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mariage de ceux qu'il prétend être ses parents? Il semble à première vue qu'on pourrait dire : l'enfant nous apporte la preuve que la famille et la société l'ont traité comme légitime, cela suppose que la famille et la société ont regardé ses père et mère comme mariés ; la preuve de la possession d'état d'enfant légitime implique donc le mariage. Ce raisonnement paraît logique; mais si l'on se rappelle que le législateur n'a pas voulu que la preuve du mariage résultat d'une possession d'état d'époux, on en conclura qu'a fortiori il n'a pas pu vouloir qu'elle résultat indirectement d'une possession d'état d'enfant légitime.

Que l'on considère combien de personnes, surtout dans les grandes villes, vivent avec toutes les apparences d'individus légitimement mariés, traitant leurs enfants comme légitimes, les présentant partout comme tels, quoiqu'en réalité nul mariage n'existe, et l'on pourra se convaincre que la doctrine contraire eût donné lieu à bien des abus.

Les enfants d'ailleurs ne sont soumis à la nécessité de rapporter le titre de mariage que lorsque cela leur est possible, c'est-à-dire lorsque l'un de leurs parents au moins vit encore à l'époque où ils demandent à faire la preuve de leur filiation. Quand tous deux sont morts au contraire, la loi venant au secours des enfants, qui peut-être ignorent la commune où leurs père et mère se sont mariés, et ne peuvent se procurer un extrait de l'acte de mariage,

leur permet à l'art. 197 d'établir leur filiation et leur légitimité, par la double preuve de la possession d'état d'époux dont ont joui leurs parents, et de leur propre possession d'état d'enfants légitimes, pourvu que cette dernière ne soit pas contredite par

l'acte de naissance.

Trois questions ont été soulevées. Les époux existent, mais ils sont l'un et l'autre absents, ou l'un et l'autre interdits: leurs enfants peuvent-ils dans ce cas invoquer le bénéfice que la loi leur accorde expressément, lorsque leurs père et mère sont l'un et l'autre décédés? Il faut sans hésiter faire prévaloir l'esprit évident de la loi sur son texte. Si elle vient au secours des enfants lorsque leurs père et mère sont morts, c'est à cause de l'impossibilité où ils sont de découvrir le lieu de la célébration du mariage. Or, dans notre hypothèse la même impossibilité existe; mais il est clair que si l'époux absent revenait, ou si l'époux interdit recouvrait la raison, la contestation de la légitimité des enfants pourrait être utilement renouvelée.

On s'est encore demandé si l'art. 197 reçoit son application dans le cas où le mariage est affirmé par un enfant et nié par le survivant des prétendus époux. Voici l'hypothèse on suppose que l'un des prétendus époux est décédé. Un enfant se présente comme enfant légitime et demande le partage de la communauté; l'époux survivant nie le mariage, el soutient qu'il n'y a pas eu de communauté. L'en

fant peut-il alors invoquer le bénéfice de l'art. 197? On pourrait dire en faveur de l'affirmative que l'impossibilité, dont nous parlions tout à l'heure, existe dans notre espèce, car le survivant des époux se gardera bien de donner des armes contre lui en fournissant à l'enfant les indications nécessaires pour découvrir l'acte de mariage. Mais il vaut mieux déclarer l'enfant non recevable à faire la preuve de l'art. 197, parce que la légitimité étant contestée par le survivant des prétendus époux, cette contestation fait évanouir le commencement de possession d'état, qui s'était formé à son profit. Il est difficile d'admettre en effet que dans un intérêt honteux un père ou une mère réduise frauduleusement son enfant à l'état de bâtardise.

Enfin il y a eu discussion sur le point de savoir s'il suffisait à l'enfant de prouver sa possession d'état sans prouver celle de ses parents, ou si les deux possessions devaient être l'objet d'une preuve directe.

La Cour de Bastia s'était prononcée dans le premier sens car, disait-elle, la possession d'état des parents résulte inplicitement de la possession d'état d'enfant légitime, puisque celle-ci établit la filiation vis-à-vis de la famille, et qu'on ne comprend pas la famille sans mariage. Mais la Cour de cassation pensant que le seul avantage qui résultât de l'art. 197 pour les enfants dont les parents sont morts, était de ne pas être obligés à représenter le titre de mariage, déclara que les deux possessions d'état de

vaient faire l'objet d'une preuve distincte. (Cassation 19 juin 1867, Dalloz, 1867, I, 342).

En résumé l'enfant qui n'a pas de titre de naissance et qui veut prouver sa filiation légitime, doit prouver d'abord le mariage de ses père et mère, généralement au moyen d'un titre, puis il est admis à prouver sa possession d'état d'enfant légitime.

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$5. Comment se prouve la possession d'état.

A ne consulter que le droit commun, l'enfant qui demande à prouver sa filiation devrait avoir toute latitude de faire cette preuve comme il l'entend: car il n'a pas pu dresser un acte comme on le fait pour constater une convention. L'équité voudrait donc qu'il fût permis de prouver son origine par tous les moyens possibles. Le légistateur a cependant pensé qu'il fallait mettre obstacle aux usurpations d'état, en n'acceptant le témoignage qu'avec défiance et précaution; mais ne l'oublions pas, nous ne devons tenir compte de ces sévérités que quand le Code nous l'ordonne formellement. En dehors des cas prévus par lui, nous rentrons dans le droit commun.

Ce principe nous donne la solution d'une question qui a pu être controversée, mais sur laquelle, à notre sens, il ne peut y avoir de doutes sérieux : comment se prouve la possession d'état ?

Quelques-uns s'inspirant de l'art. 323, qui n'admet la preuve testimoniale qu'avec un commencement de

preuve par écrit ou des indices et présomptions graves résultant de faits dès lors constants, ont pensé que l'enfant en possession de son état ne pouvait produire de témoins qu'en justifiant des garanties exigées par la loi; mais il est évident que l'art. 323 n'est pas applicable à notre espèce. Dans quel cas exige-t-il des adminicules? Il le dit: à défaut de titre et de possession constante. Donc il ne les exige pas lorsqu'il s'agit de prouver la possession d'état.

La différence qu'établit le législateur entre la preuve par témoins et la preuve par la possession d'état est bien nette la première n'est admise qu'avec des garanties telles que le commencement de preuve par écrit; la seconde se fait par tous les moyens possibles, écrits, témoignages et présomptions de l'homme sans aucune garantie. Pourquoi cela? C'est que premièrement dans le cas de l'art. 323, il n'y a ni titre, ni possession d'état; donc la position de l'enfant est étrange d'où la nécessité d'être prudent. Secondement l'accouchement est un fait isolé, presque secret; la possession d'état se compose de faits multiples, constants et publics; dès lors le faux témoignage serait à redouter dans le premier cas, il n'y a rien à craindre au contraire dans le second: les témoins sont nombreux, on ne conçoit pas qu'ils puissent tous se concerter pour mentir à la justice.

Ces motifs ont inspiré au législateur les dispositions de l'art. 323, dispositions exceptionnelles, qui ne peuvent s'appliquer à la possession d'état. Donc

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