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» Dans la diplomatie, c'était un mélange encore plus bizarre de maximes de despotisme et de licence démagogique. Presque dans la même phrase, il insultait aux monarques et il ordonnait aux peuples d'obéir en esclaves. Aujourd'hui, il disait aux Anglais d'être sur leur garde contre la prérogative de la couronne; il exaltait Francis Burdett. Demain, il prétendait faire accroire au roi de Prusse que ses plus dévoués serviteurs, les membres du Tugendbund, étaient des jacobins. C'est qu'au fond, il avait envie d'être en même temps le seul despote et le seul jacobin dans l'univers. Ce secret lui échappa même tout entier le jour qu'il s'avisa de déclarer officiellement, aux princes de sa famille placés sur des troues étrangers, « que leurs premiers devoirs étaient envers lui, et que les intérêts de leur peuple ne venaient qu'en seconde ligne! » Celui qui pouvait tenir solennellement un semblable langage, n'avait d'ennemi plus redoutable que lui-même.

>> C'est surtout dans ses dernières guerres qu'il parut lui-même conspirer sa ruine. Il veut subjuguer l'Espagne, et par une suite d'attaques faibles et mal combinées, il apprend à cette nation généreuse, mais languissante, le secret de son énergie; il apprend à toutes les autres l'art de la défense nationale. Honteux de trouver pour la première fois de la résistance, il s'élance vers l'autre extrémité du continent; l'humiliation de la Russie doit rappeler aux nations cette terreur de ses armes qui commençait à diminuer; il inonde la Lithuanie de ses troupes, mais il dédaigne la conquête plus utile de la Volhynie, de l'Ukraine; dans le grenier de l'Europe, il cherche exprès la seule route sur laquelle il pouvait mourir de faim. Il sacrifie les troupes françaises et polonaises, les seules sur lesquelles il pouvait compter, et laisse sur ses derrières les Prussiens et les Autrichiens dont il devait connaître le peu d'attachement à sa cause. Échappé, comme par un prodige, à travers les légions ennemies, à travers les plaines couvertes de neiges et de sang, il pouvait tirer de cet immense désastre un moyen de salut; l'Europe, le croyant assez affaibli, ne lui demandait aucun sacrifice réel, et se serait de nouveau endormie sur la foi d'un traité qui eût laissé Napoléon au premier rang parmi les souverains. Trois ans après, il pouvait, avec de nouvelles forces, reprendre ses plans gigantesques; mais, comme si un mauvais génie le poussait à délivrer l'Europe malgré lui et malgré elle, il repasse le Rhin, il hasarde de nouveaux combats, il effraie et éveille l'Autriche, donne aux Saxons, aux Bavarois, le courage du désespoir, perd la bataille de Leipzick, et échappe une seconde fois aux périls les plus imminens. L'Europe victorieuse, la France éplorée lui demandent encore la paix, cette paix qui seule pouvait sauver son trône; il la repousse avec hauteur, il attire.jasqu'au centre de ses états un ennemi trois fois supérieur en nombre ; grâces à tant de fautes, Paris voit enfin dans ses vainqueurs ses

Jibérateurs, et, après vingt-cinq ans de révolution, le drapeau des Bourbons flotte de nouveau sur les rives de la Seine affranchie.

>> Le voilà donc par terre cet empire colossal qui touchait les mers du Nord et les mers de l'Afrique! Le despotisme et le genie l'avaient élevé, le despotisme et la folie l'ont renversé. Au milieu de ses immenses débris, les nations européennes, encore saisies d'effroi, n'ont qu'un seul cri de ralliement : vive la paix ! vive la liberté ! La France y ajoute avec attendrisscment: vivent les Bourbons!

» Nous savons déjà que le rétablissement de cette auguste dynastie nous procure une paix plus prompte et plus avantageuse. Pouvonsnous douter que ce rétablissement ne soit aussi la meilleure garantie de la liberté publique?

» Les Bourbons ne reviennent pas ressaísir tumultuairement un pouvoir arbitraire ou mal défini. Eux-mêmes ils provoquent un pacte constitutionnel semblable à celui qui régit l'Angleterre. Ils veulent << une monarchie pondérée par un gouvernement représentatif. Point de législation, point d'impôts sans le concours d'une représentation nationale indépendante! Les ministres sont responsables; la propriété est sacrée. Le pouvoir judiciaire est soustrait à toute influence étrangère. La liberté des consciences et celle des opinions sont assurées. Ces promesses, qui embrassent tous les vœux des amis de la vraie liberté, trouvent une double garantie dans la force des choses et dans le caractère des personnes.

» Le roi! n'est-ce pas ce prince sage, plein de lumières, ami de la saine philosophie, qui, en 1788, reconnut la nécessité de réformer quelques-uns de ces abus que le temps introduit dans les meilleures constitutions? En 1795, n'a-t-il pas de nouveau proclamé son amour pour la liberté publique et son respect pour l'égalité des droits, « qui se concilie parfaitement, dit S. M., avec cette inégalité des conditions, inséparable de l'état social? » Depuis cette époque le roi a passé vingt années dans la retraite, dans l'étude, au milieu de cette nation allemande si fameuse par la liberté de penser; au milieu de ces Anglais si fiers de leur liberté politique. Il a recueilli des notions étendues sur l'esprit du siècle. Ces notions salutaires percent rarement l'enceinte magique tracée par les flatteurs autour des princes heureux; elles viennent assaillir de toutes parts un prince infortuné; et lorsqu'elles rencontrent un esprit ferme et juste, elles lui donnent cette prudence conciliatrice qui, dans les circonstances, est le premier besoin de la France.

>>En posant le pied sur le sol français, après vingt-cinq ans d'absence, quel a été le premier mot de Monsieur, comte d'Artois ? << Plus de tyrannie, plus de conscription, plus d'impôts arbitraires! » C'est à ce cri, répété dans les vallées des Vosges, dans les rues de Nanci, que le lieutenant général du royaume s'est avancé, sans armes, presque sans suite, se confiant à l'amour des Français.

Un autre Bourbon a fait retentir le même cri sur les rives de la
Gironde, et soudain tout le monde a reconnu le descendant de
Henri IV.

» Oui, le sang de Henri IV et de saint Louis n'a presque jamais produit de ces rois ambitieux, durs, inhumains, qui sacrifient les intérêts du peuple à l'éclat du trône. Si les Bourbons, élevés dans la pompe de Versailles, environnés des prestiges de la souveraineté, bercés dans les bras de la mollesse et suivis d'un peuple de courtisans, ont généralement gouverné avec douceur, avec modération, que ne doit-on pas espérer des Bourbons élevés dans l'école de l'adversité, environnés si long-temps de dangers et de privations, accoutumés à tous les caprices du sort, et suivis seulement d'un petit nombre d'amis fidèles, infortunés comme eux? L'histoire, écrite depuis quelque temps avec la plus âpre franchise, a d'ailleurs plus que suffisamment éclairé nos princes légitimes sur les erreurs de quelques-uns parmi leurs ancêtres, comme elle a éclairé la nation sur les funestes suites de la licence et de l'esprit de révolte.

» Les Bourbons n'ont aucun besoin du pouvoir arbitraire. Ils règnent sur nous par l'amour avant de régner en vertu de la constitution. Leur empire, fondé dans nos habitudes, nos souvenirs, peut se passer de l'appui des baïonnettes et des espions. Buonaparte, régnant par la force et par l'astuce, se voyait entouré de plusieurs oppositions redoutables; il se croyait obligé d'étouffer l'esprit national par le ré gime le plus sévère. La meilleure excuse que ses partisans les plus adroits mettaient en avant, c'était la dure nécessité qui entraîne toujours le fondateur d'une dynastic nouvelle: Res dura etregni novitas ! Il faut soumettre les mécontens, récompenser ses partisans, surveiller tout le monde. Les Bourbons n'ont aucun besoin de cette triste politique ; ils reviennent au sein de leur grande famille, ils revienescorté par la loyauté, conduits par la gaieté, accompagnés de tous les souvenirs chers aux Français. Le nom de Henri IV les précède dans nos places publiques, et saint Louis prie dans les cieux pour eux et pour nous.

» Supposer une arrière pensée aux descendans du loyal Henri IV, ce serait leur faire le plus cruel outrage. Malheur à qui oserait, sous les couleurs des Bourbons, prêcher l'intolérance et le fanatisme, attaquer le droit de propriété, ou établir un système de diffamation! Qui peut penser à des vengeances quand le roi pardonne?

» C'est surtout le souvenir de Buonaparte qui sera le boulevard de la liberté pour tous les peuples de la terre.

» Un ministre perfide ose-t-il insinuer au prince le désir d'étendre son pouvoir? le prince, l'histoire de Buonaparte à la main, lui répondra: Voyez à quelle chute humiliante l'usurpation a conduit un homme doué d'un grand génie. Les courtisans chercheraient-ils à Aoigner du souverain les patriotes courageux et véridiques? le roi

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se rappellera que c'est par-là que commencèrent les fatales erreurs de Buonaparte.

>> Un prince, emporté par un monvement d'orgueil, repousse-t-il avec dédain les avis de la représentation nationale? tout le peuple s'écriera: Voilà un trait digne de Buonaparte! Un prince essayerait-il de lever des impôts ou des troupes sans le consentement du sénat et du corps législatit? on se rappellera sur-le-champ, avec un salutaire effroi, les désastres dont cet abus du suprème pouvoir couvrit la malheureuse France. Quel est l'artifice subtil, quel est le grossier piége du despotisme dont Buonaparte n'ait fourni le modèle? Il a achevé ce qu'avait commencé Tibère, il a trahi tous les secrets de ceux qui veulent régner sur leurs semblables par la force.

>>Portons nos regards au-delà des limites de la France. Qui a soutenu les princes protestans, défenseurs des libertés germaniques? Qui a protégé les républiques de Hollande et de Suisse? Qui a tendu une main secourable à la confédération américaine? Partout nous voyons les Burbons soutenir la cause des peuples opprimés : toutes ces nations voisines de la France leur sont attachées par le doux lien de la reconnaissance. Le nom de Buonaparte épouvantait partout les amis de la liberté; le pêcheur batave dans ses marais, et le pâtre helvétien sur ses montagnes, maudissait celui qui avait asservi leur patrie. Séparé de son trône despotique par l'immensité de l'Océan, l'Américain redoutait sa sinistre influence; et le reproche le plus embarrassant qu'on faisait à Madisson, c'était celui-ci : Vous ouvrez la route à un despote qui nous donnera quelque jour un roi, des princes, des dues de sa façon. Le nom des Bourbons est au contraire vénéré chez ces peuples libres. Le noble Anglais, qui jadis l'avait pris en haine, a tracé par son sang répandu pour la France, les ineffaçables bases d'une union sincère, et, plût à Dieu, éternelle. L'Espagne, gouvernée par des princes du même sang, vient de recevoir une constitution politique semblable à la nôtre. Tout présage donc que la dynastie des Bourbons, replacée sur son antique trône, présidera à un siècle de paix et de concorde.

» Mais les princes de l'Europe savent, par une expérience à jamais mémorable, quels désastres un monarque français, muni d'un peevoir arbitraire, peut répandre sur notre partie du monde. Leur propre conservation les rend donc garans de la constitution tempérée que la France vient de se donner. Ils mettront autant de zèle à maintenir la liberté française, qu'ils en mettaient jadis à empêcher la réunion de l'empire d'Allemagne sous un seul chef.

» Répétons donc avec confiance : la cause des Bourbons est la cause de la liberté française et de la liberté européenne.

» Vous, guertiers magnanimes, à qui, le 18 brumaire, Buonaparte avait dit : Soldats, si jamais je trahis la liberté, tournez vos bažanettes contre moi! Vous, sages conseillers, qui cherchiez en vain à

sauver quelques débris de la constitution, quelques restes de la liberté publique; vous, écrivains hardis et philosophiques, dont le despote enchaînait la plume, après l'avoir forcée à tracer son éloge, ne craignez pas d'être accusés d'inconstance, en appuyant la cause de vos rois légitimes. Jamais vous n'aurez montré plus de conséquence, plus de consistance, plus de persévérance, que lorsque vous aurez allié le cri de vive la liberté ! à celui de vivent les Bourbons

Portrait de la duchesse d'Angoulême; par des auteurs anglais et allemands.

LORSQUE les orages révolutionnaires dispersèrent la famille royale de France, un jeune rejeton de la tige des lis resta isolé sur un sol alors inhospitalier, et fumant encore du sang le plus auguste. La fille de Louis XVI avait échappé au glaive révolutionnaire; elle avait été remise entre les mains des commissaires autrichiens, en échange de quelques prisonniers de guerre. Son apparition à la cour d'Autriche produisit la sensation la plus touchante.

» Le 9 mars 1996, dit un journal allemand, la princesse royale de France, Marie-Thérèse, fit son entrée à Vienne au milieu des acclamations du peuple... Les archiducs et les archiduchesses la reçurent. L'empereur et l'impératrice lui firent une visite. Dès qu'elle fut entrée dans son appartement, elle versa un torrent de larmes..... Elle n'a apporté de France que les objets suivans : les portraits en miniature de son père, de sa mère, et de sa tante la princesse Elisabeth; quelques touffes de cheveux de ces trois personnes, et une paire de jarretières, tricotées par sa mère infortunée, avec du fil tiré d'une vieille tapisserie qu'elle avait trouvée dans sa prison.

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» Le 31 mars, la présentation de la princesse royale de France s'est faite dans un cercle aussi nombreux que brillant............. Cette auguste personne a surpassé l'attente générale. Sa beauté, sa sensibilité, sa grâce, ses manières affables, son port aisé, excitèrent l'admiration universelle. Elle dit les choses les plus flatteuses aux feldmaréchaux Lascy, Clairfait, Collorédo et Pellegrini, ainsi qu'au comteTrautmennsdorf. Les émigrés français furent présentés à S.A.R. par le marquis de Gallo, ambassadeur napolitain. Ils étaient au nombre de six. Le duc de Guiche, capitaine des gardes de Louis XVI, et qui, en 1789, donna des preuves si éclatantes de sa fidélité; le mar quis de Rivière, le Blondel de son maître; les comtes de Gourcy et de Merci; le marquis de la Vaupalière et M. d'Achepart. Parmi d'autres Français et étrangers, la duchesse de Guiche répandit des larmes à la vue de la fille de ses rois.>>

La cour de Vienne ne tarda pas à perdre cette intéressante princesse. Les armes ou les menaces de la France révolutionnaire obligėrent les Bourbons à quitter un pays après l'autre. Les âpres climats

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