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Enfin, M. de Formont, déclarant qu'il consentirait à voter de plus larges attributions pour les conseils de communes et de départemens, terminait en protestant de nouveau qu'il n'abandonnerait jamais à l'élection populaire la nomination des membres de ces conseils, source d'agitations et de désordres. « Non, s'écriait-il en « se tournant du côté droit, non, nous sommes tous excités par les « mêmes sentimens; tous, nous voulons le Roi et la Charte, et « nous repousserons tous une tentative qui aurait pour effet d'abord « de restreindre l'autorité tutélaire de la royauté, et bientôt de « convertir la monarchie représentative en un gouvernement po•pulaire. »

Le second orateur inscrit en faveur du projet, M. le colonel Jacqueminot, considérant les deux projets dans un point de vue tout opposé, commençait par rendre graces à la commission, « dont « le travail si beau, si consciencieux, avait rendu la tâche des députés plus facile. Mais le projet du gouvernement lui paraissait loin de répondre aux espérances qu'avait pu faire naître l'exposé des motifs.

On nous annonce la liberté, disait-il, et la loi n'organise que le privilége; il n'est question d'écarter des assemblées électorales et des conseils que les élémens de trouble et d'anarchie; et, chose bizarre! telle a été la combinaison malheureuse des auteurs du projet, que, dans tels départemens, ainsi qu'on peut le voir dans les tableaux précieux dont nous sommes redevables au zèle éclairé de la commission, plus de la moitié des personnes qui présen tent, d'après la Charte, toutes les garanties suffisantes pour concourir à la nomination des députés de leurs départemens, sont réputées n'en plus offrir assez pour coopérer aux choix d'un conseil général, d'un conseil de famille qui n'est appelé qu'à statuer sur les intérêts les plus intimes et les plas matériels des plus minces localités. Déja la remarque en a été faite par votre commission. Messieurs, une semblable anomalie dans le projet ministériel dénote au moins une singulière irréflexion de notre part; si nous l'admettons, ce serait autre chose encore que de l'inconséquence. Qui de nous oserait déposer dans l'urpe une boule où fùt inscrit un brevet d'incapacité et de suspicion, indélébile contre ceux auxquels il doit l'honneur de siéger dans cette Chambre ?

« Ce n'est pas à dire cependant, messieurs, qu'en adoptant dans son ensemble la loi telle qu'elle a été amendée par votre commission, il soit dans mon opinion que nous assurions ainsi à la France une organisation départementale qui atteigne de prime abord le but auquel elle doit tendre; que rien ne puisse s'y modifier par la suite; que tous les intérêts s'y trouvent garantis à tout jamais, tous les droits consacrés pour tous de manière à justifier pour de longues années le nom de Charte départementale, si justement donné aux

institutions que le pays attend de la sagesse et de l'harmonie des pouvoirs qui le gouvernent. Non, messieurs, votre commission a beaucoup fait, sans doute, pour satisfaire aux besoins et aux vœux légitimes du pays; elle a fait peut-être, et je le crois, tout ce qui lui était possible d'obtenir dans l'état actuel des choses et des esprits; mais, à tout considérer, ce n'est qu'un premier pas dans une route où les progrès de la raison nationale et des habitudes constitutionnelles sauront nous affermir.»

Ainsi, M. le colonel Jacqueminot, comme tous les orateurs du côté gauche qui vinrent ensuite, voulait surtout l'extension du droit électoral; et tout en appuyant le projet amendé par la commission, il se proposait d'y demander encore des amendemens. M. de Corcelles (inscrit contre le projet ) applaudissait aussi au travail des deux commissions; mais il critiquait fortement les bases du projet ministériel; sa tendance à favoriser la grande propriété, sa crainte affectée des désordres de l'anarchie et du despotisme de la multitude, et surtout l'exclusion des électeurs, qui, investis du droit de nommer les députés, devaient à plus forte raison être habiles à désigner les membres des conseils départamentaux, exclusion dont l'inconvenance fut mise ensuite dans un nouveau jour par M. Étienne, dont le discours, plus mesuré dans ses termes, mérite une attention particulière.

L'heure est venue, disait-il, de s'exprimer franchement avec le ministère; cette discussion apprendra définitivement à la France ce qu'elle doit penser du ministère et de la Chambre; si l'on doit craindre ou espérer; si la confiance où l'on se plaît serait justifiée ou trahie.

A l'exemple de votre commission, je ne puis admettre dans ce projet de loi que le principe qui y a présidé, celui de l'élection directe; mais les conséquences en sont tellement faussées qu'il semble n'avoir été reconnu que pour être plus solennellement violé. On n'a, en effet, renoncé à un mode de candidature que pour lui en substituer un autre. On a tellement restreint les bases de l'élection; on a tellement rétréci le cadre de l'éligibilité, que si ce n'est pas la majorité du pays qui présente des candidats au gouvernement, dans le fait, c'est le gouvernement qui présente un très petit nombre de candidats à une fraction imperceptible de la société. Ainsi, l'élection indirecte qui, de l'aven des ministres, fut d'abord le principe du projet natif, y est demeurée à peu près tout entière; seulement elle s'exerce en sens inverse. Dans la première édition elle remontait des citoyens an pouvoir; dans la seconde, elle descend du pouvoir aux citoyens : l'élection directe y est en nom, l'élection indirecte y reste en réalité; et ce défaut de franchise dans la loi, cette générosité apparente qui conserve ce qu'elle semble céder, qui retire en même temps qu'elle accorde; cette défiance qui, sous le faux air de l'abandon, paralyse le mouvement au moment où elle feint de l'imprimer, resserre les droits

alors qu'elle déclare vouloir les étendre; ce désaccord choquant entre les motifs et les articles de la loi, cette politesse des mots et cette injure des choses rangent parmi les plus malheureuses conceptions qu'aient enfantées la prévention ou l'aveuglement, le projet de loi tel qu'il est sorti des mains du ministère, projet qu'on dirait né avant cette Chambre, et qui n'est aujourd'hui que le plus triste et le plus incroyable des anachronismes.

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Je soutiens que cette loi, si elle n'est améliorée par tous les amendemens qu'a proposés votre commission, est inadmissible, intolérable ; qu'elle blesse les intérêts réels de la société, qu'elle est offensante pour le pays et dangereuse pour la monarchie.

« C'est dans les intérêts positifs et non dans les intérêts factices du pays, qu'un gouvernement sage doit prendre son point d'appui; c'est au centre de toutes les forces sociales qu'il doit se placer pour s'approprier leur énergie et leur vigueur; et c'est précisément cet état de choses, fruit de notre heureuse régénération, qu'une politique aussi étroite qu'insensée repousse presque comme un fléau, pour courir après je ne sais quelles influences imaginaires; c'est cette réalité qui remplit les coffres de l'état qu'on dédaigne, pour s'attacher à l'ombre de supériorités incommodes et ruineuses. La vieille monarchie ne s'en est pas assez bieu trouvée pour qu'on s'obstine à vouloir en affliger la nouvelle; mais il y eut toujours, et il y aura encore long-temps en France, des hommes qui cherchent à s'interposer entre le Roi et la nation, et qui veulent être le lien qui les rattache, tandis qu'ils ne sont que la barrière qui les sépare.

« Depuis quinze ans tous les ministres travaillent à faire de l'aristocratie par les lois, et chaque jour l'aristocratie se défait par les mœurs. Dans l'absence de tous les priviléges sans lesquels elle est impossible, c'est sur les seules bases de la fortune qu'on est réduit à en construire le fragile édifice. Mais à mesure qu'il s'éleve, notre Code civil le démolit, et ce n'est certainement pas celui de nos codes dont le pays attend la réforme.

«

Pourquoi tant de précaution, tant de crainte; pourquoi cette frayeur des classes de la société où il y a le moins d'ambition, si l'on veut que les conseils-généraux restent dans le cercle étroit tracé autour d'eux? Pourquoi cet appel exclusif des sommités sociales, toujours inquiètes, toujours envahissantes, si l'on n'a pas sur ces conseils des desseins plus élevés?

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Quant à l'exclusion des électeurs politiques, M. Étienne y voyait une contradiction flagrante avec les principes professés l'année dernière.

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«Non, ajoutait-il, si le ministère a proposé de bonne foi la loi électorale de 1828, il ne peut soutenir consciencieusement le projet départemental de 1829. Les électeurs dont il s'effraie quand il n'est question que de conseils dont le poids est si faible dans la balance, comment ne les a-t-il pas redoutés quand il s'agissait de la formation d'un corps politique qui exerce une si haute influence sur les destinées de l'état ?

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Ne voit-il pas les partisans des derniers ministres sourire de la défiance que lui inspirent aujourd'hui ces mêmes électeurs dont il a cimenté les droits dans la dernière session?

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Mais, messieurs, il est un rapport plus grave soas lequel je pourrais envisager le projet ministériel, et je prouverais aisément qu'il deviendrait une

soarce de perturbation et de désordre dans l'état, si heureusement son impossibilité n'était pas une garantie contre son imprudence.

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Que penser en effet de deux corps électoraux qui seraient en hostilité constante de choix et d'intérêts; qui, se complaisant mutuellement à repousser des conseils-généraux, les élus à la Chambre et de la Chambre, les élus aux conseils-généraux, se prétendraient l'un et l'autre les seuls, les véritables organes de l'opinion publique et serviraient de point de ralliement et de point d'appui aux factions qu'enflammerait cette guerre périodique de scrutin !

Comment le ministère, qui se laisse aller à tant de terreurs imaginaires, n'a-t-il pas été frappé de la seule crainte raisonnable qu'il dût éprouver ? Quoi! il n'a pas senti quel danger il y avait à jeter la moindre irritation parmi ces électeurs politiques de France, qui sont, en définitive, les juges du ministère et les nôtres, et qui exerçaut tôt ou tard leurs droits, exclueront, à leur tour, de cette tribune ceux qui les laisseront bannir des nouveaux colléges, et ne choisiront alors, pour les représenter, que des hommes qu'ils sauront capables de leur en rouvrir l'accès! »

L'honorable orateur terminait en déclarant que des deux projets présentés par le ministère et par la commission, l'un n'était à ses yeux qu'un sujet de défiance et de désordre, il le rejetait; l'autre, un gage de sécurité et de paix; et il l'adoptait avec une profonde conviction.

D'autres argumens, puisés dans la nécessité de mettre la loi nouvelle en rapport avec notre état de civilisation, conduisaient M. Thouvenel à critiquer non seulement le projet du ministère, mais aussi, à quelques égards, celui de la commission. Ses objections partaient principalement sur ce qu'en général le droit éledtoral et celui de l'éligibilité étaient restreints de telle sorte, que les hommes les plus cepables se trouveraient exclus de toute participation aux affaires de leurs localités. Il demandait aussi que les attributions des conseils généraux fussent étendues de manière qu'ils pussent répondre à tous les besoins, et satisfaire à tous les intérêts légitimes de chaque département.

(31 mars.) M. Devaux, appelé à son ordre d'inscription, posait. trois questions principales, savoir: 1o les conseils généraux serontils électifs? 2o la base de l'élection doit-elle rappeler la majorité des capacités électorales? 3o l'élection procédera-t-elle par assemblées de canton?

La première question lui semblait résolue affirmativement par la nature du gouvernement et par le droit de propriété; il ne consi

dérait pas le principe de l'élection comme une concession, mais comme un droit et une justice rendue; car chaque département était à ses yeux un propriétaire collectif, une communauté qui tenait de sa nature la faculté de délibérer sur ses propres intérêts. De l'examen analytique des principes, il arrivait à établir que la loi proposée avait reçu des exigences du parti, qui depuis quatorze ans lutte contre les développemens du gouvernement représentatif, ce caractère de transaction politique, remarqué par le bon sens public, et signalé par la commission, comme la cause des imperfections étranges qui la dénaturaient. Abordant ensuite la seconde question, celle qui touchait aux capacités électorales, et tout en adoptant le système du projet ministériel qui admettait le cens relatif, préférable, selon lui, au cens déterminé, il blâmait une disposition qui, « par l'extrême restriction du nombre des plus imposés, semblait se jouer de la population au lieu de se mettre en harmonie avec elle. »

« Le projet de loi, ajoutait-il, procède en sens inverse de l'ordre naturel des intérêts...

« S'il était sage et même populaire de ne pas concentrer le droit de suffrage dans les 80,000 électeurs politiques, c'est une raison d'élargir et non de rétrécir la base numérique de l'élection.

« Cela était facile chez une nation de 32 millions d'individus, où la civilisation et la propriété ne s'arrêtent pas ex abrupto à la classe des censitaires de 300 fr., mais descendent graduellement et par des nuances légères jusqu'aux derniers rangs de la population.

« Cette anomalie de réduire la masse électorale à mesure que l'intérêt électoral approche du peuple, ôte à la loi son caractère rationnel, et lui donne l'air d'un caprice politique. C'est même une idée piquante et satirique que de proposer à une assemblée législative, élue par 80,000 électeurs, d'en frapper 50,000 d'une incapacité secondaire comme pour leur dire: Vous choisissez si mal vos députés que nous ne pouvons pas vous appeler tous à élire vos conseillers de département.

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Enfin sur la troisième question, M. Devaux n'hésitait pas à reconnaître que le système des assemblées cantonnales était préférable à celui des assemblées d'arrondissement.

« Plus la masse électorale est nombreuse et compacte, observait-il, moins l'élection est empreinte de cette personnalité qui lie par la confiance mintuelle le représentant au représenté. Flus les électeurs sont réunis dans une ville populouse, plus ils subissent l'influence urbaine qui aspire à dominer les choix.

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