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CHAPITRE VII

LES DÉBATS PARLEMENTAIRES

1830-1848.

Formation des partis.

Légitimistes et républicains. Centre droit et centre gauche. Deur théories parlementaires : monarchie constitutionnelle et gouvernement parlementaire, Leur ressemblance et leur différence au point de vue des trois idées Charte, contrat de souveraineté, légitimité. Pouvoir personnel du roi. Opposition de la théorie revisionniste républicaine.

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La Révolution de 1830 avait eu pour résultat, ainsi que nous l'avons vu, de changer radicalement le principe du gouvernement, et de faire reposer désormais la souveraineté dans le peuple. Mais sur la façon d'entendre ce principe de souveraineté, les partis étaient loin de s'entendre. Les uns, parti du mouvement, avec Lafayette et Lafitte, voulaient laisser se produire « les conséquences de juillet » c'est-àdire laisser le parti démocratique s'organiser, laisser au besoin l'évolution répoblicaine se faire. Les autres, ou parti de la résistance (Guizot, Casimir Périer), déclaraient la révolution terminée et voulaient arrêter les progrès du parti républicain. Pendant les cinq premières années du règne de Louis-Philippe, les efforts de la monarchie et du parti bourgeois tendirent à enrayer le mouvement populaire, et ils réussirent le parti du mouvement disparut et le parti républicain fut écrasé par les répressions succes

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sives des émeutes de 1830, 1832 et 1834. Les républicains n'eurent pas de représentants dans les Chambres avant 1840, de sorte que la théorie « intégrale » de la souveraineté du peuple n'y fut pas exposée, et même lorsque les représentants de ce parti Ledru-Rollin, Garnier Pagès, Arago eurent l'occasion de prendre plus tard la parole, ils furent obligés d'aborder cette question avec une extrême réserve. D'un autre côté les partisans du régime tombé, les légitimistes » étaient peu nombreux, un seul orateur Berryer, reprenait de temps à autre avec modération les arguments de la légitimité, mais pour indiquer une préférence personnelle pour une famille de souverains, et pour invoquer le loyalisme de fidèles sujets, plutôt que pour faire l'apologie d'un régime, et l'exposé d'une doctrine. On ne retrouve donc pas dans les débats parlementaires qui suivirent la Révolution de juillet, la variété des théories et la multiplicité des exposés, qui avaient fait le fond. des débats sous la Restauration. Les grands principes divers par leur fond, et variés par leurs applications, les idées si multiples et si différentes des orateurs de la Restauration, font place à un seul système: le gouvernement représentatif, unique forme de la souveraineté une seule source de la souveraineté est invoquée la souveraineté du peuple qui serait plus exactement définie la souveraineté nationale. L'origine de la souveraineté, son principe, sa base ne sont plus discutés. Seul son exercice est envisagé, seule son application est en jeu. Deux groupes de monarchistes orléanistes se forment sur cette question: ceux qui admettent le prince à l'exercice de la souveraineté, et ceux qui laissent le prince en dehors de cet exercice. Les uns suivent Guizot qui soutient la théorie des torys anglais, que la prérogative royale est de choisir ses ministres en tenant compte des opinions de la Chambre, mais sans être obligé

cependant de suivre strictement la volonté de la majorité. Les autres avec Thiers comme en Angleterre les whigs, soutiennent que le roi doit choisir ses ministres suivant la majorité de la Chambre et dans cette majorité, qu'il doit laisser ses ministres seuls gouverner et ne pas intervenir. C'est à Thiers qu'est due la formule de ce système : Le roi règne et ne gouverne pas. Le premier parti est strictement constitutionnel et représentatif. Le second est parlementaire. C'est uniquement la question débattue dans les discussions des Chambres la souveraineté nationale est reconnue par tous; tous l'invoquent à leur profit et prétendent être seuls dans la vérité de son interprétation. Tous également considèrent la Chambre comme représentant la volonté générale, c'est-à-dire la souveraineté du peuple, sans examiner la question préalable de cette représentation, sans critiquer son exactitude et sa vérité. Pour tous le peuple n'est que la masse des citoyens soumis au cens; c'est de cette seule volonté qu'ils relèvent. Les nonélecteurs sont ignorés. Il faudra à la fin du règne (1847) la campagne de la gauche et des radicaux pour faire prendre en considération la question de l'extension du suffrage

à tous.

Le parti de la monarchie constitutionnelle se distingue par trois idées principales qu'il est assez pénible de dégager au milieu de la confusion des discours, et qu'il est surtout plus difficile d'exposer avec des preuves précises, parce que les précautions oratoires enveloppent toujours d'expressions imparfaites les idées réelles. Ces idées sont importantes non seulement parce qu'elles servent de point d'appui aux partisans de la monarchie constitutionnelle, mais parce qu'elles servent de point de comparaison avec les théories des autres partis. On peut cependant essayer de classifier ces trois idées ainsi :

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1o Un contrat a été formé entre le peuple et son roi Le vœu national était d'avoir une monarchie, avec une organisation des pouvoirs publics. Ce contrat qui établit la monarchie et règle la distribution des pouvoirs, c'est la Charte;

2o Par la Charte et par son caractère d'hérédité monarchique, la monarchie acquiert une sorte de légitimité, non pas par un droit inhérent à elle-même, mais par un droit qui lui a été reconnu et qui se perpétuant dans le temps devient de plus en plus solide ;

3o La couronne a un pouvoir personnel, indépendant et influent sur les affaires; pouvoir à la fois de direction et de contrôle; d'action et de modération.

L'idée de contrat, c'est ce qui forme la base du gouvernement de Louis-Philippe.

C'est par un contrat que le roi exerce une partie de la souveraineté de la nation, conformément au vœu de celleci. Et si c'est là un principe affirmatif du pouvoir monarchique de par la volonté nationale, de par la souveraineté du peuple, c'est également un principe négatif de toute autre souveraineté, droit divin ou légitimité (entendue comme sous la Restauration). Cette idée est particulièrement mise en lumière par Dupin dès l'avènement du nouveau régime: « On a aussi attaqué le principe du nouveau « gouvernement, disait-il, et dans la lutte entre le prin<«< cipe de la souveraineté nationale et celui du droit <«<divin, ne semblerait-il pas que c'est à celui-ci que nous «<ayons donné la préférence? Non, messieurs, rappelez<< vous que la Chambre a voulu au contraire que notre état « nouveau reposát sur un véritable contrat; elle a pris l'ini<«<tiative, elle en a proposé elle-même les conditions et le prince n'a fait que les accepter; elle a abrogé le préam<< bule de la Charte comme paraissant octroyer à la nation

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« ce qui est essentiellement de son droit: on a cessé de « voir dans les actes promulgués au nom du prince la for« mule qui rappelait le droit divin.. Enfin le prince lui« même par l'acceptation formelle de la Charte ainsi modi« fiée, déclare qu'il ne tient sa couronne que du vœu <«< national, qu'il n'est rien que par la nation, avec la nation « et pour la nation » (1).

C'est la même théorie du contrat qui était déjà émise par Benjamin Constant (2) et reprise encore par Dupin et par Guizot plus tard pour montrer précisément comment on devait entendre la souveraineté du peuple. Celle-ci n'était pas un principe de variation, ni un moyen de changements politiques. Elle avait été reconnue comme source et comme base de tout pouvoir: mais elle n'était pas libre de détruire ou de modifier ce pouvoir à chaque changement de l'opinion publique. Le contrat avec un monarque avait eu précisément pour but de la fixer une fois, de donner de la stabilité à son exercice, d'organiser son gouvernement. C'est pour cela que l'idée de contrat entre le souverain, c'est-à-dire la nation et le chef de son gouvernement, c'est-à-dire le roi est une idée essentielle dans ce système.

« Depuis quelque temps, disait Dupin, le mot d'ordre « de tous les partis est d'en appeler à la souveraineté du « peuple, et parce que le gouvernement de 1830 est sorti <«< d'un grand acte de la souveraineté du peuple, on veut « rétorquer sans cesse contre lui cette même souveraineté. << La France ne veut pas de la légitimité (de la Restauration). Elle ne veut pas de la République.

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« Voici ce que nous voulons:

« Une monarchie héréditaire, non de droit divin, mais

1. Dupin, séance du 30 septembre 1830; idem, 9 novembre 1830. 2. Benjamin Constant, séance du 19 août 1830.

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