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çante, et qu'on obtînt dans la session prochaine des garanties décisives, pour l'affermissement des libertés publiques.

Assurément le ministère de cette époque offrait dans sa composition des talens incontestables de tribune et de cabinet : il s'était engagé dans la cause constitutionnelle; il en professait les principes; il voulait le bien; mais il manquait d'accord ou de cette énergie de volonté qui sait choisir et diriger un parti. Produit du triomphe de l'opinion libérale, il n'était pourtant pas celui qu'elle eût désiré; mais c'était le meilleur qu'elle pût alors obtenir de la répugnance de la cour. Les libéraux n'avaient pas grande confiance en lui, ils ne désiraient sa conservation que pour se préserver d'une administration ennemie, et ils se flattaient d'obtenir encore avec lui des lois au moyen desquelles ils empêcheraient leurs adversaires d'arriver au pouvoir.

D'ailleurs la majorité de la Chambre élective, décidée l'année dernière par la fraction du centre droit, qu'on a nommée la défection, n'était pas si compacte ou liée de principes qu'elle ne pût se démembrer. Le parti royaliste était encore trop nombreux, et la faveur manifeste du monarque pour ses doctrines et ses membres, lui donnait trop de poids pour que les ministres pussent être rassurés contre un renvoi subit dans le cas où ils se jetteraient ouvertement dans les voies du parti populaire.

Ainsi le ministère arrivé à la veille de la session législative, sans faveur à la cour, sans parti assuré dans les Chambres, se croyait forcé de chercher appui tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, suivant l'esprit ou la nature de ses projets, trouvant partout des ennemis et n'offrant à ses rares amis que le secours d'une politique incertaine, ménagère et timide.

Un accident, arrivé à l'un de ses membres, vint compliquer les embarras et la difficulté de sa situation.

Le 2 janvier, M. de La Ferronnays, imparfaitament rétabli de la maladie qui l'avait forcé de prendre un congé dans le cours de l'été dernier, tomba en faiblesse chez le roi, et cette rechute prit quelques jours après un caractère si grave qu'il se vit forcé de quitter définitivement les affaires. Il sortait du ministère comme il y était

entré, honoré de l'estime générale. Tous les journaux du temps lui rendent cette justice..

On attendait avec anxiété le choix, de son successeur comme l'expression de l'opinion qui allait dominer dans le conseil. Il fut alors question de M. de Chateaubriand, de M. Pasquier, et surtout de M. le duc de Mortemart, ami de M. de la Ferronnays qu'il avait remplacé à Pétersbourg, jouissant de la même considération que lui dans le corps diplomatique, et de quelque influence dans la Chambre des Pairs. Il a même passé pour certain qu'il avait refusé le portefeuille qu'on lui offrait, faute d'avoir pu faire accepter le système ou les conditions qu'il croyait nécessaires à une conciliation de partis. Soit qu'on ne pût s'entendre ou qu'on ne voulût pas s'expliquer nettement alors à ce sujet dans le conseil, le choix définitif fut ajourné. Une ordonnance royale (11 janvier) accorda à M. de la Ferronnays un congé de trois mois, pendant lesquels M. le comte Portalis, garde des sceaux, fut chargé par interim du portefeuille des affaires étrangères, dont la direction fut confiée à M. de Rayneval, et peu de jours après M. de la Ferronnays partit pour Nice.

Cet interim qui tenait les affaires en suspens et beaucoup d'ambitions en éveil, cette réunion étrange des attributions du chef de la justice avec les affaires diplomatiques, répandirent des inquiétudes qu'augmenta bientôt l'arrivée inattendue à Paris du prince de Polignac, ambassadeur à Londres. Il fut dit alors, et le bruit a été confirmé, que le roi, suivant une idée qu'il avait toujours chérie, l'avait fait demander pour remplir la place vacante ou même le mettre à la tête du conseil, afin d'en changer l'esprit trop libéral à son gré, et que l'invitation avait été envoyée par le comte Portalis à l'insu de ses collégues.

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La haute faveur dont le prince de Polignac jouissait près du roi le faisait regarder comme éminemment propre à rallier tous les royalistes au ministère mais ses antécédens, son nom si impopulaire, son hésitation à prêter serment à la Charte, lorsqu'il fut appelé à la Chambre des Pairs, soulevaient contre lui l'opinion la plus générale. C'était, disait-on, l'ennemi acharné des institutions

données à la France, le champion de l'absolutisme et de la congrégation, l'ami et l'instrument de lord Wellington qui voulait l'imposer à la France, et le faisait recommander dans ses journaux (1). Ces bruits et ces reproches auxquels le prince a cru devoir faire une réponse authentique (Voy. pag. 8), appuyés de la menace faite par plusieurs ministres de donner leur démission, si le roi persistait à vouloir mettre son favori dans le conseil, firent encore ajourner la résolution. On publia dans un journal semi-officiel que le voyage de M. de Polignac n'avait pas d'autre motif que de lui faire avoir une conférence sous les yeux du ministère avec M. de Mortemart, sur les graves objets que l'un et l'autre allaient avoir à traiter auprès des cours de Londres et de Pétersbourg : motif qui n'était pas sans vraisemblance, mais auquel personne n'a voulu croira

Il parut en même temps (25 janvier) une ordonnance qui nommait M. Bourdeau, déja directeur de l'enregistrement et des domaines, sous-secrétaire d'état au département de la justice, mesure qui semblait avoir pour objet de faciliter à M. Portalis l'accomplissement de ses nouveaux devoirs, de donner à l'interim un caractère de durée, peut-être aussi un nouvel appui dans le centre gauche au ministère, mais qui ne satisfit pourtant aucun parti.

Telle était la situation des affaires et des partis à l'ouverture de la session législative, qui eut lieu le 27 janvier, dans la grande salle du Louvre, avec le cérémonial accoutumé. '

Le discours du trône, long-temps délibéré dans le conseil, et qui fut entièrement refait, dit-on, la veille, par le ministre de l'intérieur (M. de Martignac), commençait par déclarer que la paix ne serait pas troublée dans le reste de l'Europe.

S. M. annonçait que pour hâter la pacification de la Grèce, elle

(1) L'an d'eux, organe habituel da ministère, the Courier, disait, dans son n° du 21 janvier, en parlant du prince de Polignac :

« La cause de son départ n'a point transpiré. Mais quel que soit le poste • qu'on lui confie, il le remplira avec honneur, fidélité et talent. De tous les

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⚫ ambassadeurs qu'on a vus dans ce pays, aucun n'a emporté à un plus haut degré l'estime de tous les partis.

avait, d'accord avec l'Angleterre et la Russie, envoyé en Morée une division de ses troupes; qu'une déclaration formelle, notifiée à la Porte, avait placé la Morée et les îles qui l'avoisinent sous la protection des trois puissances; qu'on pouvait espérer que la Porte, mieux éclairée, cesserait de s'opposer à l'exécution du traité du 6 juillet, et que ce premier rapprochement ne serait peut-être pas perdu pour le rétablissement de la paix.

Le roi annonçait en outre, que la situation de l'Espagne lui avait permis de rappeler les troupes françaises, laissées à la disposition de S. M. C., et qu'une convention venait d'être souscrite pour régler le remboursement des sommes avancées par la France au gouvernement espagnol.

L'espérance que S. M. conservait encore d'obtenir du dey d'Alger une juste réparation, avait seule retardé les mesures qu'elle pourrait être forcée de prendre pour le punir... Une négociation avait été ouverte pour assurer, dans l'intérêt des colons et du commerce, l'exécution des engagemens contractés par le gouvernement d'Haïti. La restitution des navires marchands, enlevés dans la guerre du Brésil avec Buenos-Ayres et la réparation des dommages éprouvés par le commerce français dans ces parages, étaient garantis par une convention récemment conclue; enfin, le moment n'était pas éloigné où S. M. pourrait donner aux relations de la France avec les nouveaux états de l'Amérique du sud une stabilité utile: en attendant, des consuls avaient été préposés à la surveillance des intérêts des sujets français.

Passant aux affaires de l'intérieur de la France, S. M. s'applaudissait d'y voir régner l'ordre, fleurir l'industrie et calmer les inquiétudes qu'avaient excitées de longues intempéries et des retards fâcheux dans la moisson des céréales.

Quant à l'état moral du pays, il semblait inspirer au gouvernement des craintes plus sérieuses.

La presse, affranchie, jouit d'une liberté entière, disait S. M.; si la licence, sa funeste ennemie, se montre encore à l'abri d'une loi généreuse et confiante, la raison publique, qui s'affermit et s'éclaire, fait justice de ses écarts; et la magistrature, fidèle à ses nobles traditions, connaît ses devoirs et saura toujours les remplir.

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Le besoin de placer à l'abri de toute atteinte la religion de nos pères, de maintenir dans mon royaume l'exécution des lois et d'assurer en même temps parmi nous la perpétuité du sacerdoce, m'a déterminé, après de mûres réflexions, à prescrire des mesures dont j'ai reconnu la nécessité. Ces mesures ont été exécutées avec cette fermeté prudente qui conciliait l'obéissance due aux lois, le respect dû à la religion et les justes égards auxquels ont droit ses ministres... »

Quoique les prévisions du budget des recettes pour 1828 eussent été dépassées, ce surcroît de prospérité n'avait pas dû porter atteinte au système d'économie dans lequel le gouvernement devait chercher à persévérer chaque jour davantage.

Au nombre des travaux qui devaient occuper la session, on avait surtout à remarquer un projet sur l'organisation municipale et départementale. « Les questions les plus difficiles, disait S. M., se rattachent à cette organisation. Elle doit assurer aux communes et aux départemens une juste part dans la gestion de leurs intérêts; mais elle doit conserver aussi au pouvoir protecteur et modérateur qui appartient à la couronne la plénitude de la force et de l'action dont l'ordre public a besoin. »

« L'expérience, ajoutait le monarque en terminant, a dissipé le prestige des theories insensées : la France sait bien comme vous sur quelle base son bonhear repose; et ceux qui le chercheraient ailleurs que dans l'union sincère de l'autorité royale et des libertés que la Charte a consacrées, seraient hautement désavoués par elle... »

Ce discours avait été plusieurs fois interrompu par des acclamations d'enthousiasme qui se firent entendre à plusieurs reprises quand il fut terminé, dans les rangs des députés ou des pairs connus par leurs opinions libérales. Il fit dans le public la même sensation; et quoique des journaux du même parti regrettassent de n'y pas trouver une désapprobation formelle des événemens du Portugal, ils s'accordèrent à en faire l'éloge. Mais dans le parti contraire on ne voulait le considérer que comme l'ouvrage du ministère, comme l'exposé de son système, et on déplorait amèrement les projets annoncés comme de nouvelles et funestes concessions au système démocratique.

(28 janvier). La Chambre des pairs procédant, sous la présidence du chancelier de France, à la formation de son bureau, nomma

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