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cassation n'a été saisie qu'une seule fois de cette question: une sage-femme avait été condamnée, en vertu de l'art. 319, pour n'avoir pas appelé un médecin pour l'assister dans un accouchement laborieux, dans lequel la mère et l'enfant avaient succombé. On objectait à l'appui du pourvoi : 1o que l'art. 33 de la loi du 19 ventôse an xi, qui veut que les sages-femmes ne puissent employer des instruments dans les accouchements laborieux sans appeler un docteur, ne soumet pas les sages-femmes qui enfreignent cette règle à l'indemnité que l'art. 29 de la même loi porte contre les officiers de santé dans un cas analogue; 2° qu'il est impossible de constater avec précision la maladresse du chirurgien ou de la sage-femme qui pratique une opération. Mais le rejet a été prononcé, «< attendu que, dans l'état des faits, la condamnation de la réclamante aux peines prononcées est une juste application de l'art. 319 1. » Les Cours impériales ont suivi cette doctrine. La Cour d'Angers ́a jugé « que le médecin qui, par défaut de précaution, occasionne une blessure grave qui entraîne la perte d'un membre, encourt l'application de l'art. 320 2. » La Cour de Paris a déclaré, dans le cas d'une opération qui avait estropié le malade: « qu'un officier de santé ne peut, aux termes des art. 24 et 29 de la loi du 19 ventôse an xi, exercer sa profession qu'aux conditions suivantes : 1° qu'il se soit fait inscrire sur la liste publiée tous les ans ; 2° que, dans le cas où il y aurait lieu de pratiquer une grande opération, il ne pourra le faire hors de la présence d'un docteur; d'où il suit que, si des accidents graves ont lieu, des poursuites pourront être dirigées contre l'officier de santé qui s'en est rendu coupable; que cette loi se réfère formellement à la loi générale; que, d'après le droit commun, l'officier de santé qui a négligé de remplir ses devoirs se rend coupable d'un délit qui est celui de blessures graves prévu par les art. 319 et 3203. » La Cour de Besançon a appliqué la même règle à un cas analogue: «< attendu que les termes de l'art. 319, par leur généralité, s'appliquent à toutes

1 Cass., 18 sept. 1817, S.-V.5.373.
2 Angers, 1er août 1833, S.-V.33.2.364.
3 Paris, 5 juill. 1833, S.-V.33.2.364.

personnes, quels que soient leur art et leur profession, et par conséquent au médecin ou à l'opérateur qui, dans l'exercice de son art, se rend coupable de faute et de négligence graves; que la règle générale doit prévaloir là où l'exception n'est point établie ; que l'on chercherait en vain cette exception dans l'article 29 de la loi du 19 ventôse an xi; que cet article, ni aucun autre de nos lois, n'absout le médecin ou l'officier de santé qui blesse ou tue par une faute lourde démontrée à sa charge; qu'il suit seulement de ses dispositions, que, s'il est assez téméraire pour entreprendre seul une grande opération chirurgicale, il est en faute par ce fait et responsable, même sans maladresse ou faute grave, des accidents sérieux qui arrivent, et qu'auraient prévenus peut-être un concours éclairé et une opération plus parfaite; que toutes les professions, même les plus élevées, même celles dont l'exercice est précédé d'épreuves et accompagné de diplômes, sont assujetties par la loi à une responsabilité sévère, et qu'on ne concevrait pas que l'art du médecin, si honorable et si utile, mais qui tient de si près à la vie des hommes, jouirait seul du privilége inouï d'une irresponsabilité absolue; que les tribunaux ne sont point juges des théories, des opinions, des systèmes; que leur action ne peut s'exercer dans cette région réservée à la science; mais qu'elle commence là où pour tout homme de bon sens, et indépendamment des théories sujettes à discussion, il y a eu de la part du médecin faute lourde, négligence, maladresse visible, impéritie ou ignorance des choses que tout homme de l'art doit savoir, et qu'il a ainsi compromis les jours du malade ou converti son opération en une véritable blessure 1. » Les Cours de Rouen et de Colmar ont encore appliqué cette théorie. Enfin, dans une question de responsabilité, à la vérité purement civile, la chambre des requêtes a déclaré, sur un réquisitoire de M. Dupin, qui développait avec force ce système, que l'arrêt qui avait condamné le médecin à des dommages-intérêts, en se fondant sur l'abandon volontaire où il avait laissé le malade et sur le refus

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1 Besançon, 18 déc. 1844, S.-V.45.2.602.
2 Rouen, 4 déc. 1845, Pal. 1846.1.660.
3 Colmar, 6 juill. 1850, Dall.52.2.197.

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de lui continuer ses soins, n'avait commis aucun excès de pouvoir: «< attendu que ces faits matériels sont du nombre de ceux qui peuvent entraîner la responsabilité civile de la part des individus à qui ils sont imputables, et qu'ils sont soumis, d'après les art. 1382 et 1383 du Code civil, à l'appréciation des juges 1. »

1419. La deuxième faute prévue par l'art. 319 est l'imprudence, «L'homicide commis par imprudence, dit Jousse, est celui que son auteur aurait pu éviter s'il eût été prudent ou prévoyant *. » Les auteurs en ont cité de nombreux exemples..

Ainsi, nous avons vu que lorsqu'un barbier, rasant quelqu'un dans sa boutique, lieu destiné à cette opération, est poussé par un tiers, et blesse par un mouvement involontaire la personne qu'il rase, la blessure ou l'homicide qui en résulte est un fait purement casuel; mais si le barbier s'est avisé d'aller raser sur la place publique, au milieu de la foule, il deviendra coupable de l'accident occasionné par son imprudence 3.

Ainsi, lorsqu'un soldat s'exerçant aux armes dans un lieu spécialement destiné à cet exercice tue une personne qui s'y est imprudemment engagée, il n'y a point de sa faute; mais il devient coupable d'imprudence s'il se livrait à cet exercice dans un lieu qui n'était pas consacré à cet usage. Telle est la décision des Institutes: Culpæ reus est... si in alio loco quàm qui ad exercitandum militibus destinatus est, id admiserit".

Ainsi, l'homme qui tombe accidentellement du faîte d'une maison, et dans sa chute écrase quelque passant, ne peut encourir aucune responsabilité à raison d'un homicide purement casuel. Néanmoins, si cet homme s'était précipité volontairement, ou même s'il était tombé par suite de son imprudence ; par exemple, si, exerçant la profession du couvreur, il était monté sur un toit dans un état d'ivresse, l'homicide causé par sa chute pourrait lui être imputé, car il devait prévoir le péril

1 Cass. req., 18 juin 1835, S.-V.35.1.410.

2 Tome 3, p. 520.

3 Farinacius, quæst. 426, num. 17.

Instit. de lege Aquilia, § 4.

5 L. 7, Dig. ad legem Aquiliam, de sicariis.

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dont il menaçait les autres, et s'abstenir d'un acte qui pouvait entraîner de fatales conséquences 1.

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Ainsi, enfin, les mères et les nourrices qui, par leur imprudence, étouffent les enfants qu'elles nourrissent 2; les individus qui, dans un état d'ivresse volontaire et complète, commettent un homicide ou des blessures'; les cochers et charretiers qui, soit par leur maladresse, soit par leur impuissance, n'ont pas su contenir leurs chevaux, et causent des accidents sur leur passage; toutes ces personnes rentrent dans les termes de la loi pénale, car à chacune on peut imputer une imprudence, une faute. Ce dernier cas était prévu par les Institutes: Culpâ tenetur... qui cùm equo veheretur impetum ejus, aut propter infirmitatem, aut propter imperitiam suam, retinere non potuerit. Le fait d'avoir accepté un pari par lequel un individu s'engageait à boire une quantité excessive de liqueurs alcooliques peut constituer encore un homicide par imprudence, si la mort du buveur s'en est suivie ".

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1420. Le troisième cas prévu par l'art. 319 est la négligence et l'inattention. Cette faute consiste dans l'omission ou l'oubli d'une précaution commandée par la prudence, et dont l'observation eût prévenu l'homicide ou les blessures; les auteurs citent pour exemple le maçon ou le couvreur qui laisserait tomber des pierres ou des tuiles dont la chute aurait tué ou blessé quelque passant, sans avoir pris la double précaution d'attacher un signal pour avertir du danger, et de crier aux passants de prendre garde à eux '. La même décision serait applicable

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2 Farinacius, quæst. 120, num. 178; Carondas, 1. 7, rep. 116, cite une nourrice qui fut condamnée pour ce fait, en février 1566, à faire amende honorable devant la porte du père de l'enfant, au fouet, au bannissement, et à l'interdiction de nourrir un autre enfant.

3 V. notre tome 1er, n. 361. Pothier, Traité des obligations, part. 1re, ch. 1er, sect. 2, § 2.

4 Inst. de lege Aquiliâ, § 8.

5 Ibid.

6 Arr. Rouen, 10 mai 1860, S.-V.61.2.223.

7 Inst. de lege Aquiliâ, § 5. L. 51, Dig. ad leg. Aquil.; Farinacius, quæst. 126, num. 23. Quelques auteurs pensaient que l'accomplissement d'une seule de ces deux conditions suffisait pour garantir le couvreur.

au propriétaire qui n'aurait pas éclairé des matériaux déposés devant sa porte, ou l'excavation qu'il a fait creuser sur la voie publique; aux personnes qui ont laissé divaguer des fous ou furieux dont elles ont la garde, ou des animaux malfaisants ou féroces; aux conducteurs de voitures qui ne se sont pas tenus constamment à la portée de leurs chevaux, lorsque chacun de ces faits de négligence a eu pour résultat un homicide ou des blessures.

1421. Faut-il ajouter à ces hypothèses la négligence de l'hôtelier qui laisse mourir sans secours un de ses hôtes pris subitement de maladie? Cette question, délicate à l'égard de l'homme privé qui, en refusant de secourir un malade sur la voie publique, ne viole que le devoir de l'humanité 1, prend un caractère particulier vis-à-vis de l'aubergiste, qui contracte à l'égard de ses hôtes un devoir plus étroit. La Cour de Lyon avait fait application de l'art. 319 à un aubergiste, en déclarant «<que la femme Gaytte, après avoir reçu dans son auberge la femme Thiollière, avait refusé de lui accorder, dans l'état de maladie grave où elle se trouvait, le lit et les bons soins que sollicitait pour elle la pitié des étrangers; qu'elle aurait même empêché sa domestique de porter des secours à cette malheureuse femme, qui, par suite de ce complet abandon, succomba victime d'une congestion cérébrale; d'où il suit que c'est par sa négligence et une coupable inattention que la prévenue a occasionné la mort de la femme Thiollière. » Le pourvoi contre cet arrêt a été rejeté : « attendu que, lorsqu'une personne malade a été admise dans une auberge, le maître de l'auberge est tenu, soit par luimême, soit par ses domestiques, de lui donner tous les soins naturels et indispensables que comporte son état ; que c'est là un principe d'humanité qui dérive des obligations que l'aubergiste contracte envers le voyageur auquel il doit assistance et protection; que de sa part un refus absolu de soins, lorsque ce refus est suivi de la mort de la personne qui avait droit de les réclamer, doit lui faire encourir, non-seulement la responsabilité résultant de l'art. 1382 du Code civil, mais encore toutes les conséquences résultant de l'art. 3192.

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