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Les journaux royalistes en accusant l'exagération des récits de l'opinion libérale, au sujet de ce fameux voyage dont la relation fut tirée à cent mille exemplaires, à 50 centimes, ont regardé ces fètes «< comme des orgies révolutionnaires, qui étaient moins le ré«< sultat d'un enthousiasme patriotique que les combinaisons de l'esprit de parti. Le comité-directeur et les loges maçonniques les « avaient commandées; on voulait fèter la révolution dans la per« sonne de celui qui, depuis 1787, en avait prêché ou défendu les principes; c'était, en un mot, la révolution vivante élevée sur « le pavois. » Quoi qu'il puisse y avoir de vrai dans le motif et dans les provocations de l'exaltation populaire qui se manifestait sur plusieurs points du royaume pour d'autres députés, l'historien ne peut s'empêcher de voir, dans ces bruyans hommages rendus à ceux qu'on regardait comme les défenseurs les plus constans des libertés publiques, des protestations contre une administration formée, se disait-on, pour les détruire.

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A ces démonstrations, jugées trop légèrement dans le parti royaliste, il se joignit bientôt des menaces plus sérieuses, des actes plus hostiles et d'une conséquence plus grave, c'est-à-dire des projets d'association pour le refus de l'impôt, question soulevée dès la naissance du ministère.

Le 11 septembre parut dans le Journal du Commerce le premier de ces actes, dont on ne peut bien faire apprécier le but et la portée qu'en le citant textuellement:

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Nous soussignés habitans de lun et de l'autre sexe dans les cinq départemens de l'ancienne province de Bretagne, sous le ressort et la protection de la cour royale de Rennes, liés par nos propres sermens, et par ceux de nos chefs de famille, an devoir de fidélité au Roi et d'attachement à la Charte, considérant qu'une poignée de brouillons politiques menace d'essayer l'audacieux projet de renverser les bases des garanties constitutionnelles consacrées par la Charte; considérant que, si la Bretagne a pu trouver dans ces garanties la compensation de celles que lui assurait sou contrat d'union à la France, il est de son devoir et de son intérêt de conserver ce reste de ses libertés et de ses franchises; il est dans son caractère et de son honneur d'imiter la généreuse résistance de ses ancêtres aux envahissemens, aux caprices et aux abus d'autorite du pouvoir ministériel; considérant que la résistance par la force serait une affreuse calamité; qu'elle serait sans motif lorsque les voies restent ouvertes à la résistance légale ; que le moyen le plus certain de faire préférer le recours à

l'autorité judiciaire, est d'assurer aux opprimés une solidarité fraternelle; déclarons, sous les liens de l'honneur et du droit ;

« 1° Souscrire individuellement pour la somme de to fr., et subsidiairement, en outre les soussignés inscrits sur les listes électorales de 1830, pour le dixième du montant des contributions qui leur sont attribuées par lesdites listes, que nous nous obligeons à payer sur les mandats des procurateurs-généraux, dans le cas où il y aurait lieu à en nommer en conformité de l'art. 3 de la presente; 2o Cette souscription formera un fonds commun à la Bretagne, destiné à indemniser les souscripteurs de frais qui pourraient rester à leur charge par suite da refus d'acquitter des contributions publiques illégalement imposées, soit sans le concours libre, régulier et constitutionnel du Roi et des deox Chambres constituées en conformité de la Charte et des lois actuelles, soit avec le concours de chambres formées par un système électoral qui n'aurait pas été voté dans les mêmes formes constitutionnelles;

«30 Avenant le cas de la proposition officielle, soit d'un changement inconstitutionnel dans le système électoral, soit de l'établissement illégal de l'impôt, deux mandataires de chaque arrondissement se réuniront à Pontivy, et dès qu'ils seront réunis au nombre de vingt, ils pourront nommer, parmi les souscripteurs, trois procurateurs-généraux et un sous-procurateur dans chacun des cinq départemens;

• 4o La mission des procurateurs-généraux est, 1o de recueillir les sonscriptions; 2o de satisfaire aux indemnités en conformité de l'art. 2; 3o sur la réquisition d'un souscripteur inquiété par une contribution illégale, d'exercer, sous son nom, par les soins du sous-procurateur de son département, ou du délégué qu'ils auront nommé dans son arrondissement, le pourvoi et ses suites, par toutes voies légales, contre les exacteurs; 4' de porter plainte civile et accusation contre les auteurs, fauteurs et complices de l'assiette et perception de l'impôt illégal;

5o Les souscripteurs nomment M, et M. mandataires de cet arrondissement, pour se réunir, en conformité de l'article, aux mandataires des antres arrondissemens, et pour remettre la présente souscription aux procurateurs-généraux qui seraient nommés. »

Tel fut l'effet de cette publication, répétée à l'instant dans plusieurs journaux, que le ministère, qui paraissait jusque là rester insensible à leurs attaques, non content de la déférer aux tribunaux, crut nécessaire de faire publier dans le Moniteur (19 septembre), et insérér dans les autres journaux, l'article suivant, qu'une histoire impartiale doit également recueillir :

Il n'est sorte de calomnies dont les journaux n'entourent le ministère. Selon les uns, c'est sur la corruption qu'il fonde son espoir; il a 24, 30 millions à dépenser; il sait le tarif des consciences; il fait procéder à une enquête sur l'état de fortune de chaque député. Selon d'autres, il appelle l'étranger; il menace de l'intervention; 'il va créer 200 députés par ordonnance, et en auribuer la nomination aux conseils généraux de département. A les en croire, le ministère ne rêve que conps d'état, et il ne prémédite que le renversement de la Charte; il exigera violemment l'impôt si la Chambre, usant de son droit, re18

Ann. hist. pour 1829.

fuse le budget: de là, l'urgence de se concerter, de se lier, de se fédérer, pour opposer une résistance légale à ce complot.

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Le but est évident; la raison publique ne saurait s'y méprendre. Ce n'est pas la conviction qui pousse un cri d'alarme : ces terreurs sont feintes; ils savent bien, ceux qui les propagent, qu'à moins d'avoir perdu le sens commun, des ministres ne sauraient même concevoir l'idée de briser la Charte et de substituer le régimeļdes ordonnances à celui des lois. Ils savent que des ministres le vondraient en vain, et que, s'ils osaient en manifester le plan, le Roi les réduirait d'un mot à l'impuissance, en leur retirant l'exercice du pouvoir qu'il ne leur a commis que pour administrer, en son nom et sous leur responsabilité, selon les lois. Les bruits, les craintes, les diffamations dont la presse périodique fait retentir la France, n'ont pour but que de l'agiter, en semant à pleines mains, sur toute sa surface, la haine, l'irritation et le désordre. C'est une trame; le dernier essai en manifeste le plan, le but et les moyens.

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Les journaux ont annoncé qu'un projet d'association venait d'être dressé dans les cinq départemens de l'ancienne Bretagne, et que déja cette pièce était revêtue d'un grand nombre de signatures; ils se sont emparés de ce texte; ils le reproduisent; ils le commentent que la France entière se hate; qu'elle imite ce généreux exemple de patriotisme et d'énergie!

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Il n'est personne en France qui, sur des assertions si expresses, ne reste en ce moment convaincu qu'à l'époque où les journaux de Paris l'ont annoncé, les habitans de l'ancienne Bretagne se liaient par des sermens à la défense de la Charte, dont le ministère a juré la ruine... Eh bien! l'association bretonne n'avait alors d'existence que dans ces journaux; aucun projet n'avait été pnblié, répandu, ni revêtu de signatures.

« Le Journal du Commerce a, le premier, publié ce projet ; il l'a fait le 11 de ce mois; le Constitutionnel et le Courrier l'ont reproduit le 12; c'est seulement le 14 que quelques hommes, dociles à l'appel, se sont réunis pour s'occuper, dans la ville de Rennes, d'un projet de souscription sur les bases que les journaux de Paris venaient de leur tracer.

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Il suffit d'exposer le fait ; si l'on ne s'aveugle étrangement, on sera frappé des conséquences. »

Il importe peu de savoir si l'association existait, en effet, avant la publication de l'acte qui la constitue. Il suffit de dire que la publicité et l'esprit de parti lui donnèrent bientôt une existence incontestable. Il se forma, en moins d'un mois, dans le département de la Meurthe, et dans plusieurs autres, des associations fondées sur le même principe et dans le même but : celle de Paris, signée par tous les députés de la capitale et par de grands propriétaires, parut le 15 octobre, au moment même où quelques tribunaux étaient saisis des accusations portées contre les éditeurs de journaux, pour avoir publié le prospectus de l'association bretonne ; accusation qui roulait sur trois chefs de préventions: 1o d'attaque formelle à l'autorité du Roi; 2° de provocation à la désobéissance aux

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lois; 3° d'excitation à la haine et au mépris du gouvernement du Roi.

Tous les tribunaux furent d'accord pour écarter les deux premiers chefs de prévention. Il fut reconnu qu'il n'y avait, ni dans le fait de l'association, ni dans celui de la publication, d'attaque formelle à l'autorité du Roi ou de provocation à la désobéissance aux lois, puisque le cas de la résistance ou du refus de paiement de l'impôt était subordonné à des circonstances qui n'existaient pas, et dont l'existence eût motivé la légalité du refus. Mais sur le troisième chef, d'excitation à la haine et au mépris du gouvernement du Roi, les tribunaux ou cours royales, tout en reconnaissant également que la supposition de la violation de la Charte ou des lois par les ministres, constituait un outrage, n'en ont pas tiré les mêmes conséquences. Le tribunal de Metz, dans le premier jugement rendu en cette matière ( 22 octobre), a condamné l'éditeur responsable du Courrier de la Moselle à la peine d'un mois d'emprisonnement, et à 150 fr. d'amende; celui de Rouen (22 novembre), tout en blåmant la rédaction de l'article incriminé, a donné mainlevée de la poursuite et de la saisie; celui de Paris, jugeant le même cas peu de jours après (28 novembre), a condamné les éditeurs du Journal du Commerce et du Courrier Français ( MM. Bert et Valentin de La Pelouse) à un mois d'emprisonnement, et à 500 fr. d'amende.

Les cours royales, saisies de l'appel, d'accord pour écarter les deux premiers chefs, ont aussi varié dans leurs jugemens sur le troisième, comme les tribunaux de police correctionnelle. La cour de Metz a cassé le jugement du 22 octobre; celles de Rouen et de Paris ont confirmé les deux autres...

Au fond, il y avait là moins variation de doctrine, que différence d'application. Les deux partis intéressés dans ce conflit ont voulu y voir un succès pour leur cause, l'un par le fait des condamnations prononcées, l'autre par la reconnaissance faite par tous les tribunaux et cours royales du cas où le refus de l'impôt pourrait être légal; doctrine autrefois proclamée à la tribune par un ministre aujourd'hui en fonctions (M. le comte de la Bourdon

naye), dans le temps de sa querelle avec M. de Villèle: déclaration de droit qui valait bien, aux yeux de ceux qui l'avaient provoquée, qu'on la payât d'une légère amende ou de quelques jours de prison.

Aussi les associations se formèrent-elles librement, sans opposition de la part du gouvernement, mais avec plus de bruit que de zèle, dit-on, de la part des souscripteurs, dont on ne peut guère apprécier le nombre au milieu des évaluations diverses données par les partis (1). On n'y était pas d'accord d'ailleurs sur l'application du droit de refuser l'impôt; les uns bornant ce droit au cas où le budget serait rejeté ou illégalement voté, les autres l'étendant au cas où le gouvernement oserait abolir ou violer ouvertement la Charte, interprétation périlleuse laissée au jugement des partis.

On a encore parlé dans ce temps-là d'une pétition des habitans de Grenoble au Roi, pour lui demander le renvoi de ses ministres, pétition dans laquelle on rappelait avec énergie les motifs de l'antipathie nationale qui les poursuivait, mais dont on ne tint pas plus compte que des déclamations quotidiennes des journaux, et qu'on attribua aux manœuvres du parti qui avait organisé les ovations populaires de Vizille et de Lyon.

La même province eut quelque temps après un spectacle d'un autre genre.

Le roi et la reine de Naples s'étant décidés à conduire en Espagne la princesse Marie-Christine, leur fille, mariée au roi d'Esgagné, arrivèrent le 31 octobre aux frontières de France sur la limite du département de l'Isère, où le duc de Blacas, ambassadeur près de LL. MM., fut chargé de les recevoir et de les complimenter. Madame, duchesse de Berri, le duc et la duchesse d'Orléans, qui s'étaient rendus quelques jours auparavant à Grenoble, allèrent au devant de leurs augustes parens... Le séjour de LL. MM. à Gre

(1) Un journal royaliste affirmait qu'à la fin de 1829 le nombre des souscripteurs n'allait pas à 1,500 dans toute l'étendue de la France; tandis que le Constitutionnel (da 19 janvier 1830) prétendait que l'acte avait reçu dans tel arrondissement jusqu'à 1,900 signatures.

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