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lait regarder en sœur, avait laissé de profonds ressentimens dans le cœur du président Lamar. Il opéra sa retraite conformément à la convention, mais comme elle devait être ratifiée par le congrès, il fit engager le colonel Prieto, qui commandait à Guayaquil, de ne pas rendre la place avant qu'il n'eût reçu la ratification. Ce refus fait à l'officier colombien envoyé pour en demander l'évacuation, fut le signal de la reprise des hostilités, et le territoire de Guayaquil devint le théâtre de la guerre.

Bolivar en apprenant la signature de la convention de Jiron, avait continué sa marche dans les départemens du sud, pour diriger les arrangemens à faire entre les deux gouvernemens et s'assurer les fruits de la dernière victoire. De l'autre côté le congrès du Pérou ayant définitivement réfusé sa ratification à cette convention, le général Lamar fit transporter deux à trois mille hommes de Payta à Guayaquil, pour en fortifier la garnison et agir au besoin contre les Colombiens, tandis que l'armée qui avait combattu à Tarqui, se répliait sur Yauquilla où elle fut renforcée par divers détachemens qui la portèrent à 4,000 hommes, dont 600 de cavalerie. Les mois d'avril et de mai se passèrent en préparatifs de parf et d'autre sans action considérable, sans autre événement remarquable que la destruction d'une frégate péruvienne la Puebla; qui prit feu dans le port de Guayaquil, accident qui rendit à la marine colombienne la supériorité dans la mer du sud et qui devait amener la reddition de Guayaquil.

On se préparait des deux côtés à cette lutte nouvelle où les deux parties belligérantes avaient de grandes difficultés à vaincre, par la distance de leurs capitales au théâtre de la guerre, dans un pays qui offrait peu de ressourses, lorsqu'une révolution arrivée à Lima fit tout à coup cesser le plus grand obstacle à la paix.

Le president Lamar, chef du parti qui avait détruit au Pérou l'autorité de Bolivar, perdait de jour en jour de sa popularité. Plein de bonnes intentions, mais d'un caractère faible et indecis, il avait entraîné ou poussé la nation dans une lutte inégalè, regardée par un parti encore existant comme une guerre civile. Les finances étaient dans un état déplorable, le commerce dans la détresse, le

peuple écrasé sous le poids des nouvelles contributions imposées pour soutenir la guerre; les travaux des mines suspendus faute de fonds; les douanes livrées à des fraudes coupables; la nation entière sur le penchant de sa ruine: et pour surcroît à ces calamités politiques ses cités avaient été dévastées par le fléau d'un tremblement de terre; ses récoltes avaient manqué; la capitale et ses environs étaient désolés par des bandes de brigands qui dépouillaient les voyageurs et venaient jusque dans les habitations enlever les troupeaux, les armes et leurs propriétaires. Dans cet état de mécontentement et d'alarmes tout était mur pour une révolution; il ne fallait pour l'opérer qu'un de ces hommes hardis que l'ambition fait surgir dans tous les pays livrés aux discordes politiques.

Le général Ant. Gutierrez de la Fuente, ancien préfet d'Arequipa, et qui, dit-on, avait entretenu des relations avec Bolivar, se trouvant à la tête d'une division de 1,500 hommes qu'il fit entrer dans ses vues au lieu de se rendre à l'armée qu'il avait ordre de rejoindre, retourna sur ses pas, surprit le Callao, entra dans Lima, le 5 juin, s'empara du palais, et sans qu'il y eût résistance ou effusion de sang prit possession du gouvernement sous le titre de vice-président à la place de don Manuel Salazar, dont il exigea la démission.

Voici le décret qu'il publia pour l'annoncer au peuple :

« Considérant que la république est sur le hord de sa ruiue, par les erreurs, la faiblesse du dernier gouvernement et le peu de respect qu'il inspirait; « 2o Que tous les honnêtes Péruviens avaient manifesté le désir d'un changement sage;

«

3° Que je serais coupable devant Dieu et devant les hommes de désobéir à la voix du peuple et de l'armée qui m'appellent à la tête des affaires;

40 Que, comme Péruvien et comme homme, je dois faire tous les sacrifices pour sauver le pays dans cette affreuse crise;

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50 Que le vice-président qui était chargé du pouvoir exécutif, convaincu de la nécessité d'un changement, a résigné ses fonctions en ma faveur;

« Il est décrété: 1o Qu'à dater de ce moment, la direction des affaires de la république est provisoirement remise entre mes mains ; qu'elle sera exercée par moi seul, jusqu'à la réunion de la représentation nationale, sous le titre de chef suprême.

«2o Les généraux, officiers de terre et de mer, les autorités civiles, militaires et ecclésiastiques se rendront le 8, à dix heures du matin, dans la salle du gouvernement, pour y prêter respectivement leur serment d'obéissance.

Signé ANTONIO GUTIERREZ DE la Fuente. »

La nouvelle de cette révolution fut reçue à l'armée du Pérou comme dans la capitale. Le général Lamar donna ou accepta sa démission: il disparut de la scène des affaires, et le général Gamarra, qui n'était pas étranger à cette révolution, prit le commandement en chef de l'armée sous le titre de grand-maréchal. Elle se trouvait alors dans la province de Pinra, sur les confins de celle de Guayaquil où Bolivar était en personne, à Samboradon, à la tête de la sienne. Les deux chefs ne tardèrent pas à s'entendre. Bolivar demandait avant tout la restitution de Guayaquil, menaçant d'une attaque immediate en cas de refus. On entra en négociation. Il fut nommé des commissaires (le colonel Antonio de la Guiria de la part du libérateur, et le lieutenant-colonel Lira de la part du grand maréchal péruvien) qui se réunirent au quartier-général de Pinra, et convinrent ensemble (le 10 juillet) d'un armistice de 60 jours pour travailler à la pacification définitive; mais pour la garantie duquel on remettrait, dans l'espace de six jours, à l'armée colombienne, la province de Guayaquil, ses villes et forteresses, les navires et barques, et toute espèce d'instrumens de guerre qui pouvaient s'y trouver, etc., sauf à remettre les propriétés péruviennes à la conclusion de la paix; convention qui fut fidèlement exécutée de part et d'autre.

Le grand-maréchal Gamarra, de retour à Lima y trouva le congrès prêt à s'assembler. I y fut nommé président de la république et Lafuente vice-président. De nouveaux commissaires furent immédiatement chargés de négocier le traité de paix qui fut conclu le 22 septembre et dont voici les principales dispositions:

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Les limites des deux républiques seront fixées par une commission composée de Colombiens et de Péruviens. Jusqu'à la délimitation des frontières, les anciennes limites seront reconnues. La dette du Pérou sera liquidée à Lima par des commissaires des deux républiques. S'ils ne s'accordent pas, une nation neutre décidera les questions en litige. Les Péruviens rendront à la Colombie les armes et munitions qu'ils ont emportées lors de l'évacution de Guayaquil. La Colombie renonce au droit d'exiger du Pérou l'indemnité de toutes les pertes qu'elle a faites en délivrant le Pérou.

S'il s'élève quelque contestation entre les deux républiques, elle sera soumise à la décision d'une puissance amie. La guerre ne pourra être déclarée avant d'avoir fait cette démarche. Le traité de Tarqui est annulé. L'érection de la colonne ordonnée par le géné ral Sucre n'aura pas lieu. Les décrets contre les Colombiens, adoptés par le congrès péruvien, seront annulés. » (Voy. l'App., p. 158.)

Ainsi s'est terminée cette guerre désastreuse au Pérou; mais qui n'était pas non plus sans périls pour Bolivar, dans l'état d'agitation où il laissait la Colombie. Il venait de faire un sacrifice en renonçant à la domination qu'il avait exercée naguère sur le Pérou; il est douteux qu'on puisse en faire honneur à sa modération.

Tandis qu'il était encore dans ces départemens à s'occuper de leur organisation, le libérateur eut à défendre son pouvoir dictatorial. L'esprit républicain, qui avait inspiré les délibérations de la convention d'Ocana et le complot de Bogota et le mouvement de Popayan fermentaient toujours dans le peuple et dans l'armée. Une insurrection nouvelle éclata au mois de septembre dans la province d'Antioquia, à la tête de laquelle parut le général Joseph Marie Cordova, commandant de la province, qui s'était distingué dans toutes les guerres; que le libérateur avait comblé de bienfaits et comptait au rang de ses plus dévoués. Il leva l'étendard de la révolte à Rio-Negro, par une proclamation dans laquelle il annonçait son intention de rétablir la constitution de Cucuta, et de renverser la tyrannie du libérateur.

Cette nouvelle arrivée à Bogota, le ministre de la guerre donna ordre de faire arrêter Cordova, son frère Salvador, et son beaufrère, gouverneur de la province; mais ils s'y dérobèrent en se retirant à Medellin, où l'insurrection prit un caractère plus prononcé. Il s'y tint le 15 septembre une assemblée composée d'une grande partie des notables habitans de la province, en présence des autorités et du gouverneur lui-même. Là, le général Cordova, exposant de nouveau le motif de l'insurrection, peignit en traits énergiques l'usurpation de Bolivar et les calamités que son insatiable ambition avait attirées sur le pays. Il fut résolu, à la suite d'une délibération longue et animée, qu'il serait fait une levée en

masse dans la province. Cependant, quoique le peuple parût se laisser entraîner à ces déclamations, il mettait peu de zèle à se rendre sous les drapeaux; et ce zèle se refroidit encore lorsqu'on apprit que deux ou trois détachemens considérables, l'un de sept cents hommes venant de Bogota, sous le général O'Leary; un autre de Magdalena, sous le colonel Urreta, arrivaient à marches forcées. Les rangs de l'insurrection commencèrent à s'éclaircir, et il ne restait plus guère à Cordova que trois cents hommes lorsqu'il fut joint et attaqué par O'Leary, le 17 octobre, à Santuario, près de Marinilla. Entouré de tous côtés, sans espérance de succès, réduit à cette extrémité de périr de la mort des braves ou de celle des traîtres, Cordova fit une résistance héroïque et fut trouvé mort ou mortellement blessé avec deux cents des siens sur le champ de bataille. Le reste se dispersa. Le libérateur se piqua de clémence, fit grace au frère de Cordova, et tout rentra dans l'ordre.

Le bruit a couru dans ce temps-là que des agens étrangers étaient impliqués dans cette conspiration, ou du moins compromis dans les papiers de Cordova, saisis après sa mort. Il n'a été publié rien qui puisse le prouver; mais on a remarqué que les ministres du Mexique, celui des États-Unis, et même le consul-général d'Angleterre Henderson quittèrent à cette époque, et en même temps, la Colombie.

Entre les agens étrangers qui se trouvaient alors à Bogota, le commissaire français, M. Bresson, arrivé au mois de mai, paraissait jouir auprès de Bolivar d'une faveur qui avait excité quelque jalousie de la part de ses rivaux. On a fait beaucoup de conjectures sur l'objet de sa mission; mais personne ne doutait qu'elle n'eût pour résultat la reconnaissance 'prochaine de la république, lorsque de nouvelles commotions vinrent y troubler l'ordre à peine rétabli.

On attendait la réunion du congrès national, convoqué pour le 1er janvier comme l'époque d'un changement dans la constitution, dont l'expérience avait fait voir les défauts et l'impuissance, soit pour garantir les droits du peuple soit pour faire respecter l'autorité du gouvernement. Mille bruits se succédaient sur les projets

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