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DROIT FRANÇAIS

Le Code civil a distingué, comme l'avait fait le droit romain, l'usufruit proprement dit et le quasi- usufruit. Dans l'étude de ce dernier droit, nous rechercherons dans quels cas il existe, comment il peut s'établir, quels sont les droits qu'il confère et les obligations qu'il impose au quasi-usufruitier, enfin quelles sont les causes d'extinction qui lui sont applicables. Nous rattacherons à cette théorie la discussion sur la nature de l'usufruit ayant pour objet un fonds de commerce, parce que beaucoup d'auteurs y ont vu, à des degrés divers, une application du quasi-usufruit. Tel sera l'objet de la première partie.

La seconde partie sera consacrée à l'examen des règles applicables à l'usufruit légal des père et mère portant sur des quantités; aux propres imparfaits, sous le régime de communauté ; et, dans les régimes sans communauté et dotal, aux biens dotaux dont la propriété ne reste pas à la femme.

PREMIÈRE PARTIE

CHAPITRE PREMIER

DANS QUELS CAS LE QUASI-USUFRUIT EXISTE

Aux termes de l'art. 581, l'usufruit «< peut être établi sur toute espèce de biens meubles ou immeubles. >> Cette disposition n'était-elle pas trop générale, en présence de la définition donnée par l'art. 578: « L'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance. » On ne concevait guère, en effet, que ce droit pût exister sur des choses dont on ne peut user sans les détruire.

Mais le Code civil a admis l'expédient auquel le droit romain avait recours en pareille hypothèse; et, reproduisant pour ainsi dire un texte du Digeste, la L. 7, De usufr. ear. rer., VII, 5, l'art. 587 contient la disposition suivante : « Si l'usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l'argent, les grains, les liqueurs, l'usufruitier a le droit de s'en servir, mais à la charge d'en rendre de pareille quantité, qualité et valeur, ou leur estimation, à la fin de l'usufruit. » C'est de là que résulte l'adoption par notre législation actuelle de ce droit que la doctrine désigne sous le nom de quasi-usufruit.

La rédaction de cet article n'est pas à l'abri de toute

critique on a fait observer, en effet, qu'il y avait contradiction à accorder le droit de se servir de choses dont on ne peut user sans les consommer; mais cette inexactitude de rédaction ne laisse aucun doute sur la portée de la loi, et le texte peut s'expliquer par cette observation que, pour des choses de cette nature, le droit de s'en servir, c'est la faculté de les consommer, d'en disposer, c'est le droit même de propriété (Marcadé, Explic. du Cod. Nap., sur l'art. 587).

Si l'on s'en tenait strictement au texte de l'art. 587, on pourrait croire que c'est à la nature des biens seulement qu'il faut s'en rapporter, pour décider si, dans un cas donné, il y a usufruit véritable ou quasi- usufruit. Mais ce serait là une erreur certaine : car, si la nature des choses est à prendre en quelque considération, il ne faut pas oublier qu'avant tout il faut s'en référer à la volonté des parties intéressées, conformément au principe général posé par l'art. 1134.

C'est ce qui va ressortir de l'examen des diverses classes de choses sur lesquelles le quasi-usufruit peut porter: les choses consomptibles, les choses fongibles, les choses non fongibles même dont on considère l'estimation.

Les choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, ou consomptibles, sont visées directement par l'art. 587, qui donne pour exemples: l'argent, les grains, les liqueurs. Pour l'argent, la consommation primo usu est toute juridique, en ce sens qu'il est ab

solument perdu pour celui qui l'a dépensé, quoiqu'il continue d'exister ailleurs dans son intégrité; pour les autres choses, comme les denrées, le premier usage les anéantit physiquement. Le quasi-usufruit s'applique ici en l'absence d'intention contraire: on conçoit, en effet, du moins en théorie, que l'usufruit soit établi, même dans notre hypothèse, avec cette clause que l'usufruitier rende in specie les choses qu'il a reçues; ce serait souvent transformer l'usufruit en un dépôt inutile et gênant, et la pratique ne comprendrait guère une pareille clause cela est vrai, mais sa seule possibilité suffit à démontrer que ce que dit Demolombe (t. X, n° 286), que le quasi-usufruit s'applique toujours nécessairement aux choses de consommation, n'est vrai qu'en fait.

:

Le quasi-usufruit peut aussi s'appliquer aux choses fongibles, c'est-à-dire aux objets qui n'ont pas été considérés par le constituant ou les parties contractantes au point de vue de leur individualité, mais seulement in genere, de telle sorte qu'ils peuvent être exactement et identiquement remplacés les uns par les autres, quarum una alterius vice fungitur. Mais tandis que le caractère de consomptibles ou non consomptibles résulte de la nature même des biens, celui de fongibles ou non fongibles dérive uniquement de la volonté des parties. Aussi faut-il, quand il s'agit de choses non consomptibles, prouver l'intention d'établir un quasi-usufruit : sinon, le droit commun conservant son empire, il fau

drait reconnaître l'existence d'un usufruit proprement dit. D'ailleurs, l'intention de rendre applicable l'art. 587 n'a pas besoin d'être expresse, et pourrait s'induire des circonstances: c'est ainsi que, suivant une opinion assez générale, l'usufruitier d'un fonds de commerce devient quasi-usufruitier des marchandises qui le composent (Demolombe, X, n. 307; Marcadé, sur l'art. 581, n. 2; Demante, II, n. 426 bis, §5; Proudhon. Traité des droits d'usufruit, etc., III, n. 1010, in fine).

Enfin, même sur les choses non fongibles, c'est-àdire celles qui n'ont pas été considérées par les contractants comme pouvant être remplacées par d'autres du même genre, l'établissement d'un quasi-usufruit se conçoit encore: il se peut en effet que les parties aient voulu que l'usufruitier, au lieu de jouir de l'objet, à la charge de le rendre en nature, en devint propriétaire en ne demeurant débiteur que de l'estimation. Dans cette hypothèse, on se rapproche beaucoup du cas, prévu par l'art. 587, où l'usufruit porte sur une somme d'argent: car, au fond des choses, c'est bien la somme représentant l'estimation qui devient l'objet du quasi-usufruit. Mais ici, comme dans le cas précédent, le quasi-usufruit étant d'exception n'existe qu'en vertu de l'intention non douteuse des parties en pré

sence.

Une application de ce principe peut se rencontrer dans l'art. 589, ainsi conçu : « Si l'usufruit comprend des choses qui, sans se consommer de suite, se dété

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