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construire une locomotive double, à deux châssis articulés reposant chacun sur des bogies à 2 ou 3 moteurs de 200 chev., ce qui ferait au total 8 ou 12 moteurs, représentant une puissance de 1 600 ou 2400 chev., supérieure aux plus grands besoins actuels. Actuellement les locomotives électriques de Baltimore peuvent produire un effort de 18 000 kg. et une puissance de 1500 chev.; à la tension de 1 000 volts, elles pourraient même aisément développer 3000 chev., comme nous l'avons dit plus haut.

Conclusions en ce qui concerne la traction électrique par locomotives à alimentation extérieure; cas d'emploi de ce mode de traction sur les chemins de fer. La grande puissance spécifique favorise particulièrement, comme on le verra mieux au chapitre XIII, l'emploi de la locomotive électrique pour la réalisation de grandes vitesses et pour la traction sur les lignes de montagne à simple adhérence ou à crémaillère.

Dans le premier cas, on peut accroître les vitesses actuelles sans augmenter sensiblement le poids mort tandis qu'aujourd'hui les vitesses de 100 à 120 km h. ne peuvent être économiquement dépassées avec la machine à vapeur, on pourrait aller bien plus loin avec la locomotive électrique. Mais il ne faut pas se bercer d'illusions à cet égard: la sécurité de l'exploitation et l'accroissement rapide de l'effort de traction ne permettront pas d'ici longtemps de dépasser cette limite sur les lignes ordinaires. Pour atteindre 200 ou mème seulement 150 km : h., il serait nécessaire de recourir à des trains légers utilisant les matériels spéciaux indiqués au chapitre VIII et circulant sur des voies spé

ciales.

Dans le second cas, c'est-à-dire sur les lignes de montagne, la traction électrique permet en outre de réaliser l'adhérence totale en rendant toutes les voitures automotrices; on peut donc, pour des lignes nouvelles à simple adhérence, admettre facilement, comme l'a fait la Compagnie P.-L.-M. sur la ligne du Fayet à la frontière suisse par Chamonix, des tracés à fortes rampes et faibles rayons, plus économiques d'établissement; cette économie pourra, à elle seule, dans bien des cas, suffire à justifier l'emploi de la traction électrique en compensant, et au delà, tous les frais supplé

TRACTION ÉLECTRIQUE.

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mentaires nécessités par l'établissement des stations génératrices et lignes de transmission.

Sur les lignes à crémaillère, où le poids propre de la locomotive joue dans le poids total du train un rôle d'autant plus important que la rampe est plus forte, puisqu'à puissance constante la charge remorquée diminue, il en sera de même, grâce à la légèreté plus grande du moteur électrique. On peut, dans ce cas, tirer le parti le plus complet de cette légèreté en supprimant le lest que demande la marche à adhérence simple.

Dans les deux cas que nous venons d'indiquer et qui seront étudiés avec plus de détails au chapitre VIII, la locomotive électrique à alimentation extérieure est un engin de traction supérieur à toutes les locomotives à vapeur et elle a devant elle un avenir certain.

A l'avantage précédent, il faut ajouter, comme on le verra plus loin, la grande commodité de régulation des moteurs électriques. Grâce à cette circonstance, le personnel des locomotives alimentées par conducteur extérieur peut à la rigueur être réduit à un seul agent, le mécanicien, consacrant toute son attention à la surveillance de la voie, à condition, bien entendu, que le conducteur du train ait la possibilité d'accéder aux appareils de manœuvre pour remplacer son collègue en cas d'accident.

L'absence de fumée constitue pour l'électricité un avantage accessoire qui peut prendre une grande importance dans le service des métropolitains, des lignes de banlieue ou des lignes en tunnel. C'est cette considération qui a fait adopter, par exemple, l'emploi de la traction électrique dans le tunnel de Baltimore; elle a contribué également à cette adoption sur les chemins de fer urbains récents de Londres, de Liverpool, de Chicago, de Berlin, de Budapest, de Brooklyn.

Pour ces services métropolitains, un autre avantage de la traction électrique est le faible gabarit nécessaire pour les automobiles et plus encore pour les locomotives: ce gabarit réduit permet l'emploi de lignes tubulaires et leur exploitation par un matériel plus puissant qu'aucun de ceux qu'on pourrait réaliser avec les autres systèmes de traction.

D'autre part, une considération très importante pour un service de ce genre, c'est la rapidité de la mise en vitesse des trains. Or,

comme on le verra au chapitre XIII, les moteurs électriques, grâce à leur grande puissance spécifique et à leur remarquable élasticité de régime, permettent d'obtenir des accélérations plus rapides que les moteurs mécaniques, dont le poids est d'ailleurs forcément limité par la résistance de l'infrastructure.

Pour tous ces motifs, l'électricité résout très avantageusement le problème de la traction sur les chemins de fer métropolitains, tout en réduisant les organes moteurs au minimum, en permettant d'utiliser les locomotrices comme véhicule et en diminuant les dépenses de personnel. Les frais d'achat et d'entretien des moteurs électriques sont à peu près équivalents à ceux des locomotives à vapeur'; l'entretien des premiers est même plus réduit, car une locomotive à vapeur doit être nettoyée tous les 1500 km. environ, tandis qu'un moteur électrique peut parcourir 5 000 km. sans entretien. Aussi comprend-on que toutes les compagnies de métropolitains américaines en arrivent peu à peu à substituer l'électricité à la vapeur sur leurs lignes. Elles y trouvent non seulement la facilité de réaliser des services plus rapides et intensifs, donnant lieu à des augmentations corrélatives de recettes, mais aussi, dans la majorité des cas, un avantage économique direct par la réduction des dépenses de main d'œuvre et de charbon.

Il faut d'ailleurs remarquer que cette dernière économie ne résulte pas, en général, d'une diminution de la quantité de charbon brûlé, mais seulement de la possibilité d'employer du combustible de qualité et de prix inférieurs. Si, en effet, une locomotive de métropolitain à vapeur brûle par cheval 2 à 2,5 fois plus qu'une bonne machine de station centrale2, le rendement de la transmission électrique du cheval-heure effectif est faible : l'expérience montre que le rendement moyen des moteurs et régulateurs s'abaisse sur les lignes métropolitaines, par suite des démarrages rapprochés, à 0,60 ou 0,65 pour des moteurs à engrenages et à 0,65 ou 0,70 pour des moteurs gearless; en admettant

Il est bon seulement de ne pas oublier que les matériels électriques se démodent vite, à cause des progrès incessants réalisés; on doit, par suite, prévoir un amortissement rapide, au taux de 10 p. 100 par exemple.

Par exemple, sur les lignes metropolitaines à vapeur de Chicago, on brûle environ 1,8 kg. d'anthracite par cheval-heure indiqué, au lieu de 0,9 kg. dans une machine fixe à condensation, d'après D. L. Barnes.

0,90 de rendement moyen pour la ligne et 0,80 pour les machines à vapeur et dynamos réunies, on ne peut guère compter au total sur plus de

0,60 0,90 0,80 0,432

à 0,70 0,90 0,80 = 0,504

pour un service de ce genre'. La consommation de charbon est donc pratiquement la même dans les deux cas. Mais la dépense correspondante est plus élevée dans le premier, parce que dans une station centrale on brûle du charbon ordinaire, tandis que sur des locomotives circulant à l'intérieur d'une ville on ne peut employer que du charbon non fumeux ou du coke. A Chicago, par exemple, le charbon d'usine ne coûte que 6 fr. la tonne, au lieu que l'anthracite employé sur les locomotives d'« Elevated » revient à 35 fr., soit 29 fr. de différence par tonne brûlée. Cette différence, jointe à l'économie d'entretien des moteurs et à celle de personnel, suffit à payer et au delà les frais d'amortissement et d'entretien des usines et des conducteurs.

Les conditions ne sont pas les mêmes sur les grandes lignes ordinaires. Les difficultés qui restreignent l'emploi de la traction électrique dans le cas général sont les unes d'ordre financier, les autres relatives à la distribution du courant le long des voies (prix élevé d'établissement des stations et des lignes, frais d'exploitation, rupture possible des conducteurs de distribution) et sortent du cadre de cet ouvrage. Sans entrer dans le détail des évaluations, il est facile de se rendre compte que la traction électrique ne peut être économique sur les lignes exploitées à l'aide de trains peu nombreux et fournissant de longs parcours.

Pour le service des trains de marchandises, où les locomotives à vapeur utilisent entièrement leur poids pour l'adhérence, celui-ci ne peut être diminué pour la locomotive électrique équivalente; on ne peut songer non plus à équiper électriquement des wagons. à marchandises. Le poids mort reste alors le même pour la traction électrique que pour la traction à vapeur, la locomotive à vapeur fonctionnant ici avec un rendement maximum que ne pour

Ces chiffres concordent bien avec les résultats expérimentaux obtenus notamment sur le Metropolitan R.R. de Chicago (moteurs à engrenages) et le City and South London Ry. (moteurs gearless).

rait dépasser la traction électrique. Les installations coûteuses qu'exigerait celle-ci n'auraient donc pas de raison d'être, en dehors des lignes où le service des voyageurs serait déjà assuré par l'électricité et où l'on aurait la force motrice à très bon marché, en particulier dans les pays de montagne où le charbon est cher et l'utilisation des chutes d'eau généralement économique. Dans les cas où l'on doit recourir à la crémaillère, la question d'adhérence n'intervenant plus, la traction électrique conserve évidemment les mêmes avantages que pour les services de voyageurs.

En définitive, nous pouvons dire dès maintenant, à titre de conclusion, qu'il nous semble bien difficile de détrôner la locomotive à vapeur dans son véritable domaine, c'est-à-dire sur les lignes dont le profil est bien établi et qui donnent lieu à un trafic à grande distance, mais que la locomotive électrique proprement dite continuera à gagner du terrain partout où l'emploi de la vapeur soulève des critiques graves, par exemple dans les villes, sur les lignes de banlieue, dans les grands souterrains, sur les lignes à fortes rampes, etc., et qu'elle donnera de bons résultats économiques toutes les fois qu'il s'agira de services par trains légers très nombreux et à arrêts fréquents, en un mot de services analogues à celui des tramways.

Il est donc sage de renoncer, dans l'état actuel de nos connaissances, à des illusions chimériques que la presse non technique et même quelquefois malheureusement la presse technique ont trop souvent fait naître.

Pour ceux qui trouveraient nos conclusions trop pessimistes, nous citerons l'opinion d'un des hommes les plus compétents en cette matière, du véritable fondateur de la traction électrique moderne, M. F. J. Sprague, que personne n'accusera, pensonsnous, de parti pris contre l'électricité : « Personne peut-être, dit-il', n'a été mèlé plus activement que moi à l'industrie de la traction électrique; personne n'a foi plus que moi en son avenir. Mais cet avenir ne consiste pas dans la destruction en bloc des grands systèmes existants. Il réside dans le développement d'un champ d'ac

1. Will trunk lines be operated by electricity », par M. F. J. Sprague, Engineering Magazine, 1895, p. 610.

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