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C'est en conséquence pour la faire cesser que la loi, déclassant quelques incriminations, celles où cette pratique avait été le plus appliquée, a fait à leur égard ce que faisait le juge et a substitué à la qualification de crime celle de simple délit. Le législateur a déclaré qu'il n'appartenait qu'à la loi de faire ce déclassement, et il l'a fait. Que faut-il conclure? Évidemment que là où il ne l'a pas fait, il n'est plus permis de le faire; qu'en changeant les qualifications qui lui ont paru devoir être changées, il a voulu maintenir les autres, et qu'en faisant la part d'une pratique abusive, quoique animée de louables intentions, il a voulu en définitive qu'elle cessât d'être appliquée. C'est là la leçon qui ressort clairement des motifs de la loi.

2597. L'article unique de la loi du 13 mai 1863 est ainsi conçu :

Les art. 57, 58, 132, 133, 134, 135, 138, 142, 143, 149, 153, 154, 155, 156, 157, 158, 159, 160, 161, 164, 174, 177, 179, 222, 223, 224, 225, 228, 230, 238, 241, 251, 279, 305, 306, 307, 308, 309, 310, 311, 312, 320, 330, 331, 333, 345, 361, 362, 363, 364, 366, 382, 385, 387, 389, 399, 400, 405, 408, 418, 423, 434, 437, 443 et 463 sont abrogés. Ils sont remplacés par les articles suivants : »

Soixante-cinq articles sont donc modifiés. Le projet du Gouyernement n'avait proposé la modification que de 45 la commission du Corps législatif a étendu, par voie d'amendement, cette sorte de révision à 23 nouveaux articles et a écarté 3 articles des 45 modifiés par le projet de loi. Les trois articles écartés sont les art. 229, 239 et 240, qui figuraient dans le projet. Les 23 articles dont la modification est due à l'initiative de la commission sont les art. 58, 132, 133, 134, 135, 138, 149, 177, 223, 238, 307, 311, 330, 333, 361, 362, 363, 364, 366, 405, 408,423 et 437.On ne compte pas l'art. 334, qui a été écarté.

2598. Ces 65 articles modifiés peuvent être divisés en plusieurs séries les uns introduisent dans plusieurs articles des incriminations nouvelles : ce sont les art. 134, 142, 153, 154, 160, 222, 308, 331, 400, 434 et 437. D'autres ne font que rectifier des incriminations déjà admises dans le Code : ce sont les art. 155, 161, 174, 177, 179, 223, 228, 309, 310, 311, 345, 405, 408 et 443. D'autres apportent une certaine aggravation à des peines correctionnelles prononcées par le Code; ce

:

sont les art. 57, 58, 164, 224, 225, 228, 230, 330, 423 et 463. D'autres se bornent à déclasser des faits que le Code avait qualifiés crimes et à substituer à cette qualification celle de délits ce sont les art. 134, 142, 143, 155, 156, 157, 158, 174, 241, 251, 279, 305, 309, 345, 362, 363, 364, 366, 387, 389, 399 et 418. Quelques articles ont au contraire qualifié crimes des faits qui n'avaient pas ce caractère : ce sont les art. 178, 309, 331 et 408. Enfin douze articles n'ont reçu que des rectifications sans aucune importance, purement matérielles, et qui n'ont pour objet que de les mettre en harmonie avec d'autres articles modifiés ce sont les art. 132, 133, 138, 140, 160, 238, 319, 320, 333, 382 et 385.

2599. Parmi toutes ces modifications, l'une des plus importantes est celle qui correctionnalise vingt-deux faits, qualifiés crimes par le Code et que la loi nouvelle proclame simples délits. Il est quelques observations générales qui s'appliquent à ces 22 articles modifiés, et qui doivent prendre place ici. On lit dans l'exposé des motifs :

Les résistances du jury portent principalement sur des infractions qualifiées crimes, mais dont la nature les rapproche beaucoup des simples délits. On peut dire même de quelques-unes que leur gravité morale est inférieure, qu'elles supposent dans l'agent une moindre perversité, qu'elles sont pour l'ordre social un moindre péril. Il a paru que leur déclassement, 'juste en soi, tournerait aussi à l'avantage de la répression. On a donc résolu de les faire descendre dans la classe des délits, en substituant des peines correctionnelles aux peines criminelles inférieures dont elles sont passibles dans l'état présent. C'est un des objets du projet de loi. Ces peines criminelles sont : la dégradation civique, le bannissement et la reclusion. Pour conserver une gradation parallèle et les rapports établis par le Code dans la pénalité, il devenait indispensable de ne pas varier dans la mesure des peines correctionnelles destinées à les remplacer. Voici la règle qu'on s'est faite : la peine de la reclusion serait invariablement remplacée par un emprisonnement de deux à cinq ans, qui est la plus forte peine correctionnelle ; celle du bannissement, par un emprisonnement d'un an à quatre ans, et celle de la dégradation civique, par un emprisonnement de six mois à trois ans. L'amende, selon les cas, la surveillance et l'interdiction, presque toujours, facultatives ou obligées, viendraient s'ajouter à l'emprisonnement, de manière à garantir une répression suffisante, et à conserver autant que possible les rapports actuels entre les peines d'une même série. Si nous insistons sur ce dernier point, ce n'est pas dans un intérêt de symétrie, mais de codification et de justice. Les articles modifiés font partie de sections

dont chacune règle la pénalité de toute une série d'infractions, qui sont de même nature, mais de valeur inégale. Cette inégalité ne tient souvent qu'à des circonstances accessoires de lieu, de temps, de qualités, de nombre, etc. Il tombe sous le sens que le législateur a dû mettre un soin extrême à graduer les peines selon les circonstances. Sans doute cette loi de gradation, qui est fondamentale, doit agir dans toute l'étendue du Code. Mais il convenait qu'elle fût plus religieusement gardée dans l'intérieur de chaque section, où sa violation, rendue plus manifeste par le rapprochement, blesserait davantage le sentiment de la justice. Il est donc arrivé quelquefois que la modification d'une disposition principale a entraîné, par voie de suite, celle de dispositions secondaires, qu'on a dû réduire, par exemple, la durée d'une peine correctionnelle, quand la peine voisine, afflictive et infamante, était correctionnalisée. N'oublions pas de dire que, dans tous les cas où la modification de la peine emporte le déclassement d'un crime, une disposition spéciale assimile la tentative au délit consommé.

L'exposé ajoute en terminant :

Nous devons aussi rassurer quelques esprits préoccupés d'une autre crainte. Ceux-là se sont demandé quelles seraient les conséquences du déclassement de certains crimes par rapport au nombre des accusés traduits annuellement devant les Cours d'assises, si ce nombre ne serait pas sensiblement diminué, s'il ne résulterait pas de cette diminution un amoindrissement du jury même. Nous pouvons donner l'assurance que ces craintes n'ont aucun fondement: le nombre des accusés distraits de la Cour d'assises par les déclassements proposés ne serait pas d'un sur soixante. Loin de tendre à diminuer l'institution du jury, le projet de loi la grandit plutôt, car il procède de cette pensée que les verdicts du jury manifestent la conscience publique.

Vingt-deux faits qualifiés crimes ont été correctionnalisés. Deux de ces transformations, qui ne sont d'ailleurs que d'équitables distinctions introduites dans les incriminations trop absolues, étaient sollicitées par la doctrine: c'est le fait de colorer des monnaies de billon (art. 134) et le fait de suppression d'enfant quand l'enfant n'a pas vécu (art. 345). Parmi les autres, quelques-uns n'ont aucune importance réelle, ce sont les faits de fabrication et d'usage de faux passe-ports, feuilles de route et certificats (art. 155, 156, 157, 158, 160), les actes de complicité d'évasion (art. 241), les menaces (art. 305), la fabrication de fausses clefs (art. 399). Mais il en est quelques-uns qui ont pour objet des faits d'une incontestable gravité : ce sont les contrefaçons et l'usage des marques et sceaux du Gouvernement (art. 142 et 143), les concussions inférieures à

300 francs (art. 174), les coups et violences portés à un magistrat à l'audience (art. 228), les violences commises par des mendiants ou vagabonds (art. 279), les coups et blessures qui ont occasionné une incapacité de travail de plus de 20 jours (art. 309), les faux témoignages en matière correctionnelle, civile et de police (art. 362, 363, 364, 366), les vols commis par les voituriers et bateliers (art. 387), enfin les bris de scellés (art. 251), les déplacements de bornes (art. 389), les révélations à l'étranger des secrets de nos fabriques (art. 418).

Les motifs de la qualification nouvelle assignée à ces différents faits, déjà indiqués dans l'exposé, se trouvent exprimés avec plus de netteté dans le rapport de M. le garde des sceaux qui précède le compte de la justice criminelle de 1861 :

« Les statistiques démontrent jusqu'à l'évidence que le jury fait preuve systématiquement d'une grande indulgence envers les accusés de certains crimes, qui, lorsqu'ils sont reconnus coupables, sont presque toujours punis de peines correctionnelles. Ces résultats devaient appeler mon attention toute spéciale, ils prouvent qu'aux yeux du jury ces faits délictueux auraient perdu le caractère de crimes et mériteraient d'être classés parmi les simples délits. Pour répondre à ces indications, dont l'importance ne pouvait être plus longtemps méconnue, puisque les jurés sont légalement les appréciateurs les plus éclairés de chaque inculpation, j'ai fait préparer un projet de loi en vertu duquel la juridiction correctionnelle est substituée pour la connaissance de ces crimes à celle des Cours d'assises. La répression sera ainsi plus indulgente et plus rapide. Un tableau, dans lequel sont relevés, pour les cinq dernières années, tous les crimes qui perdaient leur caractère pénal, montre qu'à l'exception des coups et blessures suivis d'incapacité de travail pendant plus de vingt jours, ces actes sont très-peu fréquents; quelques-uns même ne se sont pas présentés une seule fois de 1857 à 1861. Il résulte des trois dernières colonnes de ce tableau que, sur 100 accusés reconnus coupables par le jury des faits compris dans l'accusation, 21 seulement (un cinquième) ont été condamnés à des peines afflictives et infamantes. Quant aux 79 autres, à l'égard desquels le jury a déclaré qu'il existait des circonstances atténuantes, si on les envisage au point de vue de la nature des crimes, on voit que les circonstances atténuantes ont été admises: · pour tous les accusés de menaces et de contrefaçon de sceaux; pour les quatre cinquièmes des accusés de coups et blessures suivis d'incapacité de travail de plus de vingt jours, et pour les deux tiers des accusés de violences commises en état de vagabondage ou de mendicité. On voit en outre que les magistrats se sont associés à l'indulgence du jury dans une large mesure, car ils ont abaissé la peine de deux degrés pour tous les accusés de menaces, et ils l'ont atténuée, autant que l'art. 463

le leur permettait, pour un tiers des accusés de contrefaçon de sceaux. L'adoption du projet de loi répondrait donc parfaitement aux vœux du jury. ›

Nous avons apprécié ailleurs la valeur juridique de ces considérations (1), et nous n'avons aucune intention de reproduire des observations qui seraient ici sans objet. Nous avons également examiné s'il est conforme aux principes de notre législation d'enlever au jury, dont l'institution n'en reçoit d'ailleurs, nous le reconnaissons, aucune atteinte sérieuse, une partie de ses attributions pour les transférer à la juridiction de police correctionnelle, juridiction d'exception destinée au jugement des infractions secondaires qui n'apportent qu'un trouble minime à l'ordre (2). Nous n'insisterons pas ici sur ces deux points; notre but est uniquement de préparer et de faciliter une saine application de la loi.

2600. Le législateur a remplacé dans les art. 251 et 305 la peine des travaux forcés à temps par un emprisonnement de deux à cinq ans. Il a remplacé dans les art. 142, 156, 157, 158, 174, 241, 251, 279, 309, 362, 363, 364, 387, 389, 399 et 418, la peine de la reclusion par un emprisonnement de 2 à 5 ans, et dans l'un des cas prévus par l'art. 251 par un emprisonnement de 2 à 3 ans seulement. Il a remplacé la dégradation civique, dans les art. 143, 228, 362 et 366 par un emprisonnement tantôt de 6 mois à 3 ans, tantôt d'un an à 3 ans, tantôt d'un an à 5 ans. Il a remplacé la peine du bannissement, dans les art. 155, 156, 158, 160, par un emprisonnement d'un an à 4 ans. Il a prononcé dans la plupart de ces cas la peine accessoire de la privation des droits civils prescrite par l'art. 42, et en outre dans quelques cas la peine de l'amende et celle de la surveillance.

Enfin, la tentative des faits qualifiés délits a été spécialement incriminée dans les art. 142, 174, 251, 279, 387, 389 et 418. Nous avons déjà vu que l'exposé des motifs faisait de cette incrimination une sorte de règle générale: « n'oublions pas de

(1) Revue critique de législation, t. vII, p. 527, et t. 20, p. 97. (2) Revue critique de législation, iisd. locis, et Traité de l'instruct. crim., t. 7, p. 521.

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