Page images
PDF
EPUB

fruit suppose essentiellement une chose dont on puisse user et jouir sans la détruire, puisqu'elle doit être restituée dans son identité lors de l'extinction du droit. Aussi fut-il d'abord de principe que les choses qui se consomment par le premier usage ne peuvent faire l'objet d'un usufruit; mais, par suite de certaines nécessités pratiques, les jurisconsultes et le législateur furent amenés à considérer ces choses mêmes comme susceptibles, non pas d'un usufruit proprement dit, mais d'un droit fort analogue à l'usufruit, que les interprètes ont appelé le quasi-usufruit; c'est ce droit, consacré par les lois romaines et reconnu par notre législation actuelle, que nous allons étudier spéciale

ment.

Après ces préliminaires, que nécessitait une exposition des principes, il est bon d'indiquer dès à présent le plan général que nous avons adopté, en même temps que les matières quelque peu spéciales que nous avons cru devoir faire rentrer dans cette étude. On verra par là que, sans nous restreindre à ce qui semble tout d'abord seul annoncé par notre titre, nous n'avons pas voulu nous arrêter à l'examen de certaines situations, analogues à celle du quasi-usufruitier, mais non identiques.

Laissant donc de côté tous développements relatifs à l'usufruit proprement dit, nous nous bornerons à rappeler sommairement les principes qui le régissent ; puis, passant au quasi-usufruit,nous rechercherons les

cas où ce droit existe, la nature des droits et des obligations du quasi-usufruitier, les causes d'extinction du droit. L'objet principal de cette étude est de faire ressortir les règles propres au quasi-usufruit, celles qui le distinguent de l'usufruit véritable : la plus importante de ces règles consiste en ce que le titulaire du droit n'acquiert plus seulement un démembrement de la propriété, mais la propriété même de la chose, à charge de rendre l'équivalent à l'époque où son droit eût pris fin, s'il eût été un usufruit proprement dit. Tel est l'expédient employé pour constituer l'équivalent d'un usufruit.

Nous n'avons pas compris dans cette étude les droits de tous ceux qui, comme le quasi-usufruitier, ont la propriété d'une chose, sauf à en rendre plus tard l'équivalent. Quel a donc été le critérium adopté pour décider si telle matière rentrait ou non dans notre étude ? Le voici : N'y eût-il eu, s'il se fût agi de choses résistant au premier usage, qu'un droit de jouissance, qu'un droit d'usufruit; et le fait que l'acquéreur est investi de la propriété ne tient-il qu'à la nature des biens sur lesquels son droit doit s'exercer? C'est alors un sujet qui nous appartient. Mais si l'existence du droit de propriété se rattache à une autre cause, si l'expédient signalé plus haut n'y a été pour rien; en un mot, si en pareil cas l'acquéreur fût devenu propriétaire de choses même susceptibles d'usufruit; nous sommes en présence d'un droit qui peut avoir quelque

ressemblance avec celui qui nous occupe, mais qui ne se confond pas avec lui, et cela nous a suffi pour l'é

carter.

C'est ainsi qu'en droit romain, un chapitre sera consacré aux droits du père de famille sur les biens adven tices, quand ils se consomment par le premier usage. Au contraire, les droits du mari sur les valeurs dotales ne feront l'objet d'aucun développement, parce qu'à Rome le mari devenait propriétaire des biens dotaux, quelle que fût leur nature (Gaius, Comm. II, § 63; Inst., Quib. alien. lic. vel non, II, 8, pr.; Cod., De rei vind., III, 32).

L. 9,

De même, en droit français, on sait que, dans le Code civil, l'art. 384 accorde aux père et mère la jouissance légale des biens de leurs enfants; plus loin, au titre Du contrat de mariage, l'art. 1401-2° donne à la communauté la jouissance des biens restés propres aux époux; l'art. 1549, 2° al., relatif au régime dotaj donne au mari la jouissance des biens dotaux; de même, l'art. 1530 dans le régime sans communauté. Quoique ces différents droits ne soient pas qualifiés d'usufruit par la loi, la comparaison des articles précités avec l'art. 582 justifie suffisamment leur assimilation à un droit d'usufruit. La question de savoir ce que seront les droits du père, de la communauté, du mari, quand ils auront pour objet des choses dont on ne peut user sans les détruire, fait donc nécessairement partie d'une théorie complète du quasi-usufruit.

DROIT ROMAIN

L'usufruit fut de bonne heure reconnu et réglementé par les lois romaines; mais la définition qu'on en donnait, aussi bien que la force même des choses, parut longtemps s'opposer à ce qu'il pût porter sur des objets se consommant primo usu. Il faut arriver à l'époque d'Auguste et de Tibère pour voir le législateur organiser sur ces biens un droit spécial, destiné à remplacer l'usufruit, mais que son analogie avec ce dernier a fait nommer par les commentateurs le quasi-usufruit. Ce droit nous apparaît donc dans les textes comme un complément de l'usufruit proprement dit, dont les règles lui restent en principe applicables.

Il nous faudra donc d'abord rappeler brièvement les principes généraux qui régissent l'usufruit véritable : ce sera l'objet d'un premier chapitre; dans les chapitres suivants, nous étudierons l'organisation du quasiusufruit, quelles choses peuvent en être l'objet, comment il s'établit, quels sont les droits et les obligations

du quasi-usufruitier, quelles sont les causes d'extinction du droit; enfin, les deux derniers chapitres auront trait, l'un à l'application de l'usufruit aux créances et aux servitudes; l'autre aux règles particulières du quasi-usufruit portant sur des biens adventices.

CHAPITRE PREMIER

NOTIONS GÉNÉRALES SUR L'USUFRUIT TROPREMENT DIT

Les jurisconsultes romains définissent l'usufruit jus alienis rebus utendi fruendi, salva rerum substantia; telle est la définition que nous trouvons aux Institutes, reproduisant un texte de Paul inséré au Digeste (Inst. De usufr., 11, 4, pr.; L. 1, Dig. De usufr., VII, 1). Cela suffit à montrer qu'il y a là deux personnes ayant des droits sur la chose, le nu-propriétaire et l'usufruitier; pour ce qui regarde ce dernier, le même texte prouve que, des éléments qui composent le droit de propriété, le jus utendi et le jus fruendi lui appartiennent seuls, mais que le jus abutendi lui est absolument refusé; l'usufruitier peut donc se servir de la chose telle qu'elle est, il peut en percevoir les fruits, mais il n'a pas la faculté de disposer de la chose, c'est-à-dire de l'aliéner, de la transformer, de la détruire. Il est même très probable, quoique les interprètes aient va

« PreviousContinue »