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populations esclaves ou serves furent progressivement affranchies, et l'on vit revivre dans les paroisses régénérées par l'épíscopat, les traditions du municipe, épurées par le christianisme et empreintes d'un caractère plus large et plus élevé que celui de la cité antique, dégradée par l'esclavage et corrompue par le polythéisme.

Rome païenne, cette reine des cités de l'idolâtrie, était tombée, mais déjà l'Église, assemblée dans cette grande Babylone, saluait le monde par la voix de Pierre (1), et l'œuvre de la régénération sociale était commencée. « Ce qui frappe le plus dans les révolutions de ces temps demi-barbares, dit M. Guérard (2), c'est l'action de la religion et de l'Église; le dogme d'une origine et d'une destinée commune à tous les mortels, proclamé par la voix des évêques et des prédicateurs, fut un appel constant à l'émancipation des peuples. Il rapprocha toutes les conditions et ouvrit la voie à la civilisation moderne: quoiqu'ils ne cessassent de s'opprimer, les hommes se regardèrent comme les membres d'une même famille et furent conduits, par l'égalité religieuse, à l'égalité civile et politique. De frères qu'ils étaient, ils devinrent égaux devant la loi, et de chrétiens, citoyens. Cette formation s'opéra lentement, graduellement, comme une chose nécessaire, infaillible, par l'affranchissement continu et simultané des personnes et des terres. L'esclavage, que le paganisme, en se retirant, remit aux mains de la religion chrétienne, passa d'abord de la servitude au servage, puis il s'éleva du servage à la main-morte, et de la main-morte à la liberté (3). »

Le municipe revêtit, d'ailleurs, des formes très-variées : italiques dans le midi, germaniques dans l'est et le nord, celti

(1) Salutat vos ecclesia, quæ est in Babylone collecta. (2) De la condition des terres el personnes au moyen áge.

(3) Voyez le beau travail de M. OZANAM sur la civilisation chrétienne chez les Francs, les ouvrages de M. Guizot, le Mémoire de M. TROPLONG, De l'influence du christianisme sur la législation, l'Histoire du droit français, de M. LAFERRIÈRE, t. I, p. 267 ; 1 Histoire du droi! municipal de M. Raynouard, t. I, p. 140.

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ques et anglo-saxonnes dans le centre et dans l'ouest de la France.

XIX. Charlemagne, Germain de naissance et Romain d'idées et de sentiments, tenta, par la double institution des scabini et des missi dominici, de centraliser le pouvoir sans uniformiser les peuples, en s'abstenant de toucher à leurs intérêts purement locaux (1); il échoua dans cette entreprise prématurée, et la société féodale se forma des débris de son vaste empire. XX.

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L'histoire municipale de la période féodale est aussi diverse que les traditions et les caractères des populations. OEuvre commune du clergé et du peuple en Italie, l'autorité municipale s'y partagea naturellement entre l'évêque et les habitants. En Allemagne, la puissance du seigneur se fortifia par la protection qu'il accorda aux cités. En France et en Espagne, le roi et les communes contractèrent une étroite alliance; et c'est ainsi que, dès les premiers siècles du moyen âge, on put pressentir, d'un côté, la démocratie catholique italienne et le gouvernement féodal germanique, se divisant en une foule de petits États, les uns fiefs, les autres républiques; et d'un autre côté, la monarchie française ou espagnole, triomphant, par le secours de ses rois et de ses populations, de la puissance seigneuriale, mais aboutissant l'une et l'autre à la monarchie absolue. L'Angleterre seule fonda, malgré l'organisation féodale de ses comtés, un gouvernement représentatif appuyé sur des institutions locales. et électives graduées depuis le borough et la cité, jusqu'au parlement.

Voltaire a signalé dans une phrase incisive les rapports originaires qui existaient entre les parlements anglais sous Guillaume le Conquérant et ses successeurs immédiats, et les parlements en France, depuis Hugues Capet jusqu'au quatorzième siècle. « La « France et l'Angleterre, dit-il, ayant été longtemps adminis«trées sur les mêmes principes, ou plutôt sans aucuns principes, « et par des usages tout semblables, d'où vient qu'enfin ces deux

(1) RAYNOUARD, Histoire du droit munícipal, t. II, ch. XII.

a gouvernements sont devenus aussi différents que ceux du Maroc et de Venise? » On peut répondre : Ce qui a empêché les Etats-Généraux de France de devenir un parlement national permanent, ce n'est pas, comme l'ont pensé quelques écrivains de l'école constituante (1), la co-existence des Etats particuliers des provinces conquises, c'est l'absence de lien politique d'une part entre ces Etats et les assemblées municipales, de l'autre entre ces États et les États Généraux.

Les Knights of the shire, c'est-à-dire l'union des classes aristocratiques et populaires dans les paroisses, les bourgs, les cités, la chambre des communes, la chambre des pairs, tel est, selon la remarque de Hume, le nœud de cette constitution anglaise, dont la propriété est la pierre angulaire (2), et où chacun participe aux charges communes dans la mesure de ses intérêts. Telle était aussi la base de l'édifice municipal dans nos provinces les plus renommées par la sagesse de leur administration. En Provence et en Languedoc, par exemple, les corps politiques des communautés d'habitants, les assemblées de vigueries ou de diocêses, les États provinciaux ne votaient pas par ordres, mais à la pluralité des suffrages (3); ces assemblées étaient de véribles communes, analogues à celles d'Angleterre; elles étaient composées de représentants de la classe des propriétaires fonciers et taillables, entre lesquels les nobles prenaient rang comme les roturiers, sans aucune distinction de rang. J'ai essayé de décrire ailleurs les caractères de l'élection et les attributions de ces assemblées, qui composaient la hiérarchie municipale: je me borne à renvoyer aux sources (4) où j'ai puisé les principes

(1) BARNAVE, Esprit des édits enregistrés au parlement de Grenoble. FRISEL, Vue de la constitution d'Angleterre.

(2) Quoniam Gulmundus quadraginta hodarum terræ dominium minime obtineret, licet nobilis esset, inter proceres tunc numerari non potuit. (Histoire du monastère d'Ely, liv. II, ch. XL.) (3) BOULAINVILLERS, t. VI, p. 257.

(4) Lois municipales du Languedoc, par ALBISSON, 7 vol. in-4°. Traité de l'administration de Provence, par M. DE CORIOLIS. Voyez aussi une excellente étude sur la fin de la constitution provençale, par M. DE RIBBES.

ques et anglo-saxonnes dans le centre et dans l'ouest de la France.

XIX. — Charlemagne, Germain de naissance et Romain d'idées et de sentiments, tenta, par la double institution des scabini et des missi dominici, de centraliser le pouvoir sans uniformiser les peuples, en s'abstenant de toucher à leurs intérêts purement locaux (1); il échoua dans cette entreprise prématurée, et la société féodale se forma des débris de son vaste empire.

XX. L'histoire municipale de la période féodale est aussi diverse que les traditions et les caractères des populations. OEuvre commune du clergé et du peuple en Italie, l'autorité municipale s'y partagea naturellement entre l'évêque et les habitants. En Allemagne, la puissance du seigneur se fortifia par la protection qu'il accorda aux cités. En France et en Espagne, le roi et les communes contractèrent une étroite alliance; et c'est ainsi que, dès les premiers siècles du moyen âge, on put pressentir, d'un côté, la démocratie catholique italienne et le gouvernement féodal germanique, se divisant en une foule de petits États, les uns fiefs, les autres républiques; et d'un autre côté, la monarchie française ou espagnole, triomphant, par le secours de ses rois et de ses populations, de la puissance seigneuriale, mais aboutissant l'une et l'autre à la monarchie absolue. L'Angleterre seule fonda, malgré l'organisation féodale de ses comtés, un gouvernement représentatif appuyé sur des institutions locales et électives graduées depuis le borough et la cité, jusqu'au parlement.

Voltaire a signalé dans une phrase incisive les rapports originaires qui existaient entre les parlements anglais sous Guillaume le Conquérant et ses successeurs immédiats, et les parlements en France, depuis Hugues Capet jusqu'au quatorzième siècle. « La « France et l'Angleterre, dit-il, ayant été longtemps adminisa trées sur les mêmes principes, ou plutôt sans aucuns principes, * et par des usages tout semblables, d'où vient qu'enfin ces deux

(1) RAYNOUARD, Histoire du droit municipal, t. II, ch. XII.

« gouvernements sont devenus aussi différents que ceux du « Maroc et de Venise? » On peut répondre : Ce qui a empêché les Etats-Généraux de France de devenir un parlement national permanent, ce n'est pas, comme l'ont pensé quelques écrivains de l'école constituante (1), la co-existence des Etats particuliers des provinces conquises, c'est l'absence de lien politique d'une part entre ces Etats et les assemblées municipales, de l'autre entre ces États et les États Généraux.

Les Knights of the shire, c'est-à-dire l'union des classes aristocratiques et populaires dans les paroisses, les bourgs, les cités, la chambre des communes, la chambre des pairs, tel est, selon la remarque de Hume, le nœud de cette constitution anglaise, dont la propriété est la pierre angulaire (2), et où chacun participe aux chargés communes dans la mesure de ses intérêts. Telle était aussi la base de l'édifice municipal dans nos provinces les plus renommées par la sagesse de leur administration. En Provence et en Languedoc, par exemple, les corps politiques des communautés d'habitants, les assemblées de vigueries ou de diocêses, les États provinciaux ne votaient pas par ordres, mais à la pluralité des suffrages (3); ces assemblées étaient de véribles communes, analogues à celles d'Angleterre; elles étaient composées de représentants de la classe des propriétaires fonciers et taillables, entre lesquels les nobles prenaient rang comme les roturiers, sans aucune distinctión de rang. J'ai essayé de décrire ailleurs les caractères de l'élection et les attributions de ces assemblées, qui composaient la hiérarchie municipale: je me borne à renvoyer aux sources (4) où j'ai puisé les principes

(1) BARNAVE, Esprit des édits enregistrés au parlement de Grenoble. FRISEL, Vue de la constitution d'Angleterre.

(2) Quoniam Gulmundus quadraginta hodarum terræ dominium minime obtineret, licet nobilis esset, inter proceres tunc numerari non potuit. (Histoire du monastère d'Ely, liv. II, ch. XL.) (3) BOULAINVILLErs, t. VI, p. 257.

(4) Lois municipales du Languedoc, par ALBISSON, 7 vol. in-4°. Traité de l'administration de Provence, par M. DE CORIOLIS. Voyez aussi une excellente étude sur la fin de la constitution provençale, par M. DE RIBBes.

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