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position semblable. Vous nous avez dit, à propos de la concussion, que vous vouliez correctionnaliser celles que vous appelez petites, parce qu'on les acquitte toujours. Croyez-vous que le jury ne sera pas aussi indulgent pour les petits abus de confiance que pour les petites concussions, et qu'il n'acquittera pas les uns autant qu'il acquitte les autres, ainsi que vous vous en plaignez? »

M. le commissaire du Gouvernement (M. Cordoën) a répondu: « La Commission a fait une chose très-sage et très-rationnelle en assimilant les officiers publics ou ministériels, c'est-à-dire les agents de change, les notaires, les avoués, les huissiers, aux personnes déjà comprises dans les dispositions de l'art. 408, c'est-à-dire, à ceux qui commettent le délit, étant placés dans la confiance de ceux qui sont victimes du détournement. Les officiers publics ou ministériels sont investis d'une confiance nécessaire, et les fonctions mêmes qu'ils remplissent justifient l'aggravation qui vous est proposée. L'honorable M. Millet voudrait au moins qu'une distinction fût faite quant au chiffre de la somme détournée. Mais ici nous sommes dans le droit commun: il ne s'agit que d'un délit d'abus de confiance: or, nulle part dans le Code pénal, vous ne trouverez que la qualification du vol ou de l'abus de confiance se transforme et se modifie suivant que les sommes détournées se trouvent au-dessus ou au-dessous d'un chiffre déterminé. On doit ajouter que le fait ne sera considéré comme crime que lorsque l'officier ministériel l'aura commis à l'occasion de ses fonctions: c'est là la pensée manifeste de la loi. »

Aucune explication n'a été donnée sur l'addition du mantissement et du prêt à usage, aux contrats énumérés par l'art. 408. Quant au nantissement, cependant, les observations faites au sujet du 5o paragraphe de l'art. 400 s'y appliquent en partie. Lorsqu'on punissait des peines de l'art. 401 le débiteur, emprunteur ou tiers donneur de gage, qui détourne la chose qu'il a donnée en nantissement, on a voulu punir des peines de l'art. 406 le créancier qui détourne la chose dont il est nanti. Il y a lieu, dès lors, de rectifier dans ce sens la règle que nous avons posée (Voy. no 2070). Mais, à l'égard du prêt à usage, il est à regretter qu'aucun motif n'ait été exprimé. Nous avons dit les graves considérations qui avaient porté le législateur à omettre ce contrat dans l'art. 408 (Voy. n° 2069). Nous aurions désiré que ces considérations fussent au moins appréciées et débattues.

L'aggravation pénale attachée à la qualité d'officier public ou ministériel est l'œuvre de la jurisprudence. Les fonctions de ces officiers leur imposant une probité rigoureuse et la con

fiance des parties étant obligée, il avait paru à la Cour de cassation qu'ils étaient plus coupables et qu'il y avait lieu, par conséquent, d'admettre avec moins de difficulté à leur égard la constatation des éléments du délit. Nous avons relaté (n° 2075) les arrêts qui ont consacré cette tendance et qui n'hésitent pas à déclarer que, de la part d'un notaire ou d'un huissier, désignés par leurs fonctions à la confiance publique, les faits doivent être qualifiés avec une plus grande sévérité.

2669. Nous avons dû comprendre encore, dans cette section, les modifications apportées aux art. 418 et 423, car ces deux articles prévoient, comme ceux qui précèdent, des délits contre la propriété. L'art. 418 a été modifié d'abord pour correctionnaliser l'infraction qu'il prévoit, ensuite par l'addition d'une disposition nouvelle.

Art. 418. Tout directeur, commis, ouvrier de fabrique, qui aura communiqué ou tenté de communiquer à des étrangers ou à des Français résidant en pays étranger des secrets de la fabrique où il est employé, sera puni d'un emprisonnement de deux ans à cinq ans et d'une amende de cinq cents francs à vingt mille francs.—Il pourra, en outre, être privé des droits mentionnés en l'art. 42 du présent Code pendant cinq ans au moins et dix ans au plus, à compter du jour où il aura subi sa peine. Il pourra aussi être mis sous la surveillance de la haute police pendant le même nombre d'années. Si ces secrets ont été communiqués à des Français résidant en France, la peine sera d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de seize francs à deux cents francs. Le maximum de la peine prononcée par les paragraphes 1er et 3 du présent article sera nécessairement appliqué, s'il s'agit de secrets de fabriques d'armes et munitions de guerre appartenant à l'État.

L'exposé des motifs s'exprime en ces termes :

« Cette pénalité (la peine de la reclusion) est d'une époque où le patriotisme, surexcité par les circonstances, était singulièrement ombrageux en matière de secrets et de fabrication. Nous croyons cette disposition un peu changée par le caractère nouveau des relations internationales, par l'esprit de rivalité pacifique substitué à celui des anciennes luttes, et par les conditions nouvelles faites aux inventeurs. Sans doute cette révélation des secrets de la fabrique qui vous emploie, reste toujours un acte condamnable, un abus de confiance; c'est pourquoi l'on maintient le principe de l'incrimination, et l'on ne change rien au § 2. On ne méconnaît pas non plus que la révélation à l'étranger n'ait quelque chose de plus grave; c'est la raison qui fait porter l'emprisonnement à cinq ans, et conserver cette amende si forte de vingt mille francs, qui est de toutes les peines la mieux

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appropriée: mais l'infraction, quoique aggravée, n'a pas l'intensité morale d'un crime. Il faut bien s'avouer que l'esprit de notre temps n'est pas très-favorable aux secrets de fabrication. L'art. 418 suppose nécessairement deux choses qu'il y avait un secret et un droit exclusif. L'un et l'autre peuvent exiger des appréciations d'autant plus difficiles que nos lois subordonnent le droit exclusif à des conditions qui semblent inconciliables avec le secret ces appréciations seront mieux faites par les magistrats que par le jury. Néanmoins il peut se présenter un cas affranchi de ces difficultés, et par rapport auquel les justes exigences du sentiment national n'ont rien perdu de leur opportunité: c'est le cas où le secret est celui d'une fabrique d'armes ou de munitions de guerre appartenant à l'État; après avoir hésité à maintenir pour celui-là la peine de la reclusion, il a paru suffisant, et plus conséquent aux raisons générales du projet, de marquer la gradation par le maximum des peines correctionnelles. C'est l'objet d'un paragraphe final ajouté à l'article.

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Le rapport se borne à reproduire ces observations dans les termes suivants :

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Il paraît rigoureux d'élever au rang des crimes la simple révélation d'un secret, et l'on peut se contenter de la punir d'une peine correctionnelle. D'ailleurs, le jugement de cette infraction devient le plus souvent d'une appréciation délicate et difficile. Le délit n'existe que si les moyens de fabrication révélés sont véritablement des secrets, c'est-à-dire s'ils appartiennent exclusivement à la fabrique, s'ils ont été inventés pour elle, s'ils lui ont été spécialement appliqués: or, ce sont là autant de questions rentrant dans le domaine du droit, et dont les tribunaux correctionnels seront les meilleurs juges. Il est un cas où l'intérêt national peut être plus gravement engagé : c'est celui où la révélation porte sur des secrets de fabrication d'armes et munitions de guerre appartenant à l'État. Par une innovation que nous approuvons, le projet marque la gradation de la criminalité, en appliquant à ce cas le maximum de la peine.

2670. L'art. 423 n'est modifié que par l'addition d'un paragraphe ainsi conçu :

«

Art. 423... Le tribunal pourra ordonner l'affiche du jugement dans les lieux qu'il désignera et son insertion intégrale ou par extrait dans tous les journaux qu'il désignera, le tout aux frais du condamné. »

Cette disposition, qui n'était pas dans le projet du Gouvernement, est motivée dans le rapport de la Commission ainsi qu'il suit :

« L'art. 423 punit le délit de tromperie sur la qualité ou la quantité de choses vendues; il a été modifié et complété par une loi du 27 mars 1851, qui contient un grand nombre de dispositions nouvelles sur la répression

de certaines fraudes dans la vente des marchandises. Une de ces dispositions porte que le tribunal pourra ordonner l'affiche du jugement et son insertion intégrale ou par extrait dans tous les journaux qu'il désignera, le tout aux frais du vendeur. Cette peine, accessoire en apparence, est peut-être la plus efficace, parce qu'en donnant de la publicité au fait coupable elle donne l'éveil à la confiance publique et porte atteinte au crédit du condamné. Il est cependant impossible aujourd'hui de l'appliquer dans les cas retenus par l'art. 423. Nous avons rétabli l'harmonie entre la loi de 1851 et cet article, en le faisant suivre d'un paragraphe additionnel qui permet aux tribunaux, d'ordonner l'affiche du jugement et son insertion dans les journaux. ›

SECTION XI.

MODIFICATIONS A QUELQUES DISPOSITIONS DU CODE RELATIVES A L'INCENDIE ET AUX DESTRUCTIONS VOLONTAIREMENT CAUSÉES.

(Art. 434, 437 et 443).

§ 1 de cet article.

2671. Modifications introduites dans l'art. 434. 2672. Modifications au § 2. Incendie des wagons. 2673. Modifications au § 4. Incendie de sa propre chose par un agent. 2674. Modifications aux §§ 5 et 6. Incendie d'objets mobiliers.

2675. Additions faites à l'art. 437.

2676. Additions faites à l'art. 443.

2671. Plusieurs modifications ont été introduites dans les §§ 2, 3, 4, 5 et 6 de l'art. 434. Il importe, pour ne jeter aucune confusion dans ces textes, d'examiner séparément chacun de ces paragraphes. Nous devons toutefois nous arrêter d'abord au premier paragraphe, bien qu'il n'ait pas été touché, parce qu'il a été mêlé à la discussion:

«

Art. 434, § 1. Quiconque aura volontairement mis le feu à des édifices, navires, bateaux, magasins, chantiers, quand ils sont habités ou servant à l'habitation, et généralement aux lieux habités ou servant à l'habitation, qu'ils appartiennent ou n'appartiennent pas à l'auteur du crime, sera puni de mort. »

Ce premier paragraphe n'a subi, comme on le voit, aucune modification; et, cependant, nous lisons, dans le rapport de la Commission, ce qui suit :

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Puisque nous touchons à l'art. 434, nous avons jugé utile de le soumettre à deux autres modifications qui n'étaient pas proposées par le projet. --- Le paragraphe premier punit de mort l'incendie de lieux habités

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ou servant à l'habitation, sans définir ce qu'il faut entendre par lieux habités. Cependant l'art. 390, placé dans la section des vols, donne cette définition en déclarant qu'il faut réputer maison habitée tout bâtiment, logement, loge, cabane, même mobile, qui, sans être actuellement habité, est destiné à l'habitation, et tout ce qui en dépend, comme cours, bassescours, granges, écuries, édifices qui y sont enfermés, quel qu'en soit l'usage, et quand même ils auraient une clôture particulière dans la clôture ou enceinte générale. On s'est demandé si cette définition faite pour les vols était applicable aux incendies, et si, dans les deux cas, la dépendance d'une maison habitée devait être assimilée à la maison elle-même. On comprend que, voulant régler aujourd'hui cette question par une disposition législative, nous n'ayons pas à rechercher si, d'après les textes existants, cette assimilation existe, et qu'il nous suffit d'examiner s'il convient de l'établir. Si l'on consulte les motifs de la loi de 1832, on voit que l'incendie d'une maison habitée a été puni plus sévèrement, parce qu'il peut mettre la vie de l'homme en danger: « C'est la vie de l'homme que la loi protége, et non l'attentat à la propriété qu'elle punit,» disait le rapporteur de la Chambre des pairs. La préoccupation de cet intérêt est portée si loin que la peine de mort demeure, alors même que la maison n'est pas réellement habitée, pourvu qu'elle soit destinée et qu'elle serve à l'habitation. Or le feumis à la dépendance d'une maison habitée exposera le plus souvent celui qui l'habite au même danger que s'il était mis à la maison elle-même, à cause de la facilité avec laquelle la communication de l'incendie pourra s'établir entre les dépendances et la maison. Que sont le plus souvent les granges, écuries, cours, basses-cours et autres édifices qui y sont enfermés, sinon les bâtiments contigus ou presque contigus à la maison habitée ? N'est-ce pas dans ces édifices que l'incendie commence presque toujours, parce que l'accès en est plus facile, parce qu'ils renferment des matières plus aisément inflammables? Pour quelques cas rares où la dépen– dance serait hors de portée et où le danger de communication de l'incendie se serait amoindri, faut-il négliger les cas nombreux où la dépendance fait pour ainsi dire partie intégrante de la maison elle-même, et où le principe qui domine l'incrimination de l'incendie existe dans toute sa force? Il est bien vrai que l'avant-dernier paragraphe de l'art. 434 aggrave la peine de l'incendie lorsqu'il s'est communiqué à des lieux habités, quel que soit le point où le feu ait été mis. Mais cette aggravation n'est attachée qu'au résultat, et elle sera bien plus efficace si elle demeure indépendante.

Nous l'avons ainsi pensé, et, consacrant d'ailleurs une jurisprudence constante de la Cour de cassation, fondée uniquement sur l'interprétation des textes actuels, nous avons compris dans la même incrimination les lieux habités et leurs dépendances. >>

Nous avons dû recueillir ces observations, qui manifestent l'opinion de la Commission sur une des questions les plus graves que l'interprétation de l'art. 434 ait soulevées, mais elles sont restées stériles et sans aucun effet. Le projet soumis par la

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