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France, au cours de la Restauration, le système adopté subit des crises, tout le monde rechercha le remède par analogie avec les institutions anglaises sans se demander si ce qui était possible en Angleterre pouvait l'être en France.

Quoi qu'il en soit, le système représentatif que Talleyrand comme membre principal et dirigeant du gouvernement provisoire du 31 mars 1814 avait établi, comprenait déjà les éléments qui se retrouvèrent dans la Charte deux Chambres, ministres nommés par le roi et responsables devant les Chambres, liberté du culte et liberté de la presse.

C'était les conditions avec lesquelles Talleyrand pensait qu'on pourrait satisfaire l'opinion publique et établir le pouvoir nouveau.

« On veut avoir des garanties, disait-il (1), on en veut pour le souverain, on en veut pour les sujets ;

((

Or, on croirait n'en point avoir :

« Si la liberté individuelle n'était pas mise par les lois à « l'abri de toute atteinte;

la liberté de la presse n'était point pleinement << assurée et si les lois ne se bornaient pas à en punir les

« délits;

« Si l'ordre judiciaire n'était pas indépendant, et pour « cela composé de membres inamovibles;

« Si le pouvoir de juger était réservé, dans de certains « cas, aux administrations, ou à tout autre corps qu'aux

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<< tribunaux ;

«Si les ministres n'étaient pas solidairement respon«sables de l'exercice du pouvoir dont ils sont déposi« taires;

1. Corresp. inédite de Talleyrand, op. cit., p. 470.

<«< S'il pouvait entrer dans les conseils du souverain « d'autres personnes que des personnes responsables;

« Enfin, si la loi n'était pas l'expression d'une volonté <«<formée par une réunion de trois volontés distinctes. »

N'est-ce pas là tous les principes du gouvernement représentatif, de la monarchie constitutionnelle et de la Restauration? Bien plus Talleyrand n'indiquait-il pas avec la liberté de la presse l'un des problèmes les plus irritants de la Restauration, une des questions qui, avec l'électorat, devaient amener les débats les plus passionnés aux Chambres?

Mais ce qui doit surtout attirer l'attention, c'est en quelque sorte le démembrement de la souveraineté, qui n'est plus une et indivisible, mais partagée entre différents pouvoirs, lesquels ont chacun une portion de souveraineté et doivent coopérer pour exercer la souveraineté entière. C'est le principe de tous les monarchistes constitutionnels, et des libéraux de la Restauration, alors que les monarchistes de droite, les « ultra » chercheront à rassembler au contraire tous les attributs de la souveraineté entre les mains royales. Le premier pouvoir surtout, non le prépondérant en fait, mais le plus important en droit, c'est le pouvoir législatif, Il est «< constitué » et réparti entre trois organes distincts qui devront réunir leurs trois volontés pour exprimer une volonté une qui sera la loi.

Ainsi fut créé, reconnu, établi et relevé le principe de la souveraineté constitutionnelle. Basé sur le droit historique. d'un gouvernement, de commander légitimement parce que l'exercice de l'autorité était entre les mains de ce gouvernement depuis des siècles, il établissait une théorie nouvelle de souveraineté indépendante de tout caractère aprioristique aussi éloigné de la doctrine de souveraineté de droit divin que de la théorie de la souveraineté du peuple. Cette

théorie nouvelle se trouvait d'accord avec les faits historiques, avec les besoins physiques de la société de 1814. Elle aboutissait comme conclusion à la légitimité d'un gouvernement constitutionnel, bien plus raisonnable que rationnel, c'est-à-dire bien plus près de la vérité relative que tout problème humain cherche à atteindre.

Cette théorie modifiée en son principe de raison, suivant les idées des individus qui s'en empareraient, allait être la base de discussions de tous les libéraux pendant la Restauration. Nous verrons quels rapprochements il y a à faire entre cette première doctrine constitutionnelle, et celle d'un Guizot.

A un point de vue plus général, il semble bien résulter de ce qui précède, que ce furent les faits qui firent naître cette théorie comme toujours dans la vie sociale ainsi que dans la vie des individus. N'est-ce pas l'intérêt des monarchies européennes qui, identique avec l'intérêt d'une monarchie légitime en France, amena le retour des Bourbons, facilité par la présence au pouvoir d'un individu extraordinairement habile dans l'art d'apercevoir exactement les faits historiques et de s'y accommoder? N'est-ce pas alors pour justifier théoriquement ce retour et le régime nouveau approprié à la fois à la monarchie et à la nation que fut tirée la règle générale de légitimité dont le principe. allait devenir la source de toute une théorie nouvelle de la Souveraineté la souveraineté constitutionnelle? En d'autres termes n'aperçoit on pas là nettement le phénomène de causalité: le fait générateur de l'idée ?

CHAPITRE II

LA THÉORIE DE LA SOUVERAINETÉ ROYALE

Le principe de souveraineté de Comment la Charte fut comprise Le développement de

La restauration de la souveraineté royale. droit divin base de la Charte de 1814. par ses fondateurs et comment elle fut composée. la théorie par l'étude de la Charte. Les caractères résumés de la théorie. - La contradiction entre le principe de la souveraineté royale et l'établis sement d'une monarchie constitutionnelle.

Talleyrand avait proposé comme base théorique du nouveau régime le principe de légitimité. Mais les monarchistes violents de 1815 ne pouvaient pas s'en contenter.

Ils revinrent à la vieille doctrine de la souveraineté de droit divin.

Lorsque les Bourbons rentrèrent en France en 1814, ils étaient oubliés de la plus grande partie des Français.

Les générations qui avaient succédé à celle de la Révolution et qui avaient grandi saus la première République et sous l'Empire ne songeaient plus à eux. Personne n'en parlait en France. « L'invasion n'a montré, écrivait Metter<< nich au moment de l'invasion de la France par les trou<< pes alliées, dans l'immense majorité du peuple français, <«< qu'une absence de volonté sans exemple... Le peuple français ne prendra jamais l'initiative sur la question « des Bourbons; les principes exprimés par les alliés leur

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<«< interdisent de la prendre. C'est aux princes de la maison « de Bourbon à agir» (1).

On a vu que ce fut grâce à l'initiative de Talleyrand et au principe qu'il fit valoir auprès des cours étrangères que les Bourbons furent rappelés à l'attention de la nation. Ce fut également Talleyrand qui les fit rappeler au trône de France en faisant décréter par le Sénat le rappel des anciens rois; ce fut en effet le Sénat qui, dans la Constitution du 6 avril 1814 qu'il élabora aussitôt après la chute de Napoléon et la création du gouvernement provisoire, introduisit sous l'article 2 la décision suivante: « Le peuple français appelle << librement au trône Louis Stanislas Xavier de France, «< frère du dernier roi et après lui les autres membres de << la maison de Bourbon ». A la vérité le Sénat par ce décret posait un principe que ne pouvait accepter le nouveau roi. Bien que toute la Constitution du 6 avril 1814 soit analogue en fait à celle qui fut appelée la Charte constitutionnelle, bien que ses dispositions principales soient passé pour ainsi dire textuellement, d'abord dans les déclarations du roi Louis XVIII, puis dans la Charte, elle établissait par cet article 2 le principe exactement contraire à celui sur lequel le régime nouveau voulait se fonder. Qui ne voit en effet qu'il faisait prévaloir la théorie de la souveraineté du peuple, qui librement déléguait le pouvoir à un roi. C'était la monarchie fondée sur un principe populaire, comme le pouvait concevoir en effet, un Sénat créé par Napoléon et qui avait l'expérience d'une autorité monarchique basée sur l'assentiment national. « Ce projet avait été préparé par les principaux chefs de l'assemblée sénatoriale dans un sens contraire à Montesquiou qui préten"dait que Louis XVIII reprenait la couronne en vertu d'un

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1. Cité par Seignobos, Hist. politique, p. 94.

I.

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