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INTRODUCTION

DEFINITION. — Historique: 1o Les canonistes et le droit divin des peuples ; 2o Les légistes et le droit divin des rois : l'absolutisme; 3° Le droit naturel Grotius; 4° Les théoriciens du contrat social: Hobbes et l'absolutisme; Locke et la liberté individuelle; 5° Rousseau et la souveraineté du peuple son principe, son exercice. Le droit de suffrage; 6° La Constituante et la souveraineté nationale; le droit de suffrage, fonction sociale. – Critiques générales : 1o Inanité de toute théorie : impossibilité pour une doctrine philosophique de formuler le droit fondamental de toute société; même impossibilité pour une doctrine historique les conditions d'espace et de temps imposant la variation perpétuelle; 20 Toute théorie naît des faits politiques pour les appliquer et les légitimer. Elle ne vaut que tant que les faits sur lesquels elle s'appuie ont une valeur; 3° Seule conception logique la souveraineté de fait. 1815 Le droit public révolutionnaire remplacé par le droit public de l'ancienne monarchie. Vue générale de l'évolution des idées sur la souveraineté de 1815 à 1848.

Dans toute société humaine, c'est-à-dire dans toute réunion d'hommes organisée, les rapports des individus. sont réglés par des lois. Pour établir ces lois, puis les faire exécuter, il faut une autorité investie de la puissance publique, c'est-à dire investie du droit de commander. Exercer ce commandement, c'est faire acte de souverain et le droit supérieur en vertu duquel l'autorité est exercée, le droit en vertu duquel cette autorité est investie du pouvoir suprême s'appelle la souveraineté. Comment et sur quoi fonder ce droit suprême? Avec quelle thèse philosophique ou religieuse, politique ou morale, théiste ou athéiste, sociale ou individuelle, établir la base de la souveraineté ? Quelles explications donner pour légitimer l'exercice de ce droit? Quelle étendue lui donner et quelles limites lui fixer, quelles conséquences humaines en tirer? Des théories

Barbé

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aussi diverses que variées, des doctrines aussi contradictoires que rationnelles ont été présentées par le génie inventif des hommes pour satisfaire leur cerveau ou leur cœur, leurs sentiments et leurs passions, comme leur logique et leur raison.

Jamais peut-être ces doctrines ne furent plus nombreuses qu'au début du xix siècle : à la Restauration française deux mondes politiques se retrouvaient en présence, celui de l'ancienne France monarchique et celui de la Révolution. A ces deux mondes il fallait des principes de droit public, car si les hommes se battent le plus souvent pour leurs intérêts, ils tiennent à dissimuler ceux-ci sous de rigoureux raisonnements.

En 1815 on vit reparaître des théories qui semblaient à jamais disparues dans le mouvement révolutionnaire. Mais vingt-cinq années n'avaient pas suffi pour niveler tous les intérêts et effacer toutes les conceptions anciennes de la vie sociale, et l'on retrouva face à face les deux grands principes sur lesquels toute société avait été fondée : l'un qui trouvait la source de tout pouvoir dans une autorité supérieure et extérieure à l'homme, Dieu; l'autre qui plaçait l'origine de ce pouvoir dans l'homme même.

Si ces théories furent développées et présentées avec des considérations nouvelles, des arguments neufs et des conclusions différentes, elles ne faisaient en réalité que renouveler des doctrines anciennes.

Toutefois bien que la question du pouvoir ait été agitée dans toute société, puisqu'il n'y a pas de société sans pouvoir, ce n'est qu'au moyen âge que l'on parla pour la première fois de souveraineté, c'est-à-dire que l'on considéra en quelque sorte le pouvoir comme relevant d'un droit qui lui était extérieur et supérieur.

La première théorie, qui considère la souveraineté

comme un droit divin, fut exposée par les canonistes. Pour eux, Dieu avait voulu que les hommes vivent en société : en voulant la fin il avait voulu les moyens.

Puisque par définition il faut une autorité dans toute société il avait remis sa souveraineté aux individus qui composent la société, c'est-à-dire au peuple.

Celui-ci à son tour, sans en aliéner la propriété, pouvait en déléguer l'exercice à des princes; mais ces derniers ne recevaient la souveraineté que d'une façon médiate.

Ce qu'ils exerçaient ainsi, c'était une souveraineté nationale dérivant elle-même de la souveraineté divine (1). C'est la thèse qui fut reprise au XVIe siècle par certains écrivains ecclésiastiques et notamment par Suarès (2) avec cette différence que la souveraineté, divine dans son essence est transmise à l'homme pour qu'il l'exerce en société, devient comme toute chose humaine aliénable; et que le peuple peut en faire abandon total et définitif au profit d'un prince.

Le droit populaire se fond alors dans le droit divin qu'exerce le prince responsable seulement devant Dieu. La conséquence du système aboutit à l'absolutisme de droit

1. Q. Chénon, Théorie catholique de souveraineté nationale, Revue canonique, ch. I, 2.

2. Suarès, De légibus, 1611, L. III, 11; Conf. Hello, Revue Wolowski, 1836, vol. 5: « L'Eglise primitive qui eut un sentiment si pur de tous les droit de l'homme avait proclamé que la souveraineté descendait sans intermédiaire du ciel au peuple. Cette doctrine sommeillait depuis des siècles. Vers la fin du xvi deux théologiens Suarès et l'italien Billarmin la réveillèrent, mais en la corrompant par des vues intéressées : ils rétablirent la communication immédiate de Dieu aux peuples pour soumettre la souveraineté temporelle qu'ils reconnaissait en ceux-ci à la souveraineté spirituelle qui restait au pape. C'était reprendre d'une main ce qu'ils cédaient de l'autre. >>

divin. Mais ce n'est toujours qu'un pouvoir délégué qui a sa limite dans la tyrannie (1), parce qu'alors c'est le prince qui viole lui-même l'autorité divine. Certains, tel Mariana vont jusqu'à admettre en ce cas le régicide.

Mais ce n'est pas à l'aide de ces principes que l'ancienne monarchie française parvint à la conception du droit divin. des rois. Ce ne furent pas les canonistes, mais les légistes qui depuis Philippe le Bel avaient en étendant peu à peu des droits régaliens, élargi la prérogative royale, et par des efforts séculaires étaient parvenus à donner au souverain. une autorité omnipotente.

Pour ce travail, ainsi que le fait remarquer Taine, ils s'étaient fondés sur trois titres principaux : le droit de propriété du roi qui considérait en tant que suzerain la terre de France comme son domaine; son caractère sacré, et sa qualité de successeur et d'héritier des empereurs ro

'mains.

Mais c'est surtout sur son caractère religieux que la théorie du droit divin pouvait se fonder. << Marié de plus, et << dès les premiers Capétiens, avec l'Eglise, sacré à Reims, <«<oint de Dieu comme un David, non seulement on le «< croyait autorisé d'en haut comme les autres monarques, << mais, depuis Louis le Gros et surtout depuis saint Louis, <«< il apparaissait comme le délégué d'en haut, investi d'un << sacerdoce laïque, revêtu d'un caractère moral, ministre « de l'éternelle justice, redresseur des torts, protecteur des <«< faibles, bienfaiteur des petits, bref comme le roi très <«< chrétien» (2). On conçoit très bien dès lors que les contemporains de Louis XIV aient accepté la théorie de droit divin des rois dont Bossuet, reprenant du reste la doctrine

1. Suarès, III, ch. 4.

2. Taine, Le régime moderne, 1. II, ch. 3, p. 160.

de saint Augustin (1), s'est fait le théoricien. «< Tout l'Etat est dans la personne du prince; en lui est la puissance, en lui est la volonté de tout le peuple » (2). Or, si la souveraineté vient de Dieu et si elle réside dans la personne du roi, celui-ci est omnipotent, maître absolu dans son Etat, illimité dans son action comme dans sa puissance, responsable devant Dieu seul. Et même dans le cas de tyrannie, il est inviolable et la nation ne peut y toucher (3).

Le souverain est ainsi propriétaire du sol sur lequel il règne, propriétaire des biens de ses sujets (4) et sur ce point la théorie rejoint la coutume féodale, d'après laquelle, la véritable propriété des terres, le domaine appartient au seigneur dominant, au suzerain. Enfin délégué direct et

1. Saint Augustin, Sixième traité sur saint Jean, ch. I et la distinction 8:

<< Or le droit humain n'est pas autre chose que le droit impérial, « pourquoi? Parce que c'est par les empereurs et les rois de la « terre que Dieu distribue le droit au genre humain. .

2. Bossuet, Politique tirée de l'Ecriture sainte.

3. Bossuet (op. cit.): « Dieu est le vrai Roi. L'autorité royale est sacrée. Dieu établit les rois comme ses ministres et règne par eux sur les peuples. On doit obéir aux princes par principe de religion et de conscience. Dieu a mis en eux quelque chose de divin. do : « On ne doit pas examiner comment est établie l'autorité du prince : c'est assez qu'on le trouve établi et régnant... On lui doit le tribut... Il n'est permis de s'élever pour quelque cause que ce soit contre lui. Parler contre le Roi est un digne sujet du dernier supplice et ce crime est presque traité d'égal à celui de blasphemer contre Dieu. La sainteté inhérente au caractère royal ne peut être effacée par aucun crime, même chez les princes infidèles. »

4. Louis XIV, Euvres, I, 58. Vous devez, dit-il à son fils, être persuadé que les rois ont naturellement la disposition pleine et libre de tous les biens qui sont possédés aussi bien par les gens d'Eglise que par les séculiers pour en user en tout temps comme de sages économes, c'est-à-dire suivant le besoin général de leur Etat.

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