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tion. Supposons, au contraire, qu'un associé ait apporté pour un avantage minime un brevet d'invention d'une grande importance, les créanciers personnels de cet associé exerceront proprio nomine l'action en nullité de la société pour vice de constitution, si quelque irrégularité a été commise, et ils feront annuler la société d'une manière absolue. De cette façon, leur débiteur reprendra son brevet, qu'il pourra exploiter avec plus d'avantage. Il est vrai qu'ici l'acte de nullité peut couvrir bien des fraudes.

94. La question se pose de savoir si les créanciers personnels des associés peuvent se prévaloir de la nullité contre les créanciers sociaux. Pour la négative on dit : Les associés ne peuvent pas invoquer la nullité contre les tiers. Or, leurs créanciers n'ont pas plus de droits qu'eux; ils ne pourraient agir qu'en vertu de l'article 1167, mais une société irrégulière n'est pas nécessairement frauduleuse. La jurisprudence admet, au contraire, les créanciers personnels en concours avec les créanciers sociaux. Nous croyons qu'il y a une bonne raison pour admettre sur ce point les décisions de la jurisprudence, puisque le législateur, à tort ou à raison, a voulu qu'on se référât aux décisions de la jurisprudence sur l'art. 42 C. com.

Nous convenons que la négative est seule d'accord avec les principes généraux, mais nous croyons que sur ce point le législateur a écarté l'application des principes généraux. L'article 7 s'exprime d'une manière trop absolue pour qu'on soit autorisé à en diminuer la portée par des distinctions fondées sur les principes généraux.

Il faut que toute société constituée en violation des règles de la loi puisse toujours être annulée sur la poursuite des intéressés. Voilà l'idée dominante. On comprend

que si la société prospère ou a une apparence de prospérité, les créanciers sociaux n'ont aucun intérêt à la faire annuler. Il peut d'ailleurs arriver qu'ils ignorent le vice qui entache la constitution de la société et, s'ils le connaissent, il est à craindre qu'ils ne dictent des conditions onéreuses aux associés en les menaçant de la nullité; de sorte que si la fraude est à redouter de la part des créanciers personnels dans leurs rapports avec les associés, il faut aussi reconnaître qu'elle peut se produire de la part des créanciers sociaux de connivence avec les associés, Nous dirons que, si toute société irrégulière n'est pas nécessairement frauduleuse, il est à craindre qu'elle ne puisse durer qu'en recourant à la fraude. La Cour de cassation décide, avec raison suivant nous, que s'ils se trouvent en présence des créanciers personnels qui invoquent la nullité, les créanciers sociaux ne peuvent pas invoquer contre eux l'existence de la société pour la faire. déclarer en faillite (Cass., 24 août 1863, S. 63-1-486), et l'on admet que les créanciers personnels ont le droit de concourir au marc le franc avec les créanciers sociaux à la répartition de l'actif social; cela s'entend de la portion d'actif revenant à leur débiteur (Rennes, 6 mars 1869, S. 69-2-254). Ajoutons que les seuls créanciers personnels admis à concourir sont ceux dont la créance a date certaine antérieurement à la dissolution de la société irrégulière (arrêt du 7 mars 1849). Il n'y a pas lieu de s'arrêter à l'opinion qui soutient qu'il faudrait que la créance existât déjà au moment où la société s'est formée.

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95. Dans quel délai doit être formée la demande en nullité? Dans un premier système on prétend que la nullité, n'étant que relative dans ses effets, est susceptible de se couvrir par l'expiration du délai de dix ans, confor

mément à l'article 1304. Ce système s'appuie sur ce que l'on admet généralement que le passé d'une société annulée doit se liquider d'après les bases du pacte social. Les dix ans écoulés apporteront la confirmation de ce qu'on pouvait faire annuler. - Mais justement le caractère de cette nullité exclut la confirmation (art. 6 C. c.). La société étant nulle pour vice de constitution, on n'a pas la ressource d'en constituer une nouvelle; à ce point de vue cette solution peut être rapprochée de l'art. 1339 C. c.

Dans un deuxième système, on applique l'art. 2262. Toutes les actions tant réelles que personnelles se prescrivent par trente ans.

Enfin dans un dernier système, qui est celui que nous adoptons, l'action en nullité de la société irrégulière est imprescriptible. La prescription est un moyen d'acquérir ou de se libérer, mais ne peut servir à faire naître une société entre des personnes qui ont négligé de se conformer aux règles prescrites pour la constitution des sociétés (en ce sens MM. Lyon-Caen et Renault, no 435). Mais nous admettons que l'action en répétition des versements opérés, qui donne lieu à une condictio sine causa se prescrit par trente ans.

Est nulle toute stipulation tendant à restreindre le droit de demander la nullité (nulli querela subjectus est qui jure suo utitur.) En conséquence la clause de dédit stipulé pour le cas où l'un des associés voudrait se retirer avant le terme convenu demeure sans effet.

96. A quel moment ne peut-on plus invoquer la nullité?

Il y a intérêt à faire prononcer la nullité même après la dissolution à raison des responsabilités qui dérivent de la

nullité mais l'action en nullité n'aurait plus d'objet si la société dissoute avait un actif suffisant pour désintéresser tous les créanciers. En principe l'action en nullité n'est admissible qu'autant qu'elle peut produire au profit de celui qui l'intente des avantages autres que ceux résultant de la dissolution. (Cass. 3 juin 1862, S. 63-1-189. Req. 7 juil. 1873, S. 73-1-388). La nullité ne pourrait plus être demandée si, la société étant dissoute par l'expiration du terme, il y avait eu liquidation et partage entre les associés (Req. 27 mai 1861).

SECTION II.

Responsabilités résultant de l'inaccomplissement des conditions requises pour la constitution des sociétés par actions.

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97. La responsabilité a sa source dans la nullité de la société. Il faut que la nullité de la société ait été prononcée préalablement par la justice. D'ailleurs, si la société avait cessé d'exister, la déclaration de nullité n'aurait plus d'intérêt; il suffirait alors que la nullité de la société, d'où dérive la responsabilité, fût constatée dans le jugement qui prononce sur la responsabilité (Lyon, 26 mars 1860, S. 602-365 et Req., 12 avril 1864, S. 64-1-169). Ces arrêtés ont été rendus sous la loi de 1856 qui était, à ce sujet, moins expresse que la loi actuelle, dont l'art. 8 porte : « ...responsables du dommage résultant... de l'annulation de la société. »

§ 1er. - Sociétés en commandite par actions.

Pour les sociétés en commandite par actions sont responsables : le gérant, les membres du conseil de surveillance et les associés dont les apports ou les avantages n'auraient pas été vérifiés conformément à l'art. 4 ci-dessus.

98.a. Pour les gérants chargés de l'accomplissement des conditions fondamentales, la responsabilité n'avait pas besoin d'être prononcée. Ils sont responsables en vertu des règles générales du droit et par application du principe: quiconque s'oblige oblige le sien. Le gérant est tenu, en sa qualité de gérant, de toutes les dettes sociales; les créanciers peuvent agir directement et in infinitum contre lui. Toute la question est de savoir si la nullité de la société rend le gérant responsable vis-à-vis des associés. Sur ce point, l'art. 8 met sur le même rang les associés et les tiers. Mais ceci doit être entendu en ce sens que le gérant n'est responsable envers les associés que du dommage résultant de l'annulation de la société, au lieu qu'il est tenu envers les tiers de la totalité des engagements contractés par la société.

99. b. Les membres du premier conseil de surveillance peuvent être déclarés responsables avec le gérant. Il résulte de là que cette responsabilité n'est que facultative et qu'elle n'est que subsidiaire. La loi de 1856, qui a rendu obligatoire l'institution des conseils de surveillance, les

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