le tracé plein les efforts adhérents correspondants sur la voie; il arrive même, d'après les expériences de M. Goss, que pour certaines vitesses les roues quittent les rails périodiquement.

Fig. 426. Variations de l'effort exercé sur les rails par les roues motrices d'une locomotive à vapeur, d'après M. J. N. Barr.

On est donc en droit de considérer la locomotive à vapeur, malgré sa grande perfection pratique, comme un appareil théoriquement imparfait au point de vue de la transmission de l'effort moteur aux roues.

Les moteurs électriques, au contraire, donnent un simple mouvement de rotation uniforme qu'on peut transmettre aux essieux, soit directement, soit par engrenages; le moment du couple moteur étant rigoureusement constant pendant chaque tour, il n'y a pas d'effets d'inertie; les rails sont donc soumis

1 Ces pertes sont naturellement occasionnées surtout par la composante verticale des trépidations.

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* American Society of Mechanical Engineers, décembre 1896.

à un effort tangentiel constant, qui permet d'utiliser à chaque instant toute l'adhérence et de rendre ainsi l'adhérence moyenne égale à l'adhérence maxima; l'usure des bandages des roues se trouve réduite; enfin tout mouvement de lacet est supprimé1.

Cette différence entre la machine électrique et la machine à vapeur est bien mise en évidence par les tracés relevés au dynamomètre par la Compagnie

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Fig. 427 et 427 bis. — Tracés dynamométriques obtenus avec la locomotive Heilmann et avec une locomotive à vapeur.

de l'Ouest (fig. 427 et 427 bis): celui qui correspond à la locomotive à vapeur présente des zigzags très marqués, correspondant aux variations oscillatoires de l'effort longitudinal; celui relevé sur la locomotive Heilmann ne présente, au contraire, que de faibles ondulations dues aux irrégularités de la voie. Les partisans les plus convaincus de la locomotive à vapeur auraient tort de ne pas reconnaitre de bonne grâce qu'il y a là une supériorité au moins théorique en faveur de la locomotive électrique, fût-elle sans grande conséquence pratique. 2o A cet avantage spécial des locomotives électriques il faut en ajouter d'autres certainement importants, résultant du fait que les moteurs peuvent être placés à proximité des essieux et logés dans le truck lui-même : c'est d'abord la possibilité de supprimer toute liaison entre les essieux et le chassis, et, par suite, de faire reposer celui-ci entièrement sur bogies, ce qui permet d'étendre le châssis et, d'autre part, donne à la locomotive une extrême souplesse, irréalisable avec la locomotive ordinaire à deux paires de roues couplées et a fortiori avec les locomotives à marchandises ou mixtes; c'est, en second lieu, l'obtention aisée de l'adhérence totale, grâce à la possibilité d'appliquer un moteur à chaque essieu.

Ces derniers avantages ne sont pas absolument le privilège de la locomotive

Cf. Rapport de M. Mazen à la Cie de l'Ouest sur la locomotive Heilmann, 9 février 1895. Cette supériorité de la traction électrique, signalée par un ingénieur du service de la traction d'une grande Cie de chemins de fer, est admise aussi par d'autres spécialistes également distingués, tels que MM. Deharme et Pulin (Matériel roulant, p. 296).

électrique, car presque toutes les locomotives à grande vitesse sont construites aujourd'hui avec un bogie porteur à l'avant, qui leur donne une souplesse en général suffisante; d'autre part, on a pu, sans réduire cette souplesse, rendre moteurs tous les essieux par l'emploi du dispositif compound de M. Mallet type de la locomotive du Saint-Gothard 1). Enfin l'emploi de quatre cylindres sur les locomotives compound d'express du type le plus employé en France permet de diviser la puissance motrice entre deux essieux et d'équilibrer dans une certaine mesure les efforts moteurs et les forces d'inertie.

Mais ces avantages peuvent être poussés plus loin et obtenus plus simplement dans la locomotive électrique que dans la locomotive à vapeur telle qu'on la construit actuellement. On peut en outre se dispenser plus aisément des bielles d'accouplement, qui, dans les courbes de faible rayon, sont sujettes à des efforts souvent excessifs, et, en tout cas, diminuent la souplesse de la machine.

La locomotive électrique présente, à ce point de vue, des dispositions particulièrement favorables pour la traction sur les voies de montagne, où les courbes sont fréquentes et à faible rayon, et où l'on a besoin d'une forte adhérence.

Sur les lignes ordinaires, l'adhérence réalisée par les locomotives à vapeur, bien que beaucoup plus faible 2, est bien suffisante, en général, et c'est la puissance de la chaudière seule et non l'insuffisance d'adhérence qui limite les rampes; aussi voit-on employer en Angleterre, sur certaines lignes, pour les trains de voyageurs à grande vitesse, des locomotives à un seul essieu moteur dont le poids adhérent n'atteint pas 20 tonnes 3. Quant aux courbes, elles sont d'assez grand rayon sur ces lignes pour que la souplesse obtenue à l'aide d'un seul bogie soit suffisante.

L'emploi des bogies est cependant avantageux à d'autres points de vue: en laissant un grand espace disponible au-dessus du châssis, il permet d'y loger, soit une grande caisse, soit, dans le cas particulier de la locomotive Heilmann, une plus puissante chaudière; en outre, il semble assurer, comme nous allons le voir, un meilleur coefficient de traction.

3o Ainsi que cela est naturel, la locomotive électrique présente, déduction faite de la résistance de l'air, un coefficient de traction comparable à celui des automobiles ou des voitures ordinaires de chemins de fer, suivant qu'elle est à engrenages ou à commande directe. Dans ce dernier cas, le travail néces

Cette machine, mise en service en 1891, est à six essieux couples; elle présente en ordre de marche un poids adhérent de 85 t. Elle développe un effort pratique de traction à la jante de 10 000 kg. environ et un effort maximum théorique de 14 500 kg. Si l'on compare ces chiffres à ceux d'une locomotive électrique à marchandises, celle du Baltimore and Ohio R. R., qui présente un poids adhérent de 85 t. et un effort maximum de 18 000 kg., réduit par l'adhérence (1/7) à la valeur pratique de 13 000 kg., on voit que la locomotive électrique, considérée indépendamment de la production du courant, reste un engin supérieur, même pour ce service particulièrement difficile.

D'après le tableau de la page 490, on voit que le poids adhérent des meilleures locomotives est une petite fraction (1/2 à 1/3) de leur poids total. Par exemple, la locomotive compound du Nord, type primitif, qui pèse 83 t., a 30 t. seulement de poids adhérent en ordre de marche.

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Par exemple, les locomotives du Great Western et du North Eastern, à roues indépendantes, dont le poids adhérent n'est que de 18 t.

saire pour la remorquer est de beaucoup inférieur à celui qu'exige une locomotive à vapeur de même poids, par suite de l'importance des frottements du mécanisme dans celle-ci et de la compression de l'air appelé dans les cylindres. Ce travail dépasse 3 kg. par tonne à 80 km : h. 1, lorsque la machine descend une pente en vertu de la gravité, à régulateur fermé, et ne permet pas à la locomotive à vapeur de descendre par gravité des pentes que la locomotive électrique sans engrenages descend aisément. Par exemple, la locomotive Heilmann descendait avec son train des pentes de 8 mm. par mètre à des vitesses de plus de 100 km: h. à régulateur fermé.

D'autre part, M. Mazen a trouvé dans ses mesures exécutées sur la locomotive Heilmann un coefficient de traction total de 7,5 kg. par tonne à la vitesse de 100 km: h., tandis que les locomotives à vapeur atteignent à la même vitesse jusqu'à 14 kg. à régulateur fermé 2. La différence de 6,5 kg. ainsi mise en évidence peut provenir pour une petite part des formes plus effilées à l'avant de la locomotive Heilmann; mais elle est due pour beaucoup aux frottements du mécanisme et notamment au travail de compression de l'air dans les cylindres de la locomotive à vapeur et serait par conséquent réduite à 3 ou 4 kg. dans la marche normale à régulateur ouvert; en effet, dans ce cas, il faut retrancher tout ce qui est relatif au frottement du mécanisme, lequel doit être compté dans le rendement du moteur. En tenant compte de cette correction, la différence n'est plus bien grande, et l'on ne peut attribuer qu'une faible partie de la diminution de résistance à la réduction des pertes d'énergie occasionnées par les trépidations du mécanisme, par le mouvement de lacet et par les chocs que subit la machine au passage des inégalités de la voie. Les bogies de la machine Heilmann, avec leurs quatre essieux rapprochés, peuvent passer sur ces inégalités sans subir de dénivellation sensible, tandis que les essieux plus chargés et plus écartés des locomotives ordinaires descendent au passage de chaque dépression. En admettant même que deux des essieux du bogie s'abaissent, le pivot de celui-ci ne descendra que d'une quantité plus faible.

Cette diminution des chocs, en même temps qu'elle réduit le travail nécessaire pour la traction, peut entrainer une certaine diminution des oscillations de la machine et de la fatigue de la voie; mais les ingénieurs de chemins de fer ne semblent pas jusqu'ici y attacher beaucoup d'importance pratique.

Il faut ajouter que le poids non suspendu appliqué aux essieux moteurs est beaucoup plus faible dans une locomotive électrique que dans une locomotive à vapeur par exemple, dans la locomotive Heilmann, où le poids supporté par chaque essieu atteint 15 tonnes, le poids non suspendu n'est que de 1 500 kg., au lieu de 3 tonnes dans certaines locomotives à vapeur.

40 Une autre différence qui résulte de l'emploi des moteurs électriques

Cf. Desdouits, Revue générale des chemins de fer.

Nous ne parlons pas ici du mécanisme de la station centrale, pour le motif indiqué plus haut.

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Rapport déjà cité de M. Mazen, auquel appartient la responsabilité de ces chiffres. 3 Cf. Deharme et Pulin, loc. cit., p. 62.

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Il y aurait là un effet plus ou moins analogue à la réduction importante du frottement de roulement sur route obtenue pour les voitures par la substitution d'un bandage déformable (pneumatique) au bandage ordinaire rigide des roues.

c'est la possibilité d'employer des roues beaucoup plus petites que celles des locomotives à vapeur: comme nous l'avons dit, les diamètres de 1,00 à 1,30 m. sont des maxima sur les locomotives électriques; il en résulte qu'on peut abaisser davantage le centre de gravité de la machine et réaliser ainsi une résistance plus grande au renversement.

Mais, en pratique, cet avantage, qu'on invoque souvent en faveur de la locomotive électrique, est plus apparent que réel; car la locomotive à vapeur présente aujourd'hui une stabilité surabondante, qui a permis dans les locomotives américaines de surélever sans inconvénient le corps cylindrique au-dessus des roues. De l'avis de spécialistes très compétents', l'emploi des grandes roues présente même de sérieux avantages: une douceur plus grande au passage dans les courbes et une moindre tendance au ripement de la voie ; l'effort de renversement transmis au rail extérieur se rapproche en effet davantage de la verticale, les oscillations du châssis sous l'effet des ressorts sont plus longues et le roulement est plus doux.

La véritable amélioration de stabilité que peuvent offrir les locomotives électriques proviendra plutôt de la réduction des chocs auxquels nous venons de faire allusion; elle peut être assez importante.

5o Une dernière propriété spéciale à la locomotive électrique, qu'elle soit alimentée par une ligne aérienne ou par une source d'énergie qu'elle transporte, c'est l'indépendance absolue qui existe entre sa vitesse de marche et la vitesse de rotation des machines génératrices.

Le nombre de coups de piston d'une locomotive à vapeur est proportionnel à la vitesse de marche; sur les rampes, où l'on est forcé de ralentir pour ne pas dépenser plus de vapeur que n'en produit la chaudière, le nombre de coups de piston diminue, tandis qu'on a besoin, au contraire, d'augmenter le travail par unité de temps. C'est là une circonstance très défavorable, à deux points de vue d'une part, elle force à accroître beaucoup le travail réalisable par coup de piston, et par suite à augmenter les dimensions du cylindre; d'autre part, les variations de puissance ne peuvent être obtenues qu'en faisant varier la détente dans de très grandes limites, d'où résulte un abaissement du rendement moyen.

Avec la locomotive électrique, il en est tout autrement : on peut maintenir la vitesse des machines génératrices constante, ce qui réduit la variation de travail par coup de piston à être simplement proportionnelle à la puissance dépensée; on peut même aller plus loin et rendre, comme l'a fait M. Heilmann, le travail par coup de piston sensiblement constant, en maintenant la détente la plus économique et faisant varier la vitesse des génératrices proportionnellement à la puissance nécessaire. La possibilité de ces deux méthodes résulte de l'extrême souplesse des transmissions électriques comparées aux transmissions mécaniques.

On pourrait, il est vrai, réaliser des locomotives à vapeur ayant un mode de transmission autre que le mode actuel, en plaçant, par exemple, sur le châssis une machine à vapeur équilibrée analogue à celle de la locomotive

Cf. Rapport sur les locomotives à grande vitesse, par M. J. A. R. Aspinall, Congrès des chemins de fer, Londres, 1895, et M. M. Demoulin, Bulletin du Congrès des chemins de fer, 1896.

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