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progrès du municipe

italien.

XXVI. La resurrection miraculeuse du municipe italien, à Résurrection, l'image d'un arbre vigoureux battu par l'orage, et qui, sponta- et décadence nément, avec le secours de la nature, se revêt de nouveaux rameaux, les ressources que puisa dans cette institution régénérée la nationalité italienne, soit que, dans les guerres contre les Lombards, elle opposât à la conquête une résistance imprévue et sans exemple dans les siècles, soit qu'après la fin des hostilités elle vit renaître sans distinction des pays conquis et des pays libres, les vieux éléments de ses institutions primitives; le rétablissement progressif de l'accord du peuple et de la noblesse, des familiers et des patriciens, des vassaux et des barons, du pouvoir temporel et de l'autorité religieuse dans une œuvre commune de restauration sociale: tel est, du sixième au onzième siècle, le spectacle que nous offre l'histoire de la Péninsule.

Dès les temps les plus reculés, le municipe italien apparaît tantôt sous la forme de tribu ou de clan, comme chez les Liguriens, les Gaulois, les Vénitiens et les autres peuples voisins des Alpes, tantôt sous la forme du patriciat, comme chez les Étrusques, les Latins, les Samnites et autres peuples du centre et du midi de l'Italie. Ces associations primitives transformées en municipes, s'emparèrent, dès qu'elles furent ouvertes à la plébe émancipée, non-seulement de l'édilité et de la police locale, mais de l'église, du tribunal, de l'armée, du trésor, public, de toutes les branches du pouvoir exécutif et législatif ; et lorsque, au moment de l'invasion des barbares, la cité romaine se décomposa dans une longue agonie, c'est dans le sein des municipes que se recueillit le peu de forces de l'humanité languissante, et que se forma, entre les laïques et le clergé, l'alliance qui, après avoir d'abord ralenti et puis arrêté les progrès de la conquête, finit par absorber les vainqueurs dans la nationalité italienne.

Quelle leçon historique, que le parallèle entre l'Italie des quatre siècles qui suivirent l'invasion lombarde, et l'Italie des onzième, douzième et treizième siècles (1)!

(1) V. PAGNONCELLI, Sull' antichissime origine e successione dei

Dans la première période, on voit régner successivement sur les populations indigènes, les Lombards, les Grecs orientaux, les Francs, les Arabes et les Normands; on voit s'agiter à la fois sur la scène politique, les tribus, les districts, les patriciats, les fiefs, les corporations, les nationalités barbares ou dégénérées, les républiques et les monarchies, occupant tantôt une province, tantôt une autre. La Sicile est la proie des Sarrasins; la Campanie et la Pouille, l'Exarchat et Rome, refusent d'obéir aux Lombards. Le nord de l'Italie n'est soumis aux Francs que de nom. C'est de ce chaos que surgit, aux onzième et douzième siècles, une nouvelle Italie, différente, sous beaucoup de rapports, de l'Italie antique, mais semblable à elle en ce que le régine municipal est la base et la forme de sa constitution politique. Dès lors, la cité italienne s'organise comme la cité romaine de l'antiquité, et après s'être affranchie de la domination étrangère, réprime la puissance seigneuriale de ses barons et multiplie les communes qui, quoique faibles et humbles, ont la puissance d'alléger le joug de la servitude féodale et de contenir les seigneurs dans les limites légales d'une magistrature dont ils ne peuvent abuser sans péril, parce que le municipe vassal est immédiatement secouru par les municipes indépendants.

XXVII. A cette période de progrès dans la civilisation, succède, il est vrai, une période de décadence causée par les divisions intestines qui livrent les cités italiennes, tantôt au régime des podestats, tantôt à la domination des républiques souveraines. Veuves des grands citoyens qui les avaient élevées si haut, ces cités deviennent la proie de quelques despotes, qui restreignent, dans l'intérêt de leur étroite puissance, les libertés civiles et le nombre des citoyens. De là, tous les fléaux de la politique machiavélique : la corruption des cours, les crimes des petits souverains, l'audace des bravi, l'injustice des tribu

governi municipali nelle città Italiane, 2 vol., Bergamo, 1823. — Charles HEGEL, Histoire de la constitution des villes d'Italie, à dater de l'époque de la domination romaine jusqu'a la fin du douzième siècle. ·SCLOPIS, De Longobardi in Italia. Memorie dell' acad. di Torino, tom. XXXIII.

naux, la vénalité des condottieri, la perfidie des diplomates, les conspirations toujours renaissantes, les conflits toujours imminents. La république démocratique de Florence, avec son collège, son conseil du peuple, son conseil commun et ses huit prieurs, tombe sous le joug des Médicis, puis est livrée aux déchirements des factions, pour retomber plus tard sous la domination d'une balie uniquement composée des créatures de ses anciens maîtres. L'aristocratique république de saint Marc, divisée en peuples inégaux en dignité municipale, les uns, optimo jure cives, les autres, municipes libres, les autres, sujets, voit diminuer, sous l'influence délétère du despotisme exercé par son conseil des Dix, tous les avantages de son riche sol, de son délicieux climat, du nombre et de la beauté de ses ports, du caractère industrieux et guerrier de ses habitants, et finit par perdre à la fois sa liberté et son indépendance.

principe

Italie.

XXVIII. Mais ce n'est pas le principe municipal qui est Bienfaits du responsable de tous ces malheurs; c'est, d'une part, sa lutte, municipal en quelquefois malheureuse, contre le principe féodal qui, en Italie, comme en Allemagne, était un principe de division, tandis qu'en réunissant sous le sceptre de leurs rois héréditaires, leurs communes libres et leurs provinces fortement constituées, l'Espagne et la France devenaient deux puissantes monarchies. C'est, d'autre part, la transformation des municipes simples en gouvernements souverains, cherchant à étendre leur action hors des limites de la cité, et usant, pour assouvir une ambition souvent injuste, des moyens odieux de la politique machiavélique.

« Il est beau, s'écrie un patriote italien (1), de voir, aux époques les plus malheureuses de l'histoire de l'Italie, ses oppresseurs contraints, par la résistance de la cité, d'abandonner à la magistrature municipale la direction presque exclusive, nonseulement des rapports strictement locaux, mais encore de beaucoup d'autres qui semblent appartenir à l'administration générale. Il est beau de voir la vie publique, disparue du corps politique, se concentrer dans le municipe, où noblesse, clergé et

(1) RICCI Del municipio, etc. Livorno, 1847.

peuple, doctes et ignorants, institutions et coutumes, passé et présent, tout, enfin, concourt à un seul but, à fermer l'accès du sanctuaire populaire national au despotisme administratif et à la domination étrangère.

« Ces offices municipaux, dont l'exercice suscite souvent de mesquines ambitions, rattachaient à la terre natale, les grands, qui, sans ce lien, auraient probablement émigré. Ces vanités et ces antipathies municipales, qui opposaient quelquefois aux bonnes choses un obstacle invincible, résistaient victorieusement aux usurpations de l'administration générale, et tempéraient le despotisme. Cet esprit étroit de localité, maudit trop souvent sous le nom de municipalisme, opposait la force d'iner tie de la cité entière à la violence de l'État, dont les actes les plus monstrueux produisaient des maux partiels et passagers, mais laissaient inaltérable la substance de la civilisation.

« Que si l'Italie eût été privée de l'asile municipal, rien n'aurait pu la sauver. Les langues de la France, de l'Espagne et de l'Allemagne auraient envahi Naples, Turin et Milan. Venise et Gênes auraient élevé leurs dialectes à la dignité des idiomes écrits; les capitales, en absorbant toutes les forces des provin ces, les auraient placées sous l'autorité de maîtres nationaux et étrangers, qui s'en seraient servis pour partager la nation selon les exigences de la politique. La noblesse et le clergé de chaque province, en se séparant du municipe, se seraient érigés en castes et en corporations, à l'imitation du clergé et de la noblesse d'outre-mont, et auraient introduit en Italie la mauvaise semence des antipathies entre les classes; tandis qu'au sein de la servitude commune, l'égalité naturelle de la vie publique entretint au cœur des plus forts comme des plus faibles l'espérance et le désir de reconquérir l'indépendance. »

Les libertés municipales, maintenues en Italie, même sous les gouvernements absolus, et la domination étrangère, ont d'ailleurs, jusqu'à un certain point, compensé la perte des libertés politiques par la prospérité matérielle et par les progrès littéraires, scientifiques et artistiques inhérents aux libertés civiles.

Le systême municipal des divers États de l'Italie apparaît encore au commencement de notre siècle, aussi libre que ceux de la Suisse, des États-Unis et de l'Angleterre. Au sein de la ville éternelle, et sous la protection d'un gouvernement paternel, les libertés municipales romaines ont subsisté jusqu'à l'invasion française, telles à peu près qu'elles existaient au moyen age. Les cités annexées aux États pontificaux, sous la réserve de leur autonomie, de leurs coutumes, de leurs propriétés, s'administraient et se gouvernaient en quelque sorte ellesmêmes sous la tutelle du Saint-Siége, sans être soumises à d'autres impôts qu'à quelques redevances payées au trésorier de l'Église. Chaque province pourvoyait aux frais de la justice locale, et veillait à l'administration générale par son sénat de quarante membres, chefs des quarante plus anciennes familles du pays. Le gouvernement, réduit à sa double fonction naturelle, celle de juger et de combattre (1), n'intervenait dans les affaires des communes par la congrégation appelée congregazione del buon governo, que pour les empêcher de sé ruiner par des aliénations imprudentes. Le même tribunal jugeait le contentieux entre province et province, entre commmune et commune, entre les communes et les particuliers de la commune (2).

Tous les états du centre et du nord de l'Italie avaient des constitutions semblables à celles des États-Romains. Ceux de Lombardie et du Piémont, par exemple, naguères réunis en un seul par les chances imprévues de la guerre, jouissaient avant l'invasion française de leurs libertés traditionnelles.

Le statut municipal de l'État milanais édicté le 30 décembre 1755, sous le règne de l'impératrice Marie-Thérèse (3), conciliait dans tine juste mesure les intérêts locaux, qui avaient

(1) Suscitabit Dominus judices (Judic., II). Tu eris dux super Israel.

(2) Voyez l'Histoire de la papauté de RANKE, t. II, ch. iv, et l'Essai sur le pouvoir public, du R. P. VENTURA.

(3) Voyez l'analyse de ce statut dans le Correspondant de 1852: Lois municipales de l'Italie.

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