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MM. de Chauvelin et Alexis de Noailles ayant été entendus sur la question préalable, demandée au centre, elle a été mise aux voix et adoptée par une majorité considérable; trente ou quarante membres du côté gauche seulement s'étant levés contre résultat à remarquer comme premier indice de la désunion qui commençait à se manifester dans ce côté de la Chambre.

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Appelé à la tribune à son tour, M. Labbey de Pompières déclara, qu'après ce qui s'était passé, il craindrait de renouveler le spectacle affligeant que la Chambre venait de présenter; qu'en conséquence il ne retirait point sa proposition, mais qu'il l'ajournait jusqu'à ce que la Chambre parût disposée à l'entendre : résolution qui souleva une question nouvelle. D'abord le président fit observer qu'il n'était pas au pouvoir du député qui a déposé une proposition de l'ajourner; qu'il ne pouvait qu'y persister ou la retirer. Mais quelques membres (MM. Benjamin Constant, Dupin aîné) n'en insistèrent pas moins en faveur de l'ajournement, citant des précédens à l'appui de leur opinion, et s'efforçant d'établir qu'en ceci le droit du député ne préjudiciait pas à ceux de la Chambre. Dans le côté opposé, M. de Montbel faisait remarquer l'espèce de déni de justice que l'on commettrait à l'égard des ministres inculpés, si on laissait planer indéfiniment sur leurs têtes une menace d'accusation sur laquelle tous les intérêts exigeaient qu'il fût pris enfin un parti.

D'autres orateurs (MM. le comte de la Bourdonnaye et Ravez) considérant la difficulté comme une simple question de règlement, contestaient la faculté d'ajournement, mais en même temps reconnaissaient que l'auteur de toute proposition était libre de la reti

sauf à la reproduire ultérieurement; parti auquel s'est arrêté M. Labbey de Pompières. Mais la session s'est écoulée sans que l'honorable membre ait donné d'autre suite à cette proposition.

Dans la même séance et dans celle du lendemain (20 février), il fut encore développé deux autres propositions, l'une de MM. Marchal et Lefebvre, l'autre de M. Lefebvre seul. La première avait pour objet de faire décider que les projets de lois concernant des intérêts purement locaux, seraient votés par assis et levé, à moins

que le scrutin secret ne fût invoqué par cinq députés. Elle a été adoptée dans la séance du 25 février, amendée par M. de Berbis, de manière à en concilier les termes avec ceux du règlement de la Chambre.

La première application de ce mode a été faite le même jour à 26 projets de loi de circonscription d'arrondissement ou de département, adoptés sans contradiction et portés à la Chambre des pairs, qui les a votés (19 mars) dans le mode ordinaire.

Quant à la proposition de M. Lefebvre, tendant à ce que nul discours écrit ne pût être prononcé hors des discussions générales, elle intéressait trop d'amours-propres, et n'offrait pas d'ailleurs une utilité assez démontrée pour être favorablement accueillie: aussi a-t-elle rencontré des contradicteurs jusque sur les bancs mêmes où siégeait son auteur, et la prise en considération en a été rejetée à une majorité considérable.

Il en a été de même d'une proposition de M. Pelet (de la Lozère) tendant à faire décider que pour abréger les opérations relatives à la composition du bureau de la Chambre, les quatre candidats. à la présidence sur qui le choix du Roi ne serait pas tombé, seraient déclacés vice-présidens de droit, dans l'ordre de leur élection, proposition motivée principalement sur l'inconvénient qu'entraînait le mode actuel d'exclure forcément de l'exercice de la présidence ceux que la majorité de la Chambre en avait jugés dignes. Mais la Chambre n'a pas cru le motif suffisant pour changer son règlement à cet égard (séance du 23 mars).

Pétitions. Entre les pétitions rapportées à la Chambre des députés vers le même temps, il faut citer d'abord celle du sieur Breffort, propriétaire à Meulan (21 février), dont la discussion amena des explications du ministre de l'intérieur, touchant les résultats de l'enquête ordonnée pour constater les fraudes électorales si souvent dénoncées à la tribune.

S. Exc. annonçait que trente pétitions concernant vingt-quatre départemens, avaient été renvoyées au garde des sceaux et au ministre de l'intérieur qui nommèrent un comité d'enquête, composé de trois membres du Conseil d'état et de trois membres de l'ordre

judiciaire, chargés principalement d'examiner s'il y avait eu calomnie de la part des pétitionnaires et malversation de la part des préfets.

- Ils ont reconnu, poursuivait le ministre, qu'il y avait eu quelque exagération de la part des pétitionnaires; mais que toutefois leur plainte avait en assez de fondement pour qu'il n'y eût pas lieu à les poursuivre en calomnie. Quant à l'administration elle-même, ils ont reconnu qu'un grand nombre de prefets n'avaient aucun reproche à se faire, bien qu'il y eût et quelques irrégularités dans les listes électorales, et quelques électeurs inscrits sans que leur qualité se fût trouvée justifiée.

■ Ils ont reconnu que ces erreurs avaient pu être commises par l'effet de la précipitation avec laquelle les documens avaient été fournis. Ils ont reconnu que des avis devaient être donnés aux préfets de ces départemens, afin qu'ils se pénétrassent mieux de l'esprit de la législation et qu'à l'avenir ils pussent remplir cette partie de leurs fonctions avec le dicernement qu'elle exige. Quant à d'autres, j'ai dû rendre compte au Roi de toutes les circonstances qui se rattach aient à leurs services et à leur administration. J'ai exécuté sous ma responsabilité personnelle les ordres qu'il a plu au Roi de me donner à cet égard, et je puis douner l'assurance qu'en ce qui me concerne ils seront toujours exécutés avec fidélité, exactitude et bonne foi. »

Il a été passé à l'ordre du jour sur la pétition du sieur Breffort. Un avocat de Rouen (M. Tougard) avait aussi adressé à la même Chambre une pétition dans laquelle il la suppliait de défendre un projet de loi pour l'abolition de la peine de mort en faveur des faux monnayeurs. Cette pétition, rapportée le 28 février, fut l'objet d'une discussion assez vive, surtout entre M. Victor de Tracy et le ministre de l'intérieur, quoiqu'elle ne touchât à la politique que comme question de haute morale. (M. de Tracy généralisait cette question jusqu'à prétendre que dans aucun cas la société n'a le droit d'infliger la peine de mort à aucun de ses membres.)

Il suffira, dans l'impossibilité de s'y arrêter ici, de noter que la pétition, bornée à son objet spécial, a été renvoyée à M. le garde des sceaux à une majorité composée de tout le côté gauche et de quelques membres du centre droit.

Deux autres pétitions dirigées dans un but commun, celui de réclamer contre l'exercice des missions à l'intérieur du royaume, ont été le sujet d'une plus chaude controverse ( 7 mars).

Le premier pétitionnaire, le sieur Grand, avocat, se bornait à présenter de courtes réflexions critiques; mais le second (le sicur

Isambert), aussi avocat du barreau de Paris, s'élevant fortement contre l'existence des congrégations de missionnaires, entrait dans un examen approfondi de notre législation pour en démontrer l'illégalité. Il se plaignait en outre des mauvais effets qui, plus d'une fois, seraient résultés de leurs prédications, et de ce que, loin d'être un moyen d'édification et de rapprochement, elles n'auraient été trop souvent qu'une source de discorde et de scandale.

Cette dernière pétition surtout avait été l'objet d'un examen sérieux dans le sein de la Commission dont l'honorable rapporteur (M. de Sade) établissait que les lois de 1790 et 1792 avaient supprimé toute espèce d'associations religieuses, même celles de charité ou de pure piété; mais que plusieurs avaient été successivement rétablies. Il ajoutait que depuis la restauration, les missions avaient été plus favorablement traitées; que non seulement on avait relevé les anciens instituts, mais que de nouveaux furent créés, et qu'il existait actuellement en France quatre sociétés confondues sous la dénomination commune de missionnaires, savoir: celle des missions étrangères, dont l'objet est d'envoyer des missionnaires dans les contrées éloignées; celle du Saint-Esprit, qui est destinée à fournir des prêtres à nos colonies; celle de Saint-Lazare, qui dirige les sœurs de la charité, enfin les missions dites de France, qui parcourent le royaume, et dont les prédications étaient l'objet de continuelles attaques; enfin, l'honorable orateur exprimait le vœu que tout ce qui touchait à cette importante question fût soumis à une règle large, précise et stable, telle enfin qu'il convenait à un gouvernement constitutionnel.

Quant aux désordres dénoncés par les pétitionnaires, ils lui paraissaient prouvés par la notoriété publique et par des causes portées devant les tribunaux, ce qui faisait penser que ces missions, qui s'annonçaient de toutes parts avec tant d'ostentation de publicité, devaient être signalées à la sollicitude et à la surveillance du Gouvernement; il concluait, en conséquence, à renvoyer les deux pétitions au garde des sceaux; proposition qui rencontra de vives oppositions sur les bancs du côté droit, où le simple énoncé de la pétition avait excité les plus violens murmures.

M. le baron de Lépine, le premier des orateurs qui demandèrent la parole contre le rapport de la commission, contestait les faits énoncés dans ce rapport, et en repoussait avec énergie les doctrines et les conclusions. Entrant à son tour dans l'examen de la législation, il insistait sur ce que la congrégation des lazaristes, après avoir été supprimée, comme toutes les autres, par les lois révolutionnaires, fût rétablie par des décrets, des lois et des ordonnances. postérieures, ainsi que les missions dont les heureux résultats avaient été reconnus, même par un des publicistes libéraux de l'époque (M. de Pradt, alors évêque de Poitiers).

Envisageant la question sous un autre point de vue, M. Kératry examinait les missions quant aux avantages qu'elles peuvent offrir et à la manière dont elles s'exécutent. Il contestait l'utilité des missions étrangères, observant que l'instruction évangélique ne pouvait profiter si l'on ne commençait par rendre propres à la recevoir ceux à qui l'on en destine le bienfait. A l'égard des missions de l'intérieur du royaume, il abondait entièrement dans le sens des pétitionnaires.

La France, disait-il, se couvre de couvens de femmes par la fachense connivence de son gouvernement; elle est sillonnée en tous sens par des missions ultramontaines ; qu'enseigne-t-on dans ces couvens? à quoi aboutissent ces missions? à propager l'idolâtrie du cordicolisme, qui n'a jamais été dans notre religion d'esprit et de vérité; à charger d'honnêtes gens de scapulaires, de rosaires et d'amulettes reçues en première main des jésuites, dont le nom se mêle douloureusement à nos troubles civils et religieux... »

L'orateur trouvait qu'il y aurait inconséquence à fermer les colléges des jésuites, et à tolérer leurs prédications, et il demandait le renvoi des pétitions au conseil des ministres.

La discussion, arrivée à ce point, M. le ministre des affaires ecclésiastiques crut devoir prendre la parole. S. G. déclarait d'abord que les prêtres de la mission, des missions étrangères, du SaintEsprit et les sulpiciens, étaient étrangers aux missions qui avaient eu lieu dans beaucoup de villes de France; que leur règle leur interdisait même ce genre de ministère, que les statuts des lazaristes leur permettaient seulement de précher dans les pauvres campagnes, qu'à l'égard des missions proprement dites dans l'intérieur de la

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