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immédiat de Dieu sur la terre, le souverain peut demander compte à ses sujets de leurs croyances et de leurs pensées. <«< Ceux qui ne veulent pas souffrir qu'il use de rigueur en << matière de religion, dit Bossuet, parce que la religion doit <«< être libre, sont dans une erreur impie ».

Et ce n'est pas comme on pourrait le croire une doctrine isolée faite pour légitimer certains actes tels que la révocation de l'Edit de Nantes. Un intendant Foucault (1) écrit ceci. « C'est une illusion qui ne peut venir que d'une préoccupation aveugle, que de vouloir distinguer les obligations de la conscience d'avec l'obéissance qui est due roi ». Théorie plus absolutiste encore que la première dans son essence comme dans ses conséquences. Quoi que fasse le souverain, sa volonté est toute puissante et fait la loi ; conséquence logique du reste de ce que tenant son pouvoir de Dieu seul et directement, responsable seulement devant lui, il représente seul sur terre le pouvoir temporel, et transmet à la société la loi divine sous forme de loi sociale; théorie qui va bien plus loin que les casuistes du xvr° siècle, puisque le roi sacré à Reims ne peut être coupable vis-à-vis de la nation, même dans le cas de tyrannie et que son caractère divin lui donne un droit inaliénable.

Telle fut la doctrine du xvr° siècle ou plutôt de Louis XIV. Avec le xvIII siècle et l'incrédulité progressive qui pénétra les mœurs, il était difficile de faire reposer le droit de souveraineté sur un droit divin. D'un autre côté en face de l'omnipotence de l'Etat, on chercha à élever le droit de l'individu. On ne songea pas à l'homme social qui a des droits et des devoirs sociaux, mais on rechercha les droits qu'il a pu posséder avant l'existenee de toute société. Ce sont ces droits naturels que la société ne peut lui enlever.

1. Sorel, L'Europe et la Révolution française, I, 231.

Lorsque l'homme est entré en société, il a fait un contrat: le contrat social dont J.-J. Rousseau fut surtout le grand théoricien. Mais déjà avant lui les hommes de doctrine avaient cherché à justifier par un contrat social le droit de souveraineté de la société. Bien avant Rousseau on avait cherché dans l'homme même un principe de gouvernement pour l'homme. Et c'est dans la même conception d'un contrat qu'on avait trouvé la source du droit de commander; chaque théoricien tirant du reste des conséquences diverses des prémisses par lui posées. Deux conceptions sont donc la base de tout cet ensemble de doctrines : l'existence d'un état de nature auquel correspond un droit naturel, la conclusion d'un contrat entre les hommes pour passer de l'état de nature à l'état social.

C'est Grotius qui semble avoir le premier formulé la théorie du droit naturel. Selon lui, il existe un droit distinct de ceux créés par l'homme, droit antérieur à toute organisation sociale, droit de nature qui n'est que l'expression du juste et de l'injuste selon la morale éternelle, dont nous avons conscience au plus profond de notre être. Lẹ but des sociétés est de faire respecter chez chacun et par tous le droit individuel et naturel. C'est par le consentement de tous les individus intéressés au maintien de ce droit que les sociétés se constituent et créent une autorité supérieure: Première idée de contrat.

Avant Rousseau cette idée de contrat fut encore la base des théories politiques de deux Anglais : Hobbes et Locke. Hobbes admet comme principe que la société repose sur un contrat. Par cet acte les particuliers instituant une société sont obligés de reconnaître une autorité, entre les mains. de laquelle ils aliènent leur indépendance: de même que chaque individu à l'état de nature est maître absolu de ses actes, qu'il a tous les droits et qu'il peut tout par la force,

de même l'autorité qui est aux droits des individus dans la société organisée hérite de toute la force que chaque individu possédait auparavant et la confisque à son profit. Roi ou majorité elle est omnipotente et soumise à aucune loi, tant qu'elle est assez forte pour se faire obéir. Le jour où elle succombe, l'état de nature recommence jusqu'à ce que par un nouveau contrat une nouvelle autorité reprenne et exerce la souveraineté (1).

C'est déduire du contrat social une doctrine absolutiste comme le fera plus tard Rousseau avec la logique de raisonneurs d'abstractions.

Hobbes, il est vrai, avait construit sa théorie dans un intérêt de parti. Loyaliste, partisan des Stuarts, il érigeait à leur profit une théorie monarchiste comme en France. Bossuet le faisait pour la plus grande gloire de Louis XIV, comme Locke élevait la sienne contre le principe absolutiste des Stuarts pour légitimer la révolution de 1688 et l'établissement d'une monarchie constitutionnelle.

De même que Hobbes, Locke admet un état de nature qui a cessé par un contrat social. Mais ce contrat base de la société civile «< n'a d'effet que dans une mesure conforme à l'intérêt des parties ». La société a pour but la protection des individus. Le droit de souveraineté a donc des limites qui sont toutes les atteintes à la liberté individuelle; si ces limites sont franchies, le contrat social est rompu et l'on revient à l'état de nature.

Ainsi au commencement du xvII° siècle, se fonde un droit public nouveau reposant sur l'idée que tout pouvoir vient des hommes, qu'il est établi pour eux et que la volonté divine n'a point de part dans la répartition de ce. droit.

1. Hobbes, De cive, sect. 2, ch. V et VI.

Au vieil axiome, Omnis potestas a Deo, expression de la pensée religieuse et théologique, la philosophie oppose la formule, Omnis potestas a populo.

Mais alors que les Anglais du XVIIe siècle comme les Français du xvie avaient construit des théories qui avaient pour but de légitimer des pouvoirs existants ou ayant existé, alors que leurs théories étaient faites pour donner une apparence logique rationnelle à des faits et des réalités, la philosophie donne naissance à une construction théorique, abstraite, synthétique, d'une société idéale, modèle vers lequel doit tendre la société réelle.

Rousseau de même que Hobbes et Locke place la souveraineté dans la société elle-même « dans les particuliers qui la composent (1) c'est-à-dire dans le peuple.

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Par le contrat social les hommes qui dans l'état de nature sont libres et égaux règlent les conditions de leur société. C'est lorsqu'ils sont réunis ainsi comme des associés qu'ils apportent leurs droits naturels et leur souveraineté individuelle pour constituer la souveraineté sociale nécessitée par l'établissement de la société. C'est le principe de la souveraineté du peuple exprimé nettement pour la première fois comme ayant sa source dans l'homme lui-même et non dans un principe extérieur et supérieur à l'homme. C'est sur cette théorie que les hommes politiques de la France révolutionnaire se baseront pour jeter bas la vieille Constitution monarchique fondée en réalité sur le droit historique et non sur les théories de droit divin de Bossuet

et de Louis XIV.

Des trois questions que doit se poser tout théoricien du droit de souveraineté, deux sont résolues par la définition même: la souveraineté vient du peuple. Elle appartient au

1. Rousseau, Contrat social, 1. I, ch. 7.

peuple. La troisième: qui l'exerce? est la plus délicate à résoudre. Le peuple ne pouvant exercer directement sa souveraineté, qui en sera chargé ? Jusqu'alors les théoriciens ont répondu, soit en faisant une aliénation totale comme les absolutistes, soit en distinguant l'aliénation de l'exercice et l'inaliénabilité de la propriété elle-même. Rousseau pose en principe l'inaliénabilité totale. La souveraineté est inaliénable parce qu'elle n'est que l'exercice de la volonté générale et que si le pouvoir peut se trans

mettre, la volonté ne le peut pas » (1).

Mais ce qui reste ainsi inaliénable, c'est la volonté générale elle-même. C'est la somme des volontés individuelles. Au contraire chaque être social, séparé et distinct de la société elle-même, est soumis complètement à la volonté générale.

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« Les clauses de ce contrat bien entendues se réduisent << toutes à une seule, l'aliénation totale de chaque individu << avec tous ses droits à la communauté, ou chacun se << donnant tout entier, tel qu'il se trouve actuellement, lui << et toutes ses forces, dont les biens qu'il possède font « partie » (2). Et les raisons: « Afin que chaque individu << n'ait pas comme homme une volonté contraire et dissem<«< blable à la volonté générale qu'il a comme citoyen ;... <«< afin que son intérêt particulier ne lui parle pas autre<«<ment que l'intérêt commun... afin de le soustraire à toute « dépendance personnelle » (3). On peut remarquer qu'en réalité Rousseau fait la même distinction que les canonistes qui séparaient la propriété de l'exercice du droit de souveraineté.

Quoi qu'il en soit, le pouvoir social qui représente la

1. Rousseau, Contrat social, 1. II, ch. 1.

2. Rousseau, id., I, 6.

3. Id., I, 7.

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