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Au rédacteur du Journal des Débats.

Paris, le 19 août 1814.

« Monsieur, >> Permettez-nous de prévenir le public, par la voie de votre journal, que l'opéra ou plutôt le divertissement de Pelage, qui doit être représenté mardi prochain sur le théâtre de l'Académie royale de musique, avait été composé au milieu des premiers transports de joie causés par l'événement le plus heureux et le plus mémorable. Les circonstances n'ayant pas permis que cet ouvrage (qui n'est à proprement parler qu'un tableau dramatique ) parút à l'époque précise pour laquelle il avait été improvisé, nous avons cru devoir le retarder jusqu'à ce moment pour lui donner l'appui de Fanguste fête que la France entière se prépare à célébrer.

» Agréez, Monsieur, l'assurance de notre parfaite considération. » Les auteurs de l'opéra de Pélage.

Enfin on vit cet opéra. Nous empruntons à M. Duviquet, rédacteur du feuilleton des Débats, l'idée qu'offrait cet ouvrage.

<< M. de Jouy a divisé son ouvrage en deux parties bien distinctes: le premier acte nous montre Pélage encore incertain de son sort; Alphonse, son neveu, le jeune époux de Favila, s'est mis à la tête des guerriers qui vont livrer le combat décisif; le peuple invoque pour Pélage la protection du dieu des armées. On annonce la marche des princes alliés du roi. Tous les Asturiens viennent lui offrir le secours de leurs armes; le monarque magnanime les refuse; il ne veut pas que sa cause coûte la vie à un seul de ses sujets, ou compromette leur tranquillité. Ces braves montaguards persistent, et témoignent leur dévouement au roi en lui désobéissant. Pélage, dans une scène touchante, rappelle à Favila (c'est le nom que l'auteur a donné à la nièce de Pélage) toutes les consolations qu'il lui a dues ; Favila exprime son bonheur d'avoir pu être utile à son père et à soa roi. Cependant, pour faire diversion aux inquiétudes de la princesse, les jeunes habitans de ces montagnes viennent lui donner une fête. Une d'elles, en lui présentant un lis, lui chante le couplet suivant :

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Aussi M. Jouy reçut-il l'assentiment du roi à sa nomina tion de l'institut, en remplacement du chevalier de Parny. L'empereur revient. M. Jouy reloue son esprit à la Gazette de France, avec laquelle il passe un bail de six ans. Voici le premier article qu'il lui donna.

<< Cette capitale a été témoin deux fois, dans la même année, d'un de ces événemens mémorables semés à de grandes distances dans l'espace des siècles; la chute d'un souverain précipité du premier trône du monde où l'avait élevé la victoire, et la réintégration d'une famille de rois bannie depuis vingt-cinq ans ! Tout portait à croite que le spectacle d'une pareille catastrophe ne se renouvellerait pas aux yeux des contemporains. Napoléon semblait à jamais perdu pour l'empire, alors même que le bruit de son nom remplissait encore l'Europe, et que la France était en quelque sorte couverte des débris de sa gloire.

>> Les Bourbons pouvaient se croire affermis, sinon sur le trône d'Henri IV, du moins sur celui de Louis XV, et la nation, péniblement désabusée du rêve de sa grandeur, se résignait avec effort an repos violent dont sa situation lui faisait la loi. Je ne reviendrai pas sur les causes politiques qui ont amené si brusquement une révolution nouvelle; et sans empiéter une seconde fois sur les droits de l'historien, je me hâte de reprendre mes modestes fonctions d'observateur. L'esquisse même imparfaite du tableau de la capitale, pendant le mois de mars 1816, sera d'un grand intérêt pour l'avenir, et peut-être de quelque utilité pour le présent.

Ceux qui jugeaient de la situation de la France par celle de la cour dans les trois premiers jours da mois de mars dernier, pouvaient être dupes du calme apparent dont la capitale offrait l'image. Les Parisiens avaient enfin pris leur parti sur les décisions d'un congrès où la France figurait d'une manière si dérisoire; à peine quelques vieux politiques du café de Foi se tenaient-ils encore au courant des conférences de Vienne; l'armée, ensevelié dans ses cantonnemens, oubliait la victoire, et recevait avec une dédaigneuse indifférence les favoris minis. tériels que l'on substituait à ses anciens chefs; les prêtres ne cachaient pas assez le but et le motif de leurs espérances, ét ne voyaient dans les concessions qui leur étaient faites que le moyen d'en obtenir de nouvelles. La cour, sans femme, sans grâce et sans éclat, s'amusait à rétablir les barrières de l'étiquette; et les ministres, incapables de grandes choses, s'occupaient de petites intrigues. Celui-ci employait toutes les ressources de son imagination pour assurer à une chanteuse étrangère un privilége dont il dépouillait le légitime possesseur; celui-là ne voyait le salut de la France que dans la réforme, c'est-à-dire dans la destruction de l'institut national et de l'université; un troi

sième, à qui la justice avait confié sa balance, n'y pesait que les intérêts de sa vanité, de ses préjugés et de ses aversions. Les journaux, pour amuser la galerie, faisaient une petite guerre quotidienne : les uns poussaient de toute leur force au pouvoir absolu; les autres défendaient oa feignaient de défendre la charte constitutionnelle, et ceuxci mettaient, pour la première fois peut-être, la raison et les rieurs du même côté. Tel était l'état des esprits et des choses, lorsqu'un bruit sourd et lointain terrifia la cour, étonna Paris, et fit tressaillir l'armée,

» Tous les yeux se portent vers le midi de la France, d'où le coup était parti: on n'aperçoit d'abord qu'un point lumineux à l'horizon; mais tout à coup le météore s'élève, grandit, approche et remplit l'espace. C'était Napoléon! Du haut du rocher qu'il s'était choisi pour asile, son regard planait sur la France; il a mesuré l'abîme qui l'en séparait; il entreprend de le franchir et de ressaisir le sceptre échappé de ses mains. Ce projet, le plus audacieux qu'un homme ait jamais conçu, il l'exécute à la tête de six cents braves qu'il associe à son immortalité.

» La nouvelle de son débarquement parvint à Paris dans la journés du dimanche 5 mars; mais soit que la terreur glaçât d'abord tous les esprits, soit qu'on craiguît d'interrompre les pieux exercices auxquels ce jour était consacré, on remit au lendemain à s'occuper des mesures à prendre dans un événement où le retard d'une heure pouvait entraîner la perte d'un trône.

» Dans la matinée du lundi, cette nouvelle inconcevable franchit l'enceinte des Tuileries et circula dans la ville, où elle produisit une impression si variée, si mobile, qu'on ne pouvait encore lui assigner de caractère, Le Moniteur, en la faisant officiellement connaître, la présenta comme un acte de démence dont quelques gardes champêtres suffisaient pour faire justice. Tout ce qui approchait de la cour affecfait la même confiance; les plus zélés allaient jusqu'au mépris; l'alarme était dans une partie de la ville, et l'espérance dans l'autre; les militaires seuls annoncèrent le succès en apprenant l'entreprise.

» Bientôt on vit se renouveler les scènes du mois de mars de l'année

précédente. Dans la journée du 7, les groupes se formaient aux Tuileries et sur les boulevards; les cafés se remplissaient de nouvellistes, dont chacun avait en poche sa lettre confidentielle, et la lecture du Moniteur, qui se faisait à haute voix, était interrompue par des com mentaires où l'esprit de parti commençait à se montrer à découvert, Dès ce jour, on put remarquer dans la contenance des militaires un changement dont il était aisé de démêler la cause et de prévoir l'effet.

>> Ceux à qui les petits détails n'échappent point, et qui en tirent quelquefois de grandes inductions, s'aperçurent qu'à cette même époque les décorations du lis étaient déjà beaucoup moins comm

à es: on sut que, depuis plus de six mois, par une espèce de pressentiment et de convention tacite, les soldats, dans l'intimité de la caserne, donnaient à l'empereur le surnom mystérieux de La Violette, auquel ils attachaient l'idée d'un retour au printemps. Cette pensée secrète prit dès lors un signe extérieur; un bouquet de violette parmi les bourgeois, et parmi les militaires le ruban de la légion, négligemment noué à la boutounière, furent adoptés par les partisans les plus dévoués à Napoléon, comme un moyen de s'entendre et de se reconnaître.

» Le gouvernement (dont la conduite, dans cette grande occasion, fut une suite continuelle de fautes ), après avoir jeté dans les journaux un cri d'alarme, auquel il n'avait point préparé le public, adopta des mesures qui semblaient dictées par la sécurité la plus parfaite. Grenoble avait ouvert ses portes à l'empereur, et les princes délibéraient encore aux Tuileries sur le plan de défense qu'il fallait adopter, ne s'apercevant pas qu'il y avait beaucoup plus loin, en pareille circonstance, du golfe Juan à Grenoble, que de Grenoble à Paris.

» Le départ du comte d'Artois pour Lyon rassura momentanément le parti royaliste (car déjà il était aisé de voir qu'il en existait deux en France, dont l'un avait pour lui le pouvoir, et l'autre la force de l'opinion). La maison du roi toute entière fut rappelée de ses cantonnemens. Cette jeunesse valeureuse et brillante, parmi laquelle le héros de l'île d'Elbe comptait tant d'amis, ne balança cependant pas entre ses affections et ses devoirs, et son zèle fut aussi actif, aussi sincère, que si son dévouement eut été plus entier; mais quel pouvait en être l'effet, dans l'état où se trouvaient ces compagnies (dont plusieurs n'étaient point montées), commandées par des chefs pour qui l'art de la guerre et le métier des armes n'étaient plus que le souvenir confus d'un autre âge?

>> A mesure que Napoléon avançait, par un calcul de prévoyance dont personne ne se rendait compte, les esprits semblaient se rapprocher et les inquiétudes se confondre. Les espérances d'un parti, moins expansives à mesure qu'elles devenaient plus certaines, ménageaient prudemment le désespoir de l'autre ; celui-ci, cherchant à se tromper lui-même, mettait toute sa confiance dans l'opinion publique, dont il croyait trouver l'expression infaillible dans les cris d'une multitude de désœuvrés, rassemblés chaque jour dans les cours et sur les terrasses des Tuileries, et qui frémissaient le lendemain, en lisant les journaux, de s'y voir sigualer comme ayant demandé, la veille, à mourir pour la cause des Bourbons.

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>> Le retour précipité du comte d'Artois jeta l'épouvante aux Tuileries on y sentit, mais trop tard, la nécessité de se faire un appui de cette charte constitutionnelle dévouée depuis un an au mépris des royalistes purs, et aux insultes des journaux ; la même politique absurde qui avait éloigné l'armée dans un temps cù il eût été si avan

fageux de l'approcher de la personne du roi, dont on confiait la garde à des Suisses; la même politique, dis-je, appelait alors des troupes humiliées et mécontentes à la défense du monarque, et se flattait de diriger leurs armes contre un chef dont le seul nom réveillait en eux de si glorieux souvenirs, de si nobles espérances. Ce qu'un ministre inepte pouvait seul ne pas prévoir, ce qu'on devait craindre arriva ; les forces de l'empereur s'augmentèrent de tous les régimens qu'on envoya contre lui. On ne vit dans l'appel à la charte constitutionnelle et dans la cérémonie solennelle où la famille royale vint en jurer le maintien, qu'une mesure dictée par la crainte, et cette réflexion en détruisit bientôt l'effet.

» L'empereur approchait, et dans la confusion où s'égaraient les dépositaires de l'autorité, on crut un moment pouvoir recourir aux mesures de rigueur qui répugnaient le plus à la justice du roi et à sa bonté naturelle. On dressa des listes de proscription, on menaça hautement la liberté de tous les citoyens que l'on supposa devoir former des vœux pour le triomphe d'une cause qu'ils n'avaient jamais trahie, et un ministre poussa l'extravagance jusqu'à présenter aux deux chambres, qui le repoussèrent avec indignation, un projet de loì digne des tribunaux révolutionnaires de 93.

» Paris, dans les cinq derniers jours de cette crise, offrit le singulier spectacle de deux genres de proscrits, cherchant auprès les uns des autres des secours et des garans contre la chance politique que chacun avait à craindre. On allait se réfugier chez l'homme à gri l'on avait promis un asile pour le lendemain ; et ce qui caractérise honorablement cette époque, c'est qu'au milieu des baines qu'enfante l'esprit de parti, on n'a pas cité un seul exemple de détation, ou seulement d'abus de confiance: c'est à cette méme urbanité de mours qu'il faut rendre grâce du peu de succès qu'ont obtenu les provocateurs de guerre civile, dont l'éloquence avait pour but de nous pron ver qu'il y allait de l'honneur de la nation qu'une moitié égorgent l'autre.

>> Tandis que les volontaires royaux, dernière et faible rowostce de la monarchie, passaient des revues à Vincennes et se fatignaient à parcourir les rues de Paris, grotesquement coillés d'un chapeau à 12 Henri IV, Napoléon approchait de la capitale, apres avoir traversé ka France dans sa plus grande largeur, sans avoir trouvé le moindre obstacle et sans avoir brûlé une amorce dans sa ronte. Partout le drapeau blanc faisait place au drapeau tricolore, auquel tous les régimens se ralliaient avec des transports d'allégresse inexpr...es.

» Tous les projets d'insurrection avaient échoué, méme dano la Vendée; l'empereur n'était plus qu'à deux petites jounére, en grinces en sortant de la revue, donnerent des ordres pour leur deyarts th** moment chacun prit son parti, et prépara a costame a upur pour le lendemain. (C'en M. Jouy qui parte,

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