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» Dors, sang des demi-dieux; dors, amour des humains;

Et souris à ta mère en rêvant tes destins. >>

C'est ainsi qu'emporté sur l'aile de Pégase,

Un rêve me charmait aux bords lointains du Phase,
Quand soudain mille cris, dans Lutèce élevés,
Annoncent près de moi les jeux que j'ai rêvés.
La Seine a tressailli; les aigles de la France
Planant sur l'univers, proclament ta naissance :
Fils de Napoléon, déjà sur tes autels

Je vois fumer l'encens des dieux et des mortels.
Déjà Phébus prodigue à ta couche adorée
La rose d'Hélicon, de nectar enivrée,

Et le lis qui, du Pinde embaumant les gazons,
Des larmes de l'Aurore a nourri ses boutons.
Tous les arts à l'envi vont tresser leur guirlande;
A ces brillantes fleurs joindrons-nous une offrande,
Déesse des bergers? Mais nos hameaux, nos bois
N'offrent aucun tribut qui soit digne des rois.
Sais-tu de Calliope emboucher la trompette?
Le vol de l'aigle altier sied-il à la fauvette?
Crains d'approcher trop près le céleste flambeau ;
Crains dans les flots d'Icare un humide tombeau;
Abandonne les cieux; reviens, timide muse
Reviens fouler les prés où serpente Arethuse;

Vois le printemps, les fleurs, les bois, amis des veis,
Et l'ombre et le silence appellent nos concerts.

Veut-on passer du grave au doux? on lira ce qui suit :

<< Combien les phrases adulatrices des orateurs français ont-elles produit de mal, en faisant illusion aux hommes les plus éclairés de l'Europe? On ne pouvait croire qu'un aussi beau langage couvrît les actions les plus atroces, les vices les plus hideux! L'Europe, qui n'avait pas apprécié avec assez de sévérité les phrasiers académiques de l'ancienne France, ne conçut pas jusqu'à quel point un discours public et solennel peut être vain, illusoire et trompeur, au milieu d'une nation qui préfère les mots aux choses. (1)

(1) Le rédacteur du Spectateur essayait souvent à glisser, dans des articles de journal, quelques observations propres à modérer cette insolente vanité dont le gouvernement et la nation étaient enivrés. Il rappelait le mérite des peuples étrangers, il indiquait les imperfections du caractère français. Mais aussi l'autorité le faisait constamment dénigrer comme un ennemi de la gloire nationale.

(On ne s'en serait guère douté, d'après les échantillons que nous avons donnés plus haut. (Note des rédacteurs.)

» L'Angleterre seule, habituée à apprécier la solide éloquence politique, ne fut pas éblouie par les météores de la faconde révolutionnaire. Burke, grand orateur lui-même, mais avant tout grand homme d'état, démasqua et dénonça le premier ce qu'il appelait plaisamment la vaniloquence des Gaulois.

>> Ce mot manque à notre dictionnaire. Quel terme plus heureux, plus expressif peut-on trouver pour désigner tous ces grands discours dans lesquels les mêmes corporations, et souvent les mêmes hommes, ont dit élégamment le pour et le coutre sur toutes les questions de politique?

» D'abord nous avons peint la grandeur toute républicaine, toute antique d'un magistrat « qui crée des rois en dédaignant de l'êtrëz qui distribue des sceptres aux alliés fidèles de la république ; qui renverse du haut de leurs trònes ceux qui ont osé insulter à la liberté. » Quelques titres pompeux sont proposés, mais aussitôt rejetés; la sublimité consulaire, et autres phrases nouvelles, sont vouées au ridicule. Mais, patience! deux ou trois années s'écoulent, et nos orateurs républicains viennent en cérémonie haranguer sa majesté impériale! « Sire, s'écrient les Catons et les Brutus modernes, daignez être notre monarque et notre père ! ».... << Sire, s'écrie un magistrat, vous êtes grand par vos victoires, grand par vos lois, grand par l'amour du peuple, grand par l'admiration de l'Europe, grand par toutes les grandeurs réunies ! .... «Mes chères ouailles, dit la voix tonnante d'un prélat, voyezvous le nouveau Cyrus? c'est l'oint du Seigneur! c'est l'envoyé du Très-Haut! e'est l'homme de la miséricorde et de la Providence divine! Que parlez-vous de Providence? dit en s'égosillant un métaphysicien de 1793 : c'est l'homme de la destinée ! c'est le destin personnifié qui est venu régénérer l'univers ! » .... Puis arrivent les phrasiers provinciaux, et un préfet de quelque département obscur efface toute l'éloquencé complimenteuse de la capitale, par cette expression sacrilege : Dieu créa l'empereur! et se reposa. »

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Voici un petit extrait du Journal de l'Empire, du 19 décembre 1808, qui fait naturelle suite à ce qu'on vient de

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« Il était digne de l'immortel fondateur de la France nouvelle, de rappeler la muse de Phistoire à son antique dignité; de ranimer cette voix des siècles à qui il a fourni tant de matière ; de rendre aux historiens toute leur considération, toute leur liberté, tout leur courage, en les prenant sous sa protection; il était digne de Napoléon de penser que ce qui est l'épouvantail du communt des rois ! pouvait être un ornement de son règue. Le concours solennel, dans lequel l'empereur lui-même conronnera le meilleur historier

prouve que ce monarque est jaloux d'avoir encore un trait de ressem→ biance de plus avec Trajan, en laissant les historiens déployer devant son trone l'austère franchise et le noble orgueil de leur ministère. Le projet d'une école historique, projet déjà connu dans le public, et dont l'exécutiona pour garant les lumières et le zèle des chefs actuels de l'instruction, démontre que le monarque ne pense pas seulement à faire naitre les études historiques, mais aussi à leur donner un centre d'activité et un asile perpétuel. »

On ne savait peut-être pas que M. Malte-Brun était royaliste, après s'être montré un chaud partisan et un des plus grands admirateurs de l'empereur; cependant les pièces

suivantes en convaincront le lecteur.

Alliance de la monarchie et de la liberté sous le sceptre des Bourbons.

Libertas quæ sera tamen respexit inertem.

« Pourquoi des hommes connus par leur attachement aux principes républicains, se sont-ils les premiers empressés d'arborer le drapeau de l'antique monarchie des Bourbons?

» C'est que la cause des Bourbons est la cause de la liberté française et de la liberté européenue.

» La France, dans l'espace de vingt années, a vu s'écouler deux siècles de malheur. D'abord, les horreurs de l'anarchie ont dévoilé les dangers d'une démocratie corrompue ; la liberté en pleurs s'enfuyait loin de ces autels ensanglantés, aux pieds desquels le vice et le crime déshonoraient son culte. Il parut alors un homme unique dans les fastes de l'histoire; il lui fut donné de tromper les rois, de séduire les peuples. Un pouvoir surnaturel semblait lui soumettre le genre humain. Les sages n'osaient lui refuser leurs services; les braves lui prodiguaient leur sang; les monarques suivaient son char de triomphes, et devant sa couronne de fer on voyait pâlir les diademes les plus augustes.

» Il dit aux partisans de la monarchie : « C'est mon bras irrésistible qui, en écrasant l'hydre de l'anarchie, vous rend les institutions et les lois chères à votre cœur. » Il dit aux républicains : « C'est mon bras invincible qui, en vous protégeant contre vos nombreux adversaires et contre vos propres discordes, ne relève ce trône que pour en faire le boulevard de la liberté. » Cette double illusion fascina pour quelques instans les yeux les plus clairvoyans. Les hommes d'état les plus divisés par leurs opinions politiques et administratives, se réunirent autour du nouveau trône, se donnèrent la main, et travaillèrent ensemble à relever les ruines par lesquelles le torrent révolutionnaire avait marqué son passage.

>> Dans ce moment Buonaparte touchait de près à la vraie grandeur. Il n'avait qu'à replacer sur le trône des lis cette dynastie alors si infortunée et toujours si chère aux Français; les bénédictions des peuples l'auraient placé au-dessus de tous les héros de l'antiquité; et s'il n'eût pas voulu, content de l'immortalité, passer le reste de sa vie dans le plus glorieux repos, il eût pu trouver dans ses conquêtes de quoi fonder un nouveau trône pour lui-même, après avoir rendu aux Bourbons celui que la révolte et l'injustice leur avaient ravi.

>> Non seulement cette grande et généreuse idée ne trouva pas d'accès dans son âme, enivrée d'une ambition impure, mais une pensée infernale en prit la place : Buonaparte résolut la perte totale des Bourbons. Ce fut en trempant ses mains parricides dans le sang du duc d'Enghien, qu'il révéla ce sinistre projet à l'Europe effrayée.

>> Le vertige du crime ne cessa, depuis ce moment, de bouleverser son esprit. Il dépasse de toutes parts les limites naturelles de la France; il se plonge dans un système de conquêtes sans fin, sans but. Toutes les dynasties doivent faire place à sa famille; toutes les nations doivent recevoir ses lois. En même temps qu'il étend son pouvoir, il le rend de plus en plus despotique; les faibles barrières que l'imprudence des républicains avait opposées à son autorité, tombent devant le souffle de sa bouche, et dans cette même France qui avait versé jusqu'au sang de ses rois, pour n'avoir plus de maître, il devint également dangereux de prononcer le nom de la république et le nom des Bourbons.

» Quel fut alors le désespoir de quelques âmes fières et nobles qui avaient cru voir dans ce redoutable guerrier l'instrument de la régénération de la France! Comment se soustraire à cette chaîne qui embrassait tout le continent européen? à ce joug sous lequel les rois les plus puissans courbaient leur tête humiliée? L'avenir même semblait perdu; les générations naissantes paraissaient n'être élevées que pour l'esclavage.

» Une autorité arbitraire, sans exemple dans l'histoire, enveloppait dans la même servitude tous les partis, tous les esprits, tous les peuples; l'Europe ne cessait d'être un champ de bataille, que pour devenir une vaste et sombre prison, où le silence même était un crime. Le talent était soumis à une sorte de conscription non moins sévère que celle qui décimait la jeunesse et la valeur. Toutes les plumes, mises en réquisition, ne traçaient que les pensées d'un seul homme.

>> C'en était fait de la liberté européenne, du moins pour quelques siècles; notre belle partie du monde, cette patrie des lettres et des sciences, devenait un empire asiatique, le séjour du despotisme militaire le plus sombre et le plus redoutable.

1

»Heureusement pour le genre humain, cet homme qui portait l'enfer dans son cœur, portait aussi le chaos dans sa tête. Semblable à un volcan, il engloutissait, il dévorait tout ce qu'il venait de produire. Lui-même il a renversé cet effrayant colosse d'une monarchie universelle qui déjà semblait écraser l'Europe sous son poids. Ses inconséquences, ses contradictions, ses caprices en out hâté la chute plus que les batailles perdues.

» D'abord, l'administration, cette base de la puissance, n'était qu'un tissu de contradictions.

» Détruisant à chaque instant ce qu'il venait de créer, Buonaparte ne présentait à ses serviteurs les plus fidèles aucun point fixe auquel ils auraient pu rattacher leurs idées, leurs discours, leurs actions. Déclamer contre les priviléges de l'ancien régime et en créer de nouveaux, instituer des chambres de commerce et opprimer le négociant par les droits-réunis et par une douane vexatoire, fonder les finances sur l'impòt foncier et enlever les bras à l'agriculture, mettre son nom à un code nouveau et signer mille lettres de cachet, maintenir le juri et établir des commissions militaires et prévotales, dépenser des millions pour l'impression d'un volume maguifique, et lever sur la librairie un impôt arbitraire et exorbitant, accorder de magnifiques pensious, des places et des honneurs à de médiocres versificateurs, mais laisser dans l'oubli ou dans l'éloignement l'homme de génie voilà quelques-unes des innombrables contradictions de l'administration napoléonienne. Elle n'a eu de direction constante, uniforme, imperturbable, que lorsqu'il s'agissait de lever de l'argent et des hommes.

» Cette administration, capricieuse en France, prenait dans les pays conquis le caractère de la folie. Tandis qu'à Florence on donnait des prix pour le meilleur écrit en langue italienne, on voulait absolument abolir, à Hambourg, la langue allemande.

» Peut-être, dira-t-on, Buonaparte ignorait-it ces erreurs de l'administration. Souvent c'était le cas, mais cette ignorance tenait encore à une contradiction dans son fatal caractère. Il voulait être instruit de tout; il avait organisé un vaste système d'espionnage. Cependant, chose inconcevable! il ne souffrait pas qu'on lui rapportât exactement les faits qui auraient pu l'inquiéter. Les rapports secrets avaient déjà une première teinte de ce vernis qui ornait les récits officiels. Napoléon était parvenu à être souvent lui-même aussi mal informé que le public.

» Malheur au courageux patriote qui osait faire tomber sur les yeux du maître les rayons incommodes de la vérité, même après les invitations, les ordres les plus formels ! Napoléon réprimait avec hauteur la franchise, en même temps qu'il accablait dé mépris l'adulation servile. Il fallait porter ses chaînes avec un air de liberté et d'aisance.

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