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Lagrange dit plusieurs fois : Le coup est hardi, mais c'est bien joué.

A Mazas, M. Charles Lagrange s'adressa à M. de Lamoricière, et lui dit : « Eh bien, général, nous voulions le f... dedans, mais c'est lui qui nous y met! »>

XIV

M. Greppo, l'ardent socialiste, logé rue de Ponthieu, 15, avait tout un arsenal sous son chevet: une énorme hache d'armes fraîchement aiguisée, deux poignards, un pistolet chargé, et un superbe bonnet rouge tout neuf.

L'arrivée du commissaire Gronfier et des agents plongea M. Greppo dans une prostration complète. Interrogé sur les objets trouvés sous son chevet, il répondit qu'il les avait achetés parce qu'il avait du goût pour la marine.

Madame Greppo, qui est une femme pleine d'énergie, adressa les paroles les plus vives à son mari : « Est-il possible, s'écria-t-elle, d'avoir si peu de résolution, et de se laisser arrêter ainsi sans résistance? »

Mais, hélas! ni ces paroles, ni la vue de la hache d'armes ne purent ranimer M. Greppo. « Comment aurait-il résisté? écrit un témoin oculaire, M.Greppo fut saisi d'un dérangement, auquel il dut satisfaire.

XV

Peut-être voudra-t-on savoir comment se fit l'arrestation de M. Baze?-Elle se fit sans obstacle sérieux, quoique avec une lutte. M. Baze a résisté

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unguibus et rostro, comme un de ces procureurs que Pétrone appelle vultures togati.

XVI

Lorsque le commissaire de police Hubaut aîné pénétra dans la chambre à coucher de M. Thiers, place Saint-Georges, no 1, M. Thiers dormait profondément. Le commissaire écarta les rideaux en damas cramoisi, doublés de mousseline blanche, réveilla M. Thiers, et lui notifia sa qualité et son mandat.

M. Thiers se mit vivement sur son séant, porta les mains à ses yeux, sur lesquels s'abaissait un bonnet de coton blanc, et dit : « De quoi s'agit-il?

Je viens faire une perquisition chez vous; mais, soyez tranquille, on ne vous fera pas de mal; on n'en veut pas à vos jours. » Cette dernière assurance semblait nécessaire, car M. Thiers était atterré.

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« Mais que prétendez-vous faire? Savez-vous que je suis représentant? — Oui, mais je ne puis discuter avec vous sur ce point; je dois exécuter les ordres que j'ai. Mais ce que vous faites-là peut vous faire porter votre tête sur l'échafaud! - Rien ne m'arrêtera dans l'accomplissement de mes devoirs. Mais c'est un coup d'État que vous faiteslà? Je ne puis répondre à vos interpellations; veuillez-vous lever, je vous prie. - Savez-vous si je suis seul dans le même cas? En est-il de même pour mes collègues? Monsieur, je l'ignore. M. Thiers se leva et s'habilla lentement, refusant les services des agents. Tout à coup il dit au commissaire Mais, monsieur, si je vous brûlais la cerveille? Je vous crois incapable d'un pareil

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acte, M. Thiers; mais, en tout cas, j'ai pris mes mesures, et je saurai bien vous en empêcher. Mais, connaissez-vous la loi? Savez-vous que vous violez la Constitution? - Je n'ai pas mission de discuter avec vous, et d'ailleurs vous possédez des connaissances trop supérieures aux miennes. Je ne puis qu'exécuter les ordres qui me sont donnés, comme j'eusse exécuté les vôtres, quand vous étiez ministre de l'intérieur.

Une perquisition faite dans le cabinet de M. Thiers n'amena la découverte d'aucune correspondance politique. Sur l'étonnement qu'en témoignait le commissaire, M. Thiers répondit qu'il adressait depuis longtemps sa correspondance politique en Angleterre, et qu'on ne trouverait rien chez lui.

Prié de descendre et de partir, M. Thiers se troubla, parut craintif et plein d'hésitation dans ses mouvements. On lui laissa croire qu'il était conduit auprès du préfet de police. La direction que prit la voiture augmenta ses appréhensions, et il s'efforça, en route, par toute sorte de raisonnements captieux et comminatoires, de détourner les agents de l'accomplissement de leurs devoirs.

Arrivé à la prison Mazas, M. Thiers demanda s'il pourrait avoir son café au lait, comme à son habitude. On le combla d'attentions. Son courage, il faut bien le dire, l'abandonna tout à fait en prison, et il ne s'éleva pas au-dessus de la fermeté de M. Greppo.

Dispensé, par une haute volonté, du transfèrement à Ham, M. Thiers fut provisoirement ramené chez lui. Par une décision nouvelle, M. Thiers dut être conduit sur la rive droite du Rhin, au pont de Kell.

L'officier de paix Vindenbach alla prendre M. Thiers, chez lui, le 8 décembre, à six heures du soir. M. Mignet, et un autre ami, accompagnèrent M. Thiers jusqu'à l'embarcadère du chemin de fer de Strasbourg, et M. Grangier de la Marinière l'accompagna jusqu'à Kell.

Au moment de partir, et pendant les premiers instants de la route, M. Thiers versa d'abondantes larmes. Larmes justes, nobles et fécondes, si elles coulaient comme l'expiation de tant de doctrines révolutionnaires et de tant d'actes anarchiques; larmes amères, si elles n'étaient que le dépit d'une ambition jalouse et insatiable, tombée d'une hauteur inespérée, sans dignité et sans éclat.

Arrivé à Kell, M. Grangier de la Marinière apporta à l'officier de paix Vindenbach une lettre de protestation, et une lettre de remercîment pour les égards dont M. Thiers avait été l'objet. M. Thiers annonçait qu'il se rendait à Francfort, et de là à Dresde, où il devait rencontrer un ancien ami, avec lequel il se distrairait en faisant de la peinture.

XVII

En même temps que les représentants, étaient arrêtés dans leurs lits et sans la moindre difficulté les chefs les plus dangereux des sociétés secrètes et des barricades. Ce genre d'arrestations se poursuit sans relâche, et a déjà donné de grands résultats. Le public ne connait guère les noms de ces audacieux et infatigables ennemis de la société; et nous ne citerons ici que ceux qui passent pour les plus célèbres, dans le monde de l'émeute.

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Quoique essentiellement délicate de sa nature, la mission confiée à l'armée ne pouvait laisser aucun doute ni au Président de la république, ni au ministre de la guerre.

En effet, que lui demandait Louis-Napoléon Bonaparte ? Un trône? Nullement.- Le triomphe de tel ou de tel parti politique? --- Nullement.

Louis-Napoléon Bonaparte demandait à l'armée de protéger la liberté de la France entière contre les entreprises des factions, et de maintenir l'ordre dans les rues, jusqu'à ce que dix millions d'électeurs, solennellement consultés, cussent fait connaître leur volonté par un vote.

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